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« Une inquiétante intimité »

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Pénétrer dans l’intimité de la famille ne bouleverse pas que la famille. Le travailleur social peut aussi se sentir en danger.

« Le professionnel a ses propres limites psychologiques », observe le psychosociologue Elian Djaoui, auteur de l’ouvrage Intervenir au domicile (1). A l’écoute des difficultés de la famille, il peut se sentir désorienté ou déstabilisé, voire en danger, lorsque les façons de faire des personnes sont très différentes des siennes ou lorsqu’il est confronté à l’intolérable. « Beaucoup sont réticents, car ils ont vécu des expériences difficiles », poursuit Elian Djaoui. Et de citer l’exemple d’une auxiliaire de vie sociale qui sait que, quelle que soit l’heure de sa visite, la personne âgée l’attend nue sous sa douche. Et de cette autre qui se rend chez une personne handicapée dont la principale activité consiste à regarder des films porno en sa présence… D’autres professionnels ne supportent tout simplement pas d’être confrontés, comme il arrive parfois, à la saleté, aux bouteilles d’alcool sur le sol, voire aux rottweilers…

Elian Djaoui met également en évidence chez les intervenants à domicile l’« ambivalence qui fait coexister désir de voir et interdit » (2) : « S’intéresser aux souffrances de l’autre et désirer l’aider participent des pulsions voyeuristes. Cette position de voyeur/écouteur génère chez le professionnel un sentiment de culpabilité », explique-t-il. Sentiment qui peut se traduire, dès lors qu’il faut transmettre les informations recueillies, par une impression de trahison vis-à-vis de la famille.

Face à cette « inquiétante intimité », les professionnels vont mettre en place des stratégies d’évitement. Le psychosociologue en distingue trois : la première insiste sur la technicité de l’intervention. « Le professionnel pense que la famille souffre d’un problème ou vit une situation de crise pour des raisons considérées comme extérieures. » Le service est alors « censé combler un besoin. On refuse de parler de demande ; expression d’une souffrance, celle-ci relève de la sphère de l’intime. Le besoin, élément objectivable et quantifiable, est déterminé par la puissance publique et justifie les politiques sociales que le professionnel doit appliquer. »

La deuxième stratégie d’évitement interprète les difficultés familiales en termes de compétences (ou d’incompétences) parentales. « Dans ce schéma de pensée, on transforme des éléments relevant de la sphère intime (malaise à vivre, conflits conjugaux et/ou intergénérationnels, tensions familiales, etc.) en termes objectivables d’incompétences. Ces carences sont évaluées, analysées et traitées à l’aide de grilles par des professionnels, experts, qui visent à accroître les compétences de ces parents défaillants. »

Quant à la dernière stratégie, elle vise à redéfinir la relation professionnel/usager sous le signe du partenariat, comme s’il existait une symétrie entre le travailleur social et la famille. Or le professionnel « représentant une organisation possède une légitimité et des compétences dont la famille est dépourvue. Surtout, il a un droit de regard sur l’intimité de la famille. Il est autorisé (voire est dans l’obligation) à intervenir dans cet espace-là ; la réciproque est impossible. »

Notes

(1) Presses de l’EHESP, 2008

(2) Voir aussi son article « Travailler avec l’intimité des familles » – Informations sociales n° 133, 2006/5 – En ligne sur www.cairn.info/revue-informations-sociales-2006-5-page-20.htm.

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