« Le point de vue de Julien Damon a le mérite de poser indirectement la question de la pauvreté des enfants et bien sûr aussi des plus jeunes en France. En revanche, nous ne comprenons pas très bien par quel subterfuge M. Damon fait relever d’une nécessité du placement, et donc d’un jugement sur l’entourage familial et parental, ce qui relève justement de cette pauvreté.
Le fait en lui-même est connu : qu’on le mesure selon les critères habituellement reconnus ou depuis un autre point de vue, comme celui de l’étude des privations, la pauvreté des enfants, en France, explose. Or nous ne voyons toujours pas dans notre pays se dessiner de véritable politique d’accompagnement de la petite enfance qui ne se réduise pas à du fractionnement de places en crèche. Où sont les innovations, où sont les accueils de jeunes enfants en milieu ouvert qui seraient également nécessaires ?
Par ailleurs, l’association dans laquelle je m’implique, Intermèdes Robinson, à Longjumeau (Essonne), est justement en lien avec des enfants et des parents d’origine roumaine, de la minorité rrom, qui sont très probablement visés par l’article de M. Damon. Rappelons que les adultes de cette minorité n’ont pas le droit de travailler en France, qu’ils ne perçoivent pas les allocations familiales, que plus de la moitié d’entre eux ne bénéficient pas de l’aide médicale de l’Etat. On comprend à ce compte que les adultes aient recours à la mendicité, ne serait-ce que pour répondre aux plus élémentaires besoins de leurs enfants. Il est curieux que M. Damon taise cet aspect de la réalité. Par ailleurs, s’il s’indigne de la présence des jeunes enfants lors de ces longues périodes de “manche”, peut-être peut-il considérer qu’il s’agit aussi pour les mères de garder leur enfant près d’elles ? Quelle structure accepterait de les prendre en charge pendant ce temps ?
Il est curieux alors que ce soit le placement et non l’accueil de la petite enfance, ou l’insertion des parents, que propose M. Damon. Il a bien raison pourtant de relever le coût abusif de tels placements. Peut-être faudrait-il aussi ajouter les doutes qu’on peut avoir sur leurs effets, tant sur les familles concernées que sur les enfants. N’y a-t-il donc pas d’autres moyens éducatifs à mettre en place ?
Enfin, M. Damon néglige un autre pan de la réalité : les services d’aide sociale départementaux ne se précipitent guère pour venir en aide aux enfants de parents précaires et sans domicile. Les pratiques observées relèvent même de la “patate chaude”. En contrepartie de quelques nuits au 115 pour une minorité à qui on impose un “nomadisme hôtelier” (un autre et plus véritable scandale sur lequel il faudrait revenir), on n’hésite pas à mettre des dizaines de familles avec enfants à la rue, sans solution et sans trop se poser de questions.
De toute façon, la responsabilité des services concernés est très vite renvoyée vers le labyrinthe des services d’hébergement d’urgence. Les familles sont renvoyées en dehors du département ; la trace en est perdue, ce qui évite d’affronter le problème de leur suivi.
Ainsi M. Damon semble méconnaître les réalités les plus simples du secteur social. Il ignore dans sa prise de position que l’argument de la négligence parentale permet souvent de passer sous silence des négligences institutionnelles avérées, et qui nous obligeraient d’urgence à repenser notre dispositif de protection de l’enfance. Il ne suffira pas d’entretenir perpétuellement de vieilles solutions qui font la preuve aujourd’hui de leur inadaptation aux nouvelles réalités sociales et particulièrement à la précarité.
Il est urgent aujourd’hui de sortir de l’alternative entre placement et assistance éducative, car toutes ces mesures ont trouvé leurs limites. A quand le courage de faire autre chose et d’enfin soutenir l’innovation ? »
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