« Une première remarque : pauvreté ou exploitation des enfants ? Je n’ai aucunement soutenu que précarité et/ou pauvreté pourraient motiver une action en direction d’adultes mendiant avec des enfants. L’analyse concerne, très explicitement, les enfants exploités par des adultes afin de mendier. Le raccourci entre lutte contre la pauvreté et lutte contre la mendicité est éminemment discutable. Ne faire que le rapprochement entre mendicité avec enfants et situations précaires de leurs parents relève d’une montée en généralité et en angélisme. Certes les 5 ressources de ces adultes mendiant avec enfants sont assurément faibles et leurs conditions de vie dégradées. Mais le sujet n’est pas là. Il y a, dans bien des cas, exploitation de ces enfants. Il y a traite humaine. Voilà le scandale.
Un deuxième commentaire : le systématisme. Bien entendu, tous les enfants mendiant dans la rue avec des adultes ne sont pas exploités. Et il n’y a pas toujours traite humaine, défaut de soins ou mauvais traitements. Certes. Mais les contradicteurs, symétriquement, peuvent convenir que tous les enfants mendiant dans la rue avec des adultes ne sont pas avec leurs parents qui les aiment mais peuvent se retrouver avec des gens (parents ou non) qui les maltraitent. “Bien sûr, note M. Verdier, il y a des cas où il faudra aller vers une séparation.” On ne peut qu’être tout à fait d’accord ! En pensant tout de même que ces cas sont de moins en moins extraordinaires. Tout cela signifie qu’il ne faut certainement pas agir automatiquement dans le sens d’un placement, pardon d’un “accueil”. Mais que systématiquement on puisse agir, avec la perspective, d’une part, d’une séparation entre des enfants exploités et des adultes qui les maltraitent, et, d’autre part, d’une action résolue pour permettre à la cellule familiale aimante (lorsque c’est le cas) de ne pas se dissoudre ! Au final, c’est au juge de trancher. Bien entendu.
Une dernière observation : les causes et les effets. Toute proposition de prise en charge concrète est assez généralement critiquée comme ne s’attaquant ni aux causes ni aux racines, mais aux seuls symptômes de la pauvreté, à la partie émergée de l’iceberg. Dans cette affaire éternelle de démêlage des effets et des causes, soutenons seulement que proposer une possible et rapide séparation entre les enfants exploités et leurs exploiteurs pourrait, en termes de pauvreté, avoir un effet très positif sur ces très jeunes enfants. Renoncer à agir, avec coercition si nécessaire, c’est les abandonner à un avenir très défavorable. Au contraire, les prendre en charge, fermement, c’est leur ouvrir d’autres perspectives.
Ces enfants ne seraient pas mieux dans un foyer ou une famille d’accueil qu’aux mains de leurs exploiteurs, parfois bourrés de sédatifs, parfois battus ? Personne ne peut valablement le soutenir !
Une orientation : que chacun puisse agir ! Aujourd’hui, c’est, individuellement, l’impuissance pour tous les passants douloureusement affectés par ces situations insupportables. Et c’est, collectivement, un jeu que M. Ott appelle justement “patate chaude”. Relevons que ce jeu est parfaitement explicite dans le texte décrié. Tout le monde se renvoie la balle. Personne n’agit. Et ce n’est pas avec de vagues formules sur la nécessité d’innover ou de combattre la pauvreté plutôt que les pauvres que l’on avancera. Il est aisé de refaire le monde, mais plus difficile de proposer des perspectives pragmatiques. En l’espèce, il faut tout faire – informer, intervenir systématiquement – afin que la population puisse signaler et la police intervenir. Ensuite, on évalue, on décide. Le cas échéant, on précise les textes.
Il y aurait encore de nombreuses remarques à faire, sur les évolutions de la jurisprudence, de la qualification de la mendicité, de la caractérisation du défaut de soins et des mauvais traitements, sur les priorités et moyens de l’aide sociale à l’enfance, sur l’impérative européanisation du dossier. On peut aussi contester, à raison, la proposition car elle serait, par nature, provisoire. On continuera le débat. Mais concluons pour l’instant. La compassion pour ces enfants passe par de la dureté à l’égard des adultes qui les exploitent et par des places d’accueil afin de les mettre à l’abri et de leur offrir un avenir meilleur. Est-ce si scandaleux de préférer la fermeté réaliste à l’inaction compassée ? »
(1) Le « Point de vue » de Julien Damon a été publié dans les ASH n° 2807 du 26-04-13, p. 34 et les tribunes libres de Pierre Verdier et Laurent Ott dans les ASH n° 2810 du 17-05-13, p. 30.