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Gratification des stages : le projet de loi sur l’enseignement supérieur rouvre la boîte de Pandore

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Les députés ont décidé, en première lecture, d’étendre la gratification obligatoire des stages aux fonctions publiques territoriale et hospitalière. Ce qui relance la question épineuse du financement.

Cela ressemble fort à un cadeau empoisonné. Le projet de loi Fioraso sur l’enseignement supérieur, qui a été adopté le 28 mai en première lecture à l’Assemblée nationale, étend la gratification obligatoire des stages de plus de deux mois aux fonctions publiques territoriale et hospitalière. Actuellement, celle-ci ne s’impose qu’aux établissements et services de droit privé (et donc du secteur associatif) – depuis la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, modifiée par la loi du 24 novembre 2009 sur l’orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie et confirmée par la loi du 28 juillet 2011 sur le développement de l’alternance (1) – et aux administrations et établissements publics de l’Etat depuis un décret du 21 juillet 2009. Le député (PS) Jean-Jacques Vlody a donc voulu répondre à des « exigences d’équité et d’exemplarité de la fonction publique » en soumettant l’ensemble des employeurs à la même obligation de gratification. Son amendement a été adopté malgré l’avis défavorable de Vincent Feltesse, rapporteur (PS) de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, qui préférait attendre l’examen du futur projet de loi sur la formation professionnelle, rejoint sur ce point par la ministre Geneviève Fioraso, pour laquelle le sujet « mérite tout de même d’attendre une négociation ».

Nouvelle impasse ?

Si cette disposition semble donc avoir peu de chances d’être maintenue au Sénat, qui devrait examiner le texte du 18 au 21 juin, sachant qu’il n’y aura pas de seconde lecture à l’Assemblée du fait de la procédure accélérée, elle braque à nouveau le projecteur sur le boulet qu’est devenue la gratification pour le processus de formation des travailleurs sociaux (2). Car l’obligation de gratifier, faute d’être sécurisée financièrement, a eu pour effet d’assécher l’offre de stages et de transformer en cauchemar la recherche de terrains pour la pratique. De fait, les centres de formation sont contraints à un bricolage permanent pour respecter les exigences pédagogiques de l’alternance – avec parfois des retards dans la mise en stage à la limite de la durée réglementaire. Ce qui se traduit par des réorientations des terrains de stage vers les secteurs publics non tenus de gratifier, au détriment de la diversification des expériences, notamment dans les petites associations très innovantes, et des projets personnels de formation des étudiants, voire par des pratiques de morcellements de stages pour tomber sous le seuil des deux mois.

C’est dire, dans de telles conditions, si la disposition apparaît davantage comme une nouvelle impasse que comme une solution. « Sur le principe, l’Unaforis [Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale] ne peut être que favorable au principe d’étendre la gratification à l’ensemble des terrains de stage car les lignes de partage entre les secteurs gratifiables et non gratifiables n’ont aucun sens, souligne Jacques Fraisse, directeur de l’Institut régional du travail social de Languedoc-Roussillon et responsable de la commission « niveau III » de l’Unaforis. Maintenant, au vu de l’absence de moyens financiers octroyés, il est à craindre qu’une telle disposition, si elle était adoptée, ne verrouille encore l’accès au stage et grippe complètement la dynamique de l’alternance intégrative. De là à ce qu’on veuille régler le problème en modifiant la réglementation afin de ramener tous les stages à deux mois au détriment du processus formatif… »

« On a vu combien la loi avait entraîné une réduction massive de l’offre de stages au sein de l’Education nationale par exemple, qui ne propose plus qu’un stage par an contre sept ou huit auparavant, ou de certains conseils généraux qui ont choisi de gratifier », explique ainsi Sophie Leboucher, directrice de l’Ecole régionale d’assistants de service social de Toulouse. « De même, la mairie de Paris, qui rétribue les stagiaires, applique une politique de quotas qui limite l’accès à ses propres terrains, pourtant ouverts à l’accueil de stagiaires », ajoute Marie-Christine David, directrice générale de l’Ecole de formation psychopédagogique de Paris.

Alors que ses prédécesseurs ont laissé pourrir le dossier de la gratification, le gouvernement est-il prêt à le rouvrir, lors de la négociation annoncée avec les partenaires sociaux pour élaborer le projet de loi sur la formation professionnelle – dont les bases devraient être posées lors de la conférence sociale des 20 et 21 juin ? L’Assemblée des départements de France (ADF) rappelle, de son côté, avoir proposé, dans le cadre de la proposition de loi visant à faciliter l’accès aux stages des étudiants travailleurs sociaux adoptée en avril 2010 au Sénat (mais jamais inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale), de dédier, dans le cadre des enveloppes de crédits de la sécurité sociale et de l’Etat versées aux établissements associatifs, des fonds pour le financement des stages, considérés comme des « missions d’intérêt général ». Des dotations qui pourraient être payées aux sièges des associations, à charge pour eux de les répartir au sein de leurs structures. Dans le même souci d’améliorer la gestion des stages, l’ADF propose aussi d’inciter les centres de formation à constituer des groupements de coopération sociaux et médico-sociaux avec les organismes gestionnaires des établissements. Elle se dit prête à ressortir ces préconisations – qui ne créent toutefois une obligation financière que pour l’Etat – si le sujet devait être réexaminé.

« Il nous paraît urgent de redire que le système de formation est sérieusement menacé, insiste, de son côté, Olivier Cany, directeur général de l’Institut du travail social de Tours. Les débats parlementaires doivent se saisir au plus vite des spécificités des formations sociales pour permettre aux étudiants travailleurs sociaux d’achever leur cursus à un moment où la société française a plus que jamais besoin d’eux. »

Notes

(1) Qui a ajouté deux contraintes pour les terrains de stage ?: l’instauration d’une durée maximale de six mois par an des stages effectués par d’un étudiant dans une même entreprise et d’un délai de carence entre l’accueil de stagiaires successifs.

(2) Voir notre article « Gratification : lassitude et exaspération des centres de formation », dans les ASH n° 2687 du 17-12-10, p. 20.

Côté terrain

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