Recevoir la newsletter

« L’urgence n’est pas de faire parler les gens mais de les protéger et de les rassurer »

Article réservé aux abonnés

Prendre en charge la souffrance des victimes ou des témoins de catastrophes, de morts violentes ou d’attentats est une nécessité aujourd’hui admise. Mais la bonne volonté ne suffit pas, prévient Hélène Romano, spécialiste de l’intervention médico-psychologique d’urgence. Dans un ouvrage, elle détaille l’organisation et les techniques de ces interventions particulières.
Quand les cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) sont-elles nées ?

Elles ont été créées à la suite des attentats parisiens des années 1995-1997. Il y avait eu beaucoup de blessés, avec des gens très perturbés sur le plan psychique sans avoir d’antécédents de maladies psychiatriques. Jacques Chirac, président de la République, et Xavier Emmanuelli, secrétaire d’Etat à l’action humanitaire d’urgence, se sont alors rendu compte qu’il fallait proposer quelque chose. Les seules personnes disposant d’une compétence dans ce domaine étaient les psychiatres militaires. Les cellules d’urgence médico-psychologique ont donc été bâties par Louis Crocq, un médecin général des armées. Elles sont rattachées au SAMU dans chaque département, chacune étant composée d’un mi-temps de psychiatre, d’un mi-temps de psychologue ou d’infirmier psychiatrique, d’un mi-temps de secrétaire et d’une équipe de volontaires. Malheureusement, ces derniers ont souvent du mal à se libérer, car leurs propres institutions sont déjà en pénurie d’effectifs. Dans le Val-de-Marne, ces volontaires – infirmiers, psychiatres et psychologues – interviennent fréquemment sur leur temps libre.

Quelles sont les modalités d’intervention des cellules ?

Elles ont vocation à intervenir sur tout événement traumatique de nature collective – en clair, lorsque la mort est vécue de très près, que ce soit un suicide, une mort violente, un décès accidentel… parfois un viol. Récemment, une mère de famille logée dans un hôtel par l’aide sociale à l’enfance a été découverte morte, son décès remontant à quatre jours. Elle avait un petit enfant à côté d’elle. Les assistantes sociales ont alerté la CUMP du Val-de-Marne car sept ou huit mères et des jeunes enfants étaient présents lors de la découverte du corps, qui était dans un état épouvantable. En revanche, les cellules n’interviennent pas pour les situations de deuil. Ce n’est pas notre rôle. Le deuil n’est pas une maladie. Etre triste, pleurer, ne pas être bien parce que l’on a perdu un collègue, c’est normal.

Concrètement, que faites-vous sur le terrain ?

La première urgence est de faire le tri entre les personnes. Certaines peuvent être totalement sidérées, n’arrivant pas à bouger, ne répondant pas à leur nom. Elles peuvent se mettre en danger sous le coup de la panique et nécessitent des soins psychiatriques d’urgence. D’autres sont dans un état de stress dépassé mais n’ont pas forcément besoin de passer par une hospitalisation. On essaie alors de les isoler au maximum du lieu du traumatisme. Enfin, il y a toutes les personnes bouleversées mais qui conservent un comportement adapté. L’urgence, contrairement à ce que l’on dit souvent, n’est pas de faire parler les gens. Ils sont dans un tel état de bouleversement que l’on risque de les blesser encore plus. Il s’agit d’abord de les protéger, d’éviter qu’ils soient exposés au corps, de les rassurer. On se situe dans le cadre des interventions médico-psychologiques immédiates (IMPI). On parle alors de « défusing » ou de « déchoquage psychique ». Pour réanimer des personnes en état de choc ou de stress dépassé, pour les réinscrire dans la réalité, nous employons des techniques de verbalisation, de contenance, d’accrochage au niveau comportemental et visuel. Un travailleur social formé peut d’ailleurs tout à fait participer à ce type d’intervention. Dans le Val-de-Marne, environ 30 % de l’activité de la CUMP concerne des décès en entreprise par accident ou suicide. Un autre tiers des interventions est réalisé en établissement scolaire pour des suicides, des crimes, des décès de trajet, etc. Le reste des interventions est constitué pour l’essentiel de décès sur la voie publique, avec actuellement beaucoup de personnes défenestrées ou de suicides dans le métro. A cela s’ajoutent des interventions aéroportuaires à Orly et, parfois, des morts violentes dans des établissements éducatifs. Nous sommes également sollicités pour des cas de viol.

Les équipes revoient-elles les victimes après ?

Oui, lors de ce qu’on appelle le « débriefing » ou « intervention psychothérapeutique post-? immédiate » (IPPI). Cela consiste à réaliser, entre trois et dix jours après l’événement traumatique, une intervention auprès de l’individu ou du groupe concerné. Ce débriefing fait l’objet de certaines critiques – à juste titre –, car il est parfois réalisé par des personnes, notamment des psychologues, qui croient bien faire en organisant ces groupes de parole sans être formés. Or l’IPPI ne peut être mise en œuvre que par des psychiatres ou des psychologues spécialement formés, car il faut être capable de repérer des troubles cliniques précis. Il arrive d’ailleurs que des personnes décompensent lors du débriefing. Ce n’est donc pas aux travailleurs sociaux d’organiser ces groupes, mais ils peuvent tout à fait participer à des temps d’information ou d’échange plus classiques.

Comment définir un traumatisme psychique ?

Il se caractérise par l’effraction de l’appareil psychique de façon violente et inattendue. L’être humain dispose de capacités d’élaboration et de mécanismes de défense, mais, au moment de la confrontation avec la mort, ceux-ci sont mis à mal. Le propre du trauma est de priver la personne de ses repères. Elle ne sait plus où elle en est. Il y a aussi une notion d’avant/après et de surprise brutale, comme pour des parents dont l’enfant est décédé accidentellement. En revanche, lorsqu’un enfant meurt de maladie après des mois d’hospitalisation, il y a bien sûr un traumatisme, mais les parents ont déjà pu mettre en place des mécanismes permettant d’anticiper le deuil.

Quand peut-on parler de stress posttraumatique ?

Cette notion est souvent utilisée à tort. Le stress posttraumatique ne peut être diagnostiqué qu’environ un mois après l’événement. Si quinze jours après l’événement des personnes font des cauchemars, ne se sentent pas bien, présentent des conduites d’évitement, ce n’est pas forcément pathologique. Cela ne signifie pas qu’on ne va rien faire, mais on ne peut pas déjà parler d’état de stress posttraumatique.

Les traumatismes psychiques ont-ils les mêmes conséquences chez les enfants que chez les adultes ?

Les troubles chez l’enfant sont au contraire très particuliers et demeurent largement méconnus. Il est assez dramatique de voir que l’on continue à banaliser la situation des enfants soumis à un traumatisme psychique. On l’a constaté encore récemment avec les enfants de la famille enlevée pendant deux mois au Nigeria. Ils ont vécu dans des conditions épouvantables, et à leur retour, certains professionnels affirmaient qu’ils n’étaient pas traumatisés, car ils étaient trop petits pour avoir compris. Or, justement, les enfants ont moins de ressources que les adultes pour penser l’événement. Si l’on attend que l’enfant exprime sa souffrance traumatique comme un adulte, on va passer à côté en croyant qu’il va bien. L’enfant peut présenter ce qu’on appelle un « faux self ». D’une certaine façon, il fait semblant pour se protéger du traumatisme et éviter – du moins le croit-il – de fragiliser les adultes. Des générations d’enfants traumatisés par des morts violentes se retrouvent plus tard en grande difficulté. Leur part en souffrance ne s’est jamais exprimée, enfermée dans leur psychisme. On peut tenir très longtemps de cette façon, mais lorsque cela s’effondre, c’est redoutable.

Les travailleurs sociaux sont-ils formés sur ces questions ?

Ils ne le sont malheureusement pas, mais ils ne sont pas les seuls. C’est également le cas de nombreux psychologues, psychiatres et pédiatres. Des conseils généraux et des associations organisent des formations à destination des professionnels du soin et de l’éducatif, mais ils sont encore trop rares à le faire. Pourtant, les travailleurs sociaux sont souvent sollicités lors de la mise en place de cellules de crise au sein de l’aide sociale à l’enfance ou de l’Education nationale. De même, les assistantes sociales des municipalités peuvent être mobilisées en cas de catastrophe, mais elles ne sont pas toujours formées pour cela. Le plus important est de ne pas rester seul sur ces questions et de mettre en place un réseau, tout en restant prudent, car certaines associations intervenant auprès des victimes peuvent présenter des dérives sectaires ou être pleines de bonne volonté mais incompétentes. Il est donc important de travailler avec des gens connus et reconnus.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Docteure en psychopathologie clinique, psychologue clinicienne, Hélène Romano est spécialisée dans le psycho-traumatisme. Elle coordonne la cellule d’urgence médico-psychologique du Val-de-Marne et la consultation de psycho-traumatisme au CHU Henri-Mondor de Créteil. Elle publie L’aide-mémoire de l’urgence médico-psychologique (Ed. Dunod, 2013).

Rencontre

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur