« Pour être efficace, la politique de lutte contre les dommages des addictions ne doit plus se faire à partir des représentations de la réalité mais être construite à partir de la réalité », plaide Michel Reynaud, chef du département de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif (Val-de-Marne). Dans un rapport remis le 7 juin à la présidente de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, Danièle Jourdain-Menninger, il souligne l’absence de résultats probants des politiques focalisées sur la répression et estime qu’« une politique pragmatique doit s’axer prioritairement sur la réduction des dommages ». Ces travaux s’inscrivent dans le cadre de la préparation du nouveau plan de lutte contre la drogue qui devrait être présenté en juillet (1).
Les comportements d’alcoolisation ponctuelle importante – ou « binge drinking » – se développent chez les jeunes, la consommation de cocaïne est en forte progression, celle de cannabis se stabilise à un niveau élevé et la consommation de tabac augmente depuis 2005, constate tout d’abord le rapport. Mais surtout, souligne-t-il, la dangerosité et la gravité des dommages liés à ces consommations sont mal évaluées par la population. Ainsi, selon des experts internationaux, « l’alcool est le produit le plus dangereux entraînant des dommages sanitaires et sociaux majeurs » (2), devant l’héroïne, la cocaïne, le tabac, puis le cannabis. Le rapport préconise de renforcer les mesures de prévention et d’intervention précoce et d’améliorer le dispositif de proximité avec, notamment, le développement des réseaux « addictions ». Il faut aussi augmenter le nombre de consultations pour jeunes consommateurs, plaide-t-il.
Michel Reynaud propose par ailleurs un « nouveau référentiel de santé publique » s’appuyant sur une philosophie du soin différente de l’approche médicale traditionnelle. Dans ce cadre, la réduction des consommations ou la consommation « en prenant moins de risques » sont considérées comme des « succès », explique-t-il. Il préconise de développer une prévention ciblée sur les populations les plus à risques : jeunes, personnes en situation de précarité, femmes enceintes, détenus, patients atteints de troubles mentaux. La dimension addictologique de ces derniers est souvent sous-évaluée et insuffisamment traitée dans les services de psychiatrie. Il en est de même pour la dimension psychiatrique dans les services d’addictologie. C’est pourquoi le rapport recommande de développer l’articulation entre les structures d’addictologie et de psychiatrie, de créer une équipe de liaison en addictologie dans tous les établissements psychiatriques ou encore de renforcer les ressources en psychiatrie des structures d’addictologie médico-sociales et hospitalières.
Le rapport plaide en outre pour la structuration du secteur médico-social de l’addictologie autour de « véritables » centres-ressources composés d’au moins un centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie et un centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues par territoire de santé. Le rapport recommande également une programmation nationale et régionale des capacités d’accueil avec, par exemple, 30 places en communauté thérapeutique en moyenne par région. Il préconise aussi la création de maisons d’accueil spécialisées interrégionales pour les personnes atteintes de psychoses alcooliques et de démences toxiques irréversibles.
Enfin, pour Michel Reynaud, la tenue d’une « conférence de consensus pour l’amélioration des interactions santé/police/justice » est « nécessaire ». Il appelle également à l’organisation d’états généraux des addictions qui pourraient se conclure par une loi d’orientation.
(2) Première cause de mortalité prématurée en France, l’alcool est également impliqué dans 40 % des violences familiales et/ou conjugales et dans 25 % des faits de maltraitance sur des enfants.