La notion de recherche-action, longtemps dominante, a laissé la place à celle de recherche participative ou à celle de recherche collaborative. Ces concepts restent toutefois relativement imprécis. Des chercheurs américains, Reason et Bradbury, ont fait une tentative de classification des recherches-actions dans laquelle ils incluent aussi bien les recherches collaboratives que les recherches participatives – qui, pour faire simple, embrassent les démarches d’empowerment – et les recherches coopératives – qui visent surtout à faire des professionnels des praticiens réflexifs. Lorsqu’on observe la littérature sur le sujet, on s’aperçoit que chaque auteur apporte sa couleur particulière. Un de mes collègues pratique par exemple ce qu’il appelle la « recherche-action-formation », qui a pour objet non seulement d’accompagner les praticiens selon les principes de la recherche collaborative mais aussi de les former au développement du pouvoir d’agir.
Pour ma part, m’inspirant d’autres chercheurs, je propose cette définition de la recherche collaborative : recherche qui a pour ambition de regrouper des personnes partageant des intérêts semblables et qui souhaitent analyser rigoureusement leur expérience pour tenter de répondre à des questions importantes pour eux, et changer des aspects de leur pratique. C’est une praxis au service du développement de connaissances nouvelles, qui utilise un procédé où se succèdent des épisodes réservés à la réflexion et d’autres à l’action.
Les questions auxquelles s’attachent la recherche collaborative sont issues de préoccupations qui émergent de la pratique. Selon l’idée que la réalité ne peut être appréhendée en dehors des acteurs, cette démarche mise sur leur intersubjectivité pour comprendre les problèmes et produire des connaissances pouvant nourrir à la fois les pratiques et les connaissances théoriques. Autre point, très proche : elle se fait « avec » et non pas « sur » les participants, ce qui déconstruit le mythe des chercheurs qui se situeraient au-dessus des acteurs. Ces derniers sont parties prenantes pour valider le processus de recherche et ses résultats. Enfin, cette méthode scientifique se caractérise par l’importance accordée à l’action : comprendre les difficultés générées par l’action est par principe considéré comme pertinent. De même qu’est pertinente la mise à l’épreuve des solutions élaborées dans le cadre de la recherche selon une démarche en spirale : les temps de travail en groupe sont suivis d’une mise en pratique des réponses imaginées, qui seront ensuite analysées en groupe, avant d’être ajustées et de nouveau appliquées sur le terrain… jusqu’à ce que les résultats obtenus conviennent globalement à tous.
Ils sont considérés comme des experts des situations qu’ils rencontrent et comme des partenaires indispensables pour élaborer et réaliser le projet de recherche ; ce sont des co-chercheurs et non pas de simples sujets venant servir les ambitions du chercheur. Dans le monde qui est le nôtre, mouvant et frénétique, n’importe quel professionnel élabore, pour s’adapter, des connaissances qu’il n’a bien souvent pas le temps d’expliciter. Cette approche lui permet de le faire tout en mettant en évidence leurs insuffisances pour construire des pistes de perfectionnement. En outre, à l’inverse des recherches classiques, l’approche n’a pas de prétention à la généralisation. Même si ses résultats peuvent être transposés dans d’autres contextes, elle s’intéresse d’abord à des situations locales et singulières.
J’ajouterai que la recherche collaborative est une démarche démocratique et partagée, basée sur le volontariat, qui donne la parole aux personnes. Elle sert la société dans son ensemble en construisant une connaissance qui vise l’émancipation individuelle et sociale. Elle nous invite à entrer dans une dynamique d’échanges : tout peut être objet de négociation, le projet de recherche comme le sens à donner aux résultats. Dans cette perspective, ce n’est pas le consensus absolu qui est visé, la dissension est également prise en compte.
Elle y reste globalement marginale par rapport à la recherche classique. Elle gagne néanmoins en importance, en particulier dans les sciences de l’éducation mais aussi dans le travail social, les sciences infirmières ou le monde de l’entreprise. Dans le champ de l’action sociale, des chercheurs utilisent également cette approche pour accompagner non pas des professionnels mais des publics – par exemple des populations immigrantes ou des jeunes en situation d’errance.
Je n’ai pas de vision globale des pratiques en cours. Toutefois, les démarches d’analyse institutionnelle (voir Gilles Monceau) ou de psychodynamique du travail (voir Christophe Dejours ou Dominique Lhuilier) me semblent correspondre à la recherche collaborative. Je suis convaincu que bien d’autres initiatives s’y apparentent. Un travail pour les répertorier en France et dans les pays francophones m’apparaît indispensable.
(1) Des recherches collaboratives en sciences humaines et sociales (SHS). Enjeux, modalités et limites – Sous la direction de Bruno Bourassa et Mehdi Boudjaoui – Presses de l’université Laval, 2012 ; Construction de savoirs et de pratiques professionnelles. Le double jeu de la recherche collaborative – Sous la direction de Bruno Bourassa, Geneviève Fournier et Liette Goyer – Presses de l’université Laval, 2013.