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Un partenariat qui vaut de l’ORE

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En Côte-d’Or, le conseil général et Pôle emploi s’associent pour proposer aux allocataires du RSA un accompagnement global. Ressort essentiel de ce partenariat : l’acculturation mutuelle entre les professionnels des deux champs d’intervention.

Un matin d’avril, au deuxième étage de l’agence Pôle emploi du centre de Dijon, un groupe de demandeurs d’emploi patiente dans le hall. Ce sont des allocataires du revenu de solidarité active (RSA), convoqués toute la matinée pour l’instruction de leur dossier. Leur demande, déjà enregistrée par une plateforme téléphonique, doit à présent faire l’objet d’un examen approfondi. Par commodité, celui-ci se déroule entièrement dans les locaux de l’agence. C’est la plateforme unique d’accueil (PUA), portée et animée par le conseil général de Côte-d’Or, Pôle emploi et leurs partenaires – centres communaux d’action sociale (CCAS), plan local pour l’insertion et l’emploi (PLIE), caisse d’allocations familiales… Au total, dix plateformes de ce type couvrent tout le territoire du département, secteurs ruraux compris.

UN DECLOISONNEMENT INITIÉ IL Y A PLUS DE VINGT ANS

« Source d’une plus grande efficacité pour le suivi des personnes », plébiscité par les premiers intéressés (1), l’accompagnement global des allocataires du RSA vise à décloisonner réinsertion professionnelle et résolution des difficultés sociales. Pour se convaincre de sa pertinence, le département de la Côte-d’Or n’a pas attendu les injonctions gouvernementales (2). En effet, à Dijon, le rapprochement entre travailleurs sociaux du conseil général et conseillers du service public de l’emploi remonte à la mise en place du revenu minimum d’insertion (RMI), à la fin des années 1980. « Au départ, il s’agissait d’un partenariat très léger, à la mise en œuvre un peu fluctuante, raconte Dominique Blin, directrice enfance, insertion et famille au conseil général. Puis les deux institutions ont pris conscience de l’intérêt d’associer étroitement les différents volets de l’accompagnement des allocataires. » Renforcé à partir de 2005, ce partenariat a depuis été formalisé par une convention, soutenue par le Fonds social européen et transcrite dans le programme départemental d’insertion. Il se décline à toutes les étapes de la mise en œuvre du RSA, depuis son pilotage stratégique jusqu’à l’accompagnement des allocataires, en passant par l’instruction de la demande (voir encadré page 26). « Le retour effectif à l’emploi ne relève pas vraiment des compétences de nos professionnels, explique Fabrice Heitzmann, chef du service insertion-emploi du département. Mais en tant que chef de file de l’action sociale, le conseil général doit impulser sa politique d’insertion. » Ressort essentiel de ce décloisonnement : l’acculturation – pas toujours évidente – entre professionnels des deux champs d’intervention.

Retour à l’agence Pôle emploi de la rue des Corroyeurs. Première étape pour les futurs allocataires du RSA : l’instruction administrative de leur demande, conduite par un des trois agents instructeurs du conseil général. Le parcours des demandeurs les conduit ensuite dans l’un des bureaux vitrés de l’espace PUA. Là, ils sont accueillis par un binôme de professionnels, chargés du diagnostic socioprofessionnel. L’un est un travailleur social – du conseil général, du CCAS… –, l’autre un conseiller en insertion – de Pôle emploi, du PLIE… A charge pour eux d’évaluer conjointement la situation. « Chacun dispose de sa propre clé d’entrée, de sa propre grille de questionnement, témoigne Lorena Di Tommaso, conseillère sur le site. Mais, en pratique, nos champs d’intervention respectifs ont tendance à se superposer. Dans un entretien classique avec un demandeur d’emploi, on se limite au seul volet professionnel. Là, on évite de scinder les personnes. » A l’issue d’une entrevue de trois quarts d’heure destinée à balayer l’ensemble des problématiques, le binôme formule une préconisation d’orientation : accompagnement professionnel pour les moins éloignés de l’emploi (environ six situations sur dix), social ou socioprofessionnel, lorsque quelques freins périphériques demeurent.

LA VOLONTÉ D’UN PARTAGE INSTITUTIONNEL

Du côté des bénéficiaires, l’objectif de la PUA est simple : ramasser les formalités sur un temps restreint pour faciliter l’accès des allocataires à leurs droits et aux informations utiles, mais aussi enclencher la démarche d’insertion dès l’inscription dans le dispositif. « Lorsque les deux étapes étaient déconnectées dans le temps, les allocataires rentraient plus difficilement dans un processus d’engagement », rapporte Fabrice Heitzmann. Du côté des professionnels, la plateforme apparaît surtout comme la traduction concrète de la volonté de rapprochement des institutions. « Chacun connaît les informations, dispositifs et ressources de son champ d’intervention et de son secteur géographique. Cette rencontre nous offre l’occasion de les partager », explique ainsi Odile Koller, éducatrice spécialisée dans une des résidences sociales du CCAS de Dijon. « Au-delà, le fait de se connaître en personne facilite grandement les relations ultérieures : on n’hésite pas à se téléphoner pour du conseil technique sur des points précis », ajoute Marie Reyboubet, assistante de service social du conseil général, en poste à l’accueil solidarité et famille (ASF) de Dijon Toison d’Or-Maladière.

Arrivé « au RMI » en 1993, Alain Ibanes fait partie des pionniers de cette démarche d’intégration. Depuis vingt ans, ce conseiller ANPE puis Pôle emploi est en effet détaché au conseil général. En poste dans une des agences solidarité et famille du Dijonnais – l’appellation locale des antennes de service social –, il est l’un des quatre conseillers en insertion professionnelle (CIP), tous volontaires, mis à la disposition du département, lequel assure le financement de leurs postes. Directement sur le terrain, au plus près des travailleurs sociaux. « Notre rôle, c’est d’assurer l’interface entre les institutions », résume-t-il. La fiche de poste des CIP leur assigne trois missions : contribuer à l’élaboration et au renouvellement des contrats d’engagement des bénéficiaires en lien avec le cadre RSA ; participer à l’accompagnement des bénéficiaires ; enfin, contribuer à l’élaboration, à la mise en œuvre et au suivi des politiques locales d’insertion professionnelle des bénéficiaires.

« D’une manière générale, nous jouons un rôle de courroie de transmission, explique Marie-Eve Lièvre, CIP, récemment détachée de Pôle emploi sur le dispositif. D’un côté, nous délivrons aux travailleurs sociaux toutes sortes d’informations relevant de la sphère professionnelle : les aides au transport ou à la garde d’enfants, la rémunération des stagiaires de la formation continue, les résultats des enquêtes sur les besoins en main-d’œuvre, les “job datings”… De l’autre, comme nous avons conservé un rattachement administratif à nos agences Pôle emploi, où nous participons toujours aux réunions de service, nous faisons aussi remonter aux collègues des éléments issus du terrain. »

Un exemple de collaboration ? Le contrat unique d’insertion de sept heures hebdomadaires (3). Destiné aux allocataires du RSA les plus éloignés de l’emploi, relevant d’une orientation sociale ou socioprofessionnelle, il doit permettre de reprendre contact avec le monde du travail. Dans la Côte-d’Or, les offres sont traitées par les conseillers en insertion professionnelle, qui les diffusent auprès des travailleurs sociaux et assurent avec eux le ciblage des profils adéquats. Des profils qu’ils connaissent souvent bien : chaque CIP est le référent d’environ 80 allocataires du RSA, contre 250 pour un conseiller de droit commun. En aval, les chargés d’insertion professionnelle nourrissent l’accompagnement social des informations fournies par l’employeur, et contribuent également à l’examen de la situation à l’échéance des six mois de contrat, pour trancher entre un renouvellement ou un positionnement dans une trajectoire d’insertion. « En somme, il s’agit vraiment d’outiller et de soulager les professionnels du social, pour des démarches dans lesquelles ils sont moins identifiés », souligne Véronique Le Cam, chargée de mission insertion professionnelle, issue de Pôle emploi, qui chapeaute le dispositif au sein du département.

UN DISPOSITIF SPÉCIFIQUE DE RETOUR À L’EMPLOI

Les CIP ne sont pas les seuls à fréquenter de près les travailleurs sociaux. Au-delà de l’offre de services de droit commun, la convention de partenariat département-Pôle emploi a en effet institutionnalisé un dispositif spécifique, en place depuis 2005, baptisé Objectif retour à l’emploi (ORE). Le principe ? Un accompagnement intensif de douze mois, destiné aux allocataires les plus proches de l’emploi, avec un objectif de placement de 60 %. Celui-ci repose sur une équipe territorialisée, financée par le conseil général. Encadrée par un animateur, Bernard Plas, chargé de la gestion opérationnelle du projet (mise en place des outils, suivi des résultats, coordination…), l’équipe comprend sept professionnels : six conseillers ORE et une animatrice de clubs. Cette dernière assure la mise en œuvre et l’animation d’une prestation originale : trois groupes, deux destinés aux 25-35 ans et un aux plus de 45 ans, offrant sur neuf mois un accompagnement collectif à la remobilisation et à la recherche d’emploi.

Comme les CIP, les conseillers ORE travaillent sur le terrain. Pendant six ans, Amandine Forquet – qui a basculé depuis sur un autre dispositif – a ainsi parcouru le nord de la Côte-d’Or, à la rencontre des 60 allocataires de son portefeuille allégé. « A raison d’un entretien individuel tous les quinze jours en moyenne, je me déplaçais dans cinq lieux de rendez-vous : agences Pôle emploi, accueils solidarité et famille, centres sociaux », raconte-t-elle. Des visites fréquentes qui lui ont permis de nouer des relations opérationnelles plus étroites avec les travailleurs sociaux. « Comme on se croise dans les accueils solidarité et famille, on échange plus souvent sur les dossiers. Cela permet d’affiner en permanence notre intervention. » En disposant d’une vision élargie des situations, les professionnels peuvent ainsi décider en commun d’infléchir provisoirement l’accompagnement vers l’insertion ou vers le social, en fonction des besoins et évolutions de l’allocataire. « Mieux connaître les outils de l’autre sphère permet également de mobiliser des ressources supplémentaires. Je me souviens, par exemple, d’un allocataire à qui j’avais trouvé un emploi mais qui ne disposait pas de moyen de locomotion. L’assistante sociale a décroché un don de mobylette par le Secours catholique et obtenu le financement du casque et la prise en charge de l’assurance par le conseil général. » Des aides extralégales dont la conseillère ignorait l’existence et auxquelles elle n’aurait pas pu accéder sans cette proximité avec un professionnel du social. « Avant cela, j’aurais orienté ce monsieur vers des petits boulots, afin qu’il mette de l’argent de côté… Au risque de fragiliser encore une situation déjà précaire et de ralentir son parcours d’insertion. »

DES REPRÉSENTATIONS EN PLEINE ÉVOLUTION

Mais la fréquentation répétée entre professionnels de champs qui habituellement se contentent de coexister entraîne également des effets plus profonds, en particulier sur les représentations. « Du côté des conseillers emploi, une vieille idée traîne toujours selon laquelle les travailleurs sociaux seraient uniquement dans l’empathie, la protection, et ne demanderaient aucune contrepartie aux familles », reconnaît ainsi Alain Ibanes, CIP. Les « sociaux », eux, verraient à l’inverse dans les professionnels de l’emploi des agents chargés de « faire du chiffre » et de prononcer des sanctions, dépourvus de temps pour recevoir les allocataires, et donc connaissant mal les dossiers. Des représentations qui, peu à peu, évoluent favorablement, affirme Amandine Forquet. « Parce qu’elles connaissent mieux nos compétences et que nous les éclairons sur le marché de l’emploi, les exigences des assistantes sociales vis-à-vis des collègues de Pôle emploi ont changé. Elles poussent aussi davantage les personnes à se mobiliser, intègrent mieux le volet professionnel dans leurs démarches. Tandis que les collègues de Pôle emploi acceptent mieux de prendre en compte les aspects sociaux. »

Assistante sociale sur un poste spécialisé RSA à l’accueil solidarité et famille de Beaune, Béatrice Dechamps est bien placée pour percevoir ces évolutions… mais aussi leurs limites. « En effet, les conseillers emploi nous sollicitent beaucoup plus qu’avant, constate-t-elle. Ils nous alertent dès que le maintien des droits est compromis, nous consultent lorsqu’ils s’interrogent sur le bien-fondé d’une référence Pôle emploi pour un allocataire. » Au quotidien, les binômes rencontrés au cours des PUA jouent également volontiers le rôle d’interlocuteurs privilégiés au sein de l’institution. « C’est grâce à l’un d’eux, par exemple, que j’ai pu débloquer le cas d’une dame pour laquelle j’avais trouvé une place dans un chantier d’insertion, mais dont Pôle emploi refusait l’inscription au motif qu’elle ne disposait pas de mode de garde pour ses enfants, ce qui compromettait la signature de son contrat de travail », raconte encore l’assistante sociale. Ces avancées demeurent cependant limitées, regrette-t-elle. « Le partenariat fonctionne très bien avec les conseillers qui interviennent au sein des PUA. Avec les autres, la reconnaissance réciproque reste problématique. » D’autant plus que la surcharge de travail des professionnels des deux bords rend difficile l’organisation d’instances techniques communes, qui permettrait de diffuser plus largement cette acculturation mutuelle.

Pour le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), qui a évalué en 2011 dans plusieurs départements l’accompagnement décloisonné des allocataires, il s’agit d’une « mesure centrale », « au cœur des enjeux du RSA » (4). Dans la Côte-d’Or, les partenaires de l’insertion revendiquent son efficacité. « Entre 2005 et 2009, nous avons enregistré plus de 80 % de sorties positives à l’issue du dispositif ORE », insiste ainsi Bernard Plas, l’animateur de l’équipe. Depuis, sous l’effet de la crise, les chiffres ont légèrement fléchi. Mais dans des proportions bien moindres que pour les allocataires bénéficiant d’un accompagnement de droit commun. Signée pour deux ans, la convention liant le conseil général, Pôle emploi et leurs partenaires s’achève à la fin de l’année 2013. Sur le papier, tous voient parfaitement l’intérêt de la renouveler. Restent des enjeux financiers non négligeables, en particulier dans un contexte de massification des demandes d’allocations.

Le dispositif PARTENARIAL

LE CADRE. Une convention de partenariat pour l’insertion professionnelle des bénéficiaires du RSA, signée pour la période 2012-2013 par le conseil général et Pôle emploi. Cofinancement du Fonds social européen.

LES PRINCIPES. « Mobiliser prioritairement l’offre de services de droit commun pour les publics dont la distance à l’emploi leur permet d’assumer les droits et devoirs liés à l’inscription comme demandeur d’emploi », et « développer une offre complémentaire d’accompagnement intensif vers et dans l’emploi, individualisée et adaptée aux bénéficiaires du RSA plus éloignés de l’emploi ».

LES EFFECTIFS.

• 2 chargés de mission insertion professionnelle (RSA et clauses d’insertion), détachés de Pôle emploi, qui assurent le pilotage du dispositif. Postes financés par le conseil général.

• 4 conseillers en insertion professionnelle Pôle emploi répartis dans les agences solidarité et famille. Postes financés par le conseil général.

• 1 animateur de l’équipe Objectif retour à l’emploi (ORE), chargé de la coordination de l’activité des conseillers et du pilotage opérationnel du projet. Poste financé par Pôle emploi.

• 6 conseillers Pôle emploi au sein de l’équipe ORE, chargés du suivi d’un porte ? feuille restreint d’allocataires du RSA. Postes financés par le conseil général.

• 1 conseillère Pôle emploi au poste d’animatrice des clubs ORE (deux clubs jeunes diplômés et un club remobilisation pour les plus de 45 ans), chargée du diagnostic, de l’animation des prestations et des relations partenariales. Poste financé par le conseil général.

Notes

(1) Voir ASH n° 2762 du 1-06-12, p. 5.

(2) Voir ASH n° 2667 du 9-07-10, p. 5.

(3) Voir ASH n° 2747 du 17-02-12, p. 5.

(4) Voir ASH n° 2805 du 12-04-13, p. 15.

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