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« Le rôle du père est toujours pensé en référence au maternage »

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Des pères qui grimpent dans des grues, des débats passionnés autour du mariage pour tous… La question de la paternité est d’actualité. Mais vingt ans après l’apparition des « nouveaux pères », qu’est-ce qui a réellement changé ? Le regard de l’ethnologue Danielle Boyer, qui a piloté un dossier sur le sujet dans la revue de la CNAF.
On parle des « nouveaux pères » depuis déjà une vingtaine d’années. Qu’est-ce qui a réellement changé concernant la paternité ?

Il y a eu des évolutions en termes de pratiques, d’images… On ne peut pas le nier. On parle différemment de la place des pères. Il demeure néanmoins une contradiction entre ce qui est dit et pensé et les réalités concrètes. L’un des obstacles majeurs à une évolution réelle des pratiques des pères me paraît être leur mode d’inscription dans la vie professionnelle. Il est vrai que, dans l’inconscient collectif, un homme doit travailler, être responsable, apporter des ressources à sa famille… C’est quelque chose de très fort. D’autant qu’en cas de séparation, sa capacité financière reste un moyen important pour maintenir un lien avec ses enfants. Les pères en situation de fragilité économique sont encore plus en difficulté à cet égard. Il existe donc un marquage qui fait que les hommes ne s’autorisent pas à s’écarter des normes en vigueur dans le monde du travail, par exemple en ne demandant pas à passer à temps partiel pour s’occuper des enfants. De même, les hommes en congé parental le justifient non pour des raisons de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, mais plutôt par une meilleure organisation du temps de travail leur permettant d’être plus productifs. C’est vraiment autour du rapport à l’emploi des hommes que la conception de la paternité pourrait évoluer, en leur permettant, à terme, un investissement différent dans la sphère familiale.

Mais qu’est-ce que la paternité ?

L’une des difficultés est qu’il n’existe pas de définition normative de la paternité, en tout cas beaucoup moins que pour la maternité, qui fait l’objet d’une injonction sociale forte. On s’en rend compte lorsqu’on observe les pères isolés, qui ont bien du mal à se définir en tant que tels. Il semblerait que cette absence de définition claire constitue un obstacle pour les pères. Je pense pour ma part que c’est au contraire une possibilité qui leur est donnée de choisir dans un éventail large. La définition de la paternité relève d’abord d’une intention, d’un choix individuel.

La représentation de la paternité a fortement évolué…

On est en effet passé de la figure du pater familias autoritaire et tout-puissant à des figures multiples de la paternité. On va aujourd’hui vers un père plus proche de l’enfant, avec l’émergence d’une paternité du quotidien, qui n’est d’ailleurs pas si récente que ça. Le problème est que le rôle du père est toujours pensé en référence au maternage. Il a du mal à s’autonomiser par rapport à cette figure maternelle. En outre, la paternité reste souvent associée à une figure d’autorité. Beaucoup de travaux sur la paternité ont en effet été portés par des psychologues pour lesquels la problématique de l’autorité et de l’interdit demeure centrale. Ils ont du mal à se démarquer d’une représentation de rôles paternels et maternels très différenciés.

Les tâches parentales restent largement assumées par les femmes. Pour quelles raisons ?

Une première explication est que les femmes ont souvent du mal à passer la main dans ce domaine. Elles sont prises dans une forme de contradiction. Mais, surtout, l’égalité dans la sphère familiale reste complètement tributaire de ce qui se passe dans la vie professionnelle. Tant que des inégalités entre hommes et femmes se maintiendront dans le monde du travail, elles se répercuteront sur la vie familiale. Dans la mesure où les hommes ont en général des emplois et des salaires plus intéressants que ceux des femmes, ils sont moins enclins à s’en déposséder au profit de la famille. Alors que les femmes, en raison de ces inégalités et de l’éducation qu’elles ont reçue, sont plus naturellement portées à investir la sphère familiale. En outre, comme on l’a vu, l’identité des pères reste très liée à leur identité professionnelle. Tout cela contribue au maintien de l’inégale répartition des tâches domestiques entre hommes et femmes.

Comment se joue la paternité après le divorce ?

Seuls 15 % des pères ont la garde des enfants à la suite d’une séparation. Il est très rare que les pères conservent la garde des enfants d’un commun accord, pour la simple raison que, pour une femme, ne plus avoir la garde des enfants est très stigmatisant, renvoyant l’image de la mauvaise mère. De son côté, le père, lorsqu’il n’a pas la garde, est plutôt confronté à une détérioration de ses liens avec ses enfants. Et plus la séparation a lieu tôt, lorsque les enfants sont jeunes, plus ces liens vont s’étioler. Bien souvent, après une séparation, les hommes refont leur vie et ont d’autres enfants. C’est beaucoup moins le cas chez les femmes séparées lorsqu’elles ont des enfants. Les hommes, eux, investissent à nouveau la paternité. On trouve d’ailleurs parmi ceux qui bénéficient d’un congé parental de nombreux pères engagés dans une seconde union.

De quelle façon la situation des pères isolés pourrait-elle préfigurer une paternité repensée ?

A partir de ce qu’ils vivent, il est possible d’essayer d’envisager une paternité sans lien systématique avec la maternité. Il est frappant de voir que les pères isolés parlent de leur paternité comme de quelque chose qu’ils doivent apprendre, qui ne leur est pas naturel… En même temps, on s’aperçoit qu’ils jouent ce rôle de parent en solo presque comme les mères isolées. Pour le dire simplement, en matière de parentalité, l’occasion fait le larron. Le parent isolé, quel que soit son sexe, assume plus ou moins les deux casquettes ou, en tout cas, invente une forme de lien à l’enfant déconnecté du lien exclusif mère-enfant. Du coup, cela dénaturalise la maternité et la paternité. Il est dommage que l’on ne réalise pas plus d’études sur le quotidien de ces pères seuls car je crois que l’on avancerait sur ce qu’est concrètement la paternité, mais aussi la maternité.

On a vu récemment des pères mener des actions médiatiques pour se faire entendre. Est-ce un phénomène nouveau ?

Non, ce mouvement revendicatif existe aux Etats-Unis depuis les années 1970. En France, il se développe depuis les années 1990, en particulier au travers de l’association SOS papa. Bien souvent, les pères qui s’expriment dans ces associations se situent dans une revendication de leurs droits, pas dans une optique d’égalité entre hommes et femmes. L’association SOS papa revendique notamment une paternité d’autorité assez traditionnelle, remettant en cause le rôle des mères dans l’éducation des enfants. Elle ne s’inscrit pas dans la revendication d’un droit partagé. Ces pères militants jugent de façon critique une société qu’ils considèrent trop féminisée, par exemple avec des juges et des travailleurs sociaux qui sont le plus souvent des femmes. Il est vrai que l’on accorde beaucoup plus souvent la garde des enfants aux mères qu’aux pères, surtout lorsque les enfants sont jeunes. C’est sans doute quelque chose que l’on pourrait questionner.

Le débat autour du mariage pour tous interroge, lui aussi, la paternité…

De fait, la paternité homosexuelle renvoie au débat de fond sur ce que sont en réalité la maternité et la paternité. S’agit-il de comportements liés à la nature même des personnes et qui ne se discutent pas ou, au contraire, de constructions sociales que l’on peut déconstruire, désessentialiser ? Les nouvelles formes de paternité, qu’elles soient gays ou lesbiennes, devraient permettre de mieux analyser et comprendre jusqu’où aller dans cette direction.

Quelle peut être l’action des pouvoirs publics en matière de paternité ?

On peut déjà constater que, dans ce domaine, ils sont très peu actifs. S’ils voulaient vraiment faire en sorte que les pères participent davantage à l’éducation des enfants, les pouvoirs publics pourraient être beaucoup plus insistants. La politique familiale actuelle revendique une forme de neutralité qui n’est que d’affichage. C’est une très bonne politique dans la mesure où elle permet aux femmes de continuer à travailler tout en ayant des enfants, mais elle ne permet pas aux hommes de faire le chemin inverse, c’est-à-dire d’avoir la possibilité de s’occuper de leurs enfants tout en continuant à travailler. Il y a un énorme travail à faire dans ce domaine. On pourrait imaginer une politique familiale beaucoup plus incitative à l’égard des pères. Cependant, les hommes eux-mêmes paraissent assez peu mobilisés sur cette question. Même ceux qui sont très investis dans leur vie familiale sont assez peu porteurs de revendications militantes.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Danielle Boyer est ethnologue. Chargée de recherche sur la petite enfance à la caisse nationale des allocations familiales, elle y est en outre responsable de l’Observatoire national de la petite enfance. Elle a coordonné le n° 176 d’Informations sociales (mars-avril 2013) sur le thème : « La paternité aujourd’hui ».

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