Combien de fois Jeanne et Tristan Auber ont-ils songé à un accident, « en voiture ou à l’école », qui les « priverait de cet enfant si lourd » sans porter la responsabilité de sa mort Combien de fois se sont-ils imaginés se jetant dans la Seine, leur fille aînée dans les bras, afin de « débarrasser la famille de l’enfant ingérable et de l’adulte dépressif en même temps » ? Pourtant, le jour où Julie s’est trouvée prise de convulsions sur la banquette arrière de la voiture, où sa mère l’a tirée sur la chaussée, livide et les yeux révulsés, tentant un massage cardiaque tout en appelant les pompiers, l’idée même d’une mort imminente n’a fait qu’attiser leur combativité. « Nous avons passé notre temps à nous battre pour qu’elle marche, qu’elle mange seule, soit propre, parle, lise, et il faudrait que je me calme alors que j’ai cru la tenir morte dans mes bras ? » écrit Jeanne Auber. Depuis vingt ans, Jeanne et Tristan Auber luttent pour élever leur fille aînée, Julie, porteuse d’une anomalie génétique rare, source de handicaps multiples. Deux décennies d’amour et d’épuisement, de course au diagnostic et de rencontres avec des soignants et des travailleurs sociaux attentionnés ou pressés, expéditifs ou désarmés. Le couple s’est autorisé à revenir sur cette histoire familiale hors normes, échangeant par écrit souvenirs, regrets et doutes. Au fil de sa correspondance, Jeanne Auber raconte notamment la difficulté à trouver des établissements adaptés pour sa fille, dénonçant le manque de places, le casse-tête des démarches administratives, déplorant un discours sur l’intégration loin de la réalité. De bons souvenirs surgissent aussi : « Nous avons continué à vivre, à rire même parfois. Nous avons en mémoire des fous rires partagés avec Julie quand elle nous étonne. Elle a ces forces-là, au-delà de ses déficiences, au-delà de ses troubles du comportement, de sa violence : elle est touchante, et elle surprend. » Cathartique pour les parents de Julie, la forme épistolaire de l’ouvrage semble surtout symbolique de l’inévitable fracture survenue dans le couple. Comme si continuer à s’aimer malgré « la colère et la souffrance », affronter ensemble les pires épreuves, recevoir de l’autre un soutien sans faille ni jugement ne préservaient pas toujours de la solitude.
Bonjour, jeune beauté !
Jeanne et Tristan Auber – Ed. Bayard – 17 €