Le document était attendu puisqu’il servira de base, au moins sous certains aspects, à la prochaine loi relative à l’immigration. Le député (PS) du Lot-et-Garonne, Matthias Fekl, a remis le 14 mai au Premier ministre un rapport (1) dans lequel il aborde trois sujets. Il propose en premier lieu un cadre susceptible d’accueillir le nouveau titre pluriannuel de séjour promis par le gouvernement (2), censé faciliter la vie des étrangers en situation régulière en France. Il évoque, dans un deuxième temps, les pistes possibles pour améliorer l’accueil de la population étrangère par l’administration et les processus de traitement des demandes d’accès au séjour. Avant, en dernier lieu, d’aborder la question du contrôle juridictionnel de la rétention et de l’éloignement, avec la présentation de plusieurs scénarios pour parer aux « nombreux problèmes de principe » causés par la loi « Besson » du 16 juin 2011 et l’inversion, s’agissant du contentieux de la rétention administrative, de l’ordre d’intervention des juges judiciaire et administratif (3). Au total, le député émet 25 propositions déclinées en une cinquantaine de pages. Tour d’horizon des principales préconisations.
C’est l’une des rares promesses de campagne de François Hollande en matière d’immigration et elle sera traduite dans le projet de loi relatif à l’immigration qui, selon Matignon, sera présenté en conseil des ministres « avant l’été » : la généralisation de la délivrance de titres de séjour pluriannuels, pour la quasi-totalité des procédures d’accès au séjour, que les personnes aient vocation à demeurer durablement sur le territoire ou qu’elles ne soient amenées à ne rester que temporairement en France. Actuellement, les situations dans lesquelles un titre pluriannuel est délivré sont très limitées pour les étrangers non communautaires. La grande majorité est obligée, en tout cas au cours des premières années qu’ils passent sur le territoire français, d’effectuer des visites régulières en préfecture, « généralement coûteuses – au moins en temps et en énergie, mais aussi en argent – et surtout anxiogènes », écrit Matthias Fekl, dénonçant en particulier les conditions dans lesquelles il est procédé aux renouvellements des titres.
Le député, pour qui le périmètre de mise en œuvre du titre de séjour pluriannuel doit être le plus large possible, énumère les catégories d’étrangers qui devraient selon lui être concernées : jeunes majeurs, conjoints entrés au titre du regroupement familial, étrangers admis au séjour au titre de « liens personnels et familiaux », admissions exceptionnelles au séjour répondant à des « considérations humanitaires » ou à des « motifs exceptionnels », étrangers malades, visiteurs, conjoints de Français, parents d’enfants français, étudiants, salariés, professions commerciales, industrielles ou artisanales, admissions exceptionnelles au séjour au titre du travail.
Quelle durée pourrait couvrir le titre pluriannuel ? Et à quel moment serait-il délivré ? Pour Mathias Fekl, sa délivrance aurait vocation à concerner une majorité d’étrangers à l’issue d’une année de séjour régulier, sous couvert d’une carte de séjour temporaire (CST) ou d’un visa de long séjour dispensant de titre de séjour (VLS-TS). Dans le détail, deux options apparaissent envisageables à ses yeux :
→ soit un titre pluriannuel valable quatre ans, délivré à l’issue de la première année de séjour régulier sur le territoire, sous couvert d’une CST ou d’un VLS-TS de un an ;
→ soit un titre pluriannuel valable trois ans, délivré après deux ans de séjour régulier sous couvert d’un VLS-TS puis d’une CST d’un an ou de deux CST de un an. Une seconde option qui « pourrait être réservée aux cas où, pour des raisons particulières, l’admission au séjour au terme de la première année ne paraîtrait pas souhaitable ».
Pour certains étrangers, le titre pluriannuel délivré pourrait encore être d’une durée différente, soit parce qu’ils n’ont a priori vocation à demeurer sur le territoire que pour une période temporaire (par exemple les étudiants, pour lesquels l’idée est d’aligner la durée du titre sur celle des études), soit parce qu’ils pourraient prétendre plus précocement à la carte de résident (conjoints et enfants d’un titulaire d’une carte de résident entrés au titre du regroupement familial, conjoints de Français, parents d’enfants français). Dans le cas d’étrangers malades, la durée de validité du titre ne serait même pas préétablie puisqu’il s’agirait d’un titre d’une durée correspondant à celle des soins (de un à quatre ans, toutefois), tant que l’accès à ceux-ci n’est pas possible dans le pays d’origine. Différents types de parcours administratifs seraient en fait possibles. Le député en donne plusieurs exemples.
A noter : dans l’esprit de Matthias Fekl, la délivrance d’un titre de séjour pluriannuel ne serait pas automatique puisque subordonnée à l’accomplissement par l’étranger qui en sollicite l’obtention des efforts d’intégration qui sont attendus de lui (notamment matérialisés par son respect des stipulations du contrat d’accueil et d’intégration). Le député estime par ailleurs que l’élargissement des possibilités de délivrance de titres pluriannuels devrait s’accompagner de nouvelles modalités de contrôle.
Matthias Fekl émet, dans la deuxième partie de son rapport, un ensemble de propositions visant à améliorer non seulement les conditions d’accueil des étrangers mais aussi celles de traitement de leurs demandes. Sur ce dernier point, il insiste en particulier sur la nécessité d’harmoniser les pratiques. Il estime notamment que trois « situations particulières et étapes clés des procédures » mériteraient d’être clarifiées par circulaire. Il considère ainsi que les refus de remise de titre prononcés aux guichets devraient faire l’objet d’un encadrement beaucoup plus strict. Par ailleurs, « une règle précise et intangible » gagnerait à être fixée s’agissant d’une remise d’un récépissé de dépôt, qui doit en principe constituer la règle dès lors qu’un dossier complet est déposé par l’usager. Enfin, le député estime que les conditions de recours au dispositif de rejet implicite des demandes mériteraient d’être précisées, « les pratiques apparaissant sur cet aspect également extrêmement variables d’une préfecture à l’autre ».
Plus largement, Matthias Fekl pense qu’une réflexion devrait être engagée pour mieux encadrer le pouvoir d’appréciation des préfets, en particulier en matière d’immigration familiale et d’admission exceptionnelle au séjour.
Le troisième volet du rapport est consacré à une réforme très critiquée mise en place sous l’ancienne majorité à travers la loi « Besson » du 16 juin 2011, ayant conduit à retarder l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) dans les procédures de rétention administrative précédant une expulsion. Depuis lors, c’est le juge administratif – qui est le juge de la décision d’éloignement au fondement de l’ensemble de la procédure – qui intervient en premier, dans les cinq premiers jours de rétention. Et, alors qu’il pouvait auparavant vérifier la validité d’une procédure dans les 48 heures suivant un placement, le juge judiciaire n’intervient plus qu’au-delà de ces cinq jours pour se prononcer sur la prolongation de la rétention. Autrement dit, la loi « Besson » a inversé l’ordre d’intervention des juges judiciaire et administratif.
Matthias Fekl alerte sur le fait que cette réforme a eu pour conséquence d’augmenter significativement le nombre des étrangers éloignés sans que leurs conditions de placement en rétention aient pu être contrôlées par le JLD (ce nombre passant de 22 % des personnes placées en rétention début 2011 à 62 % en 2012). Pour remédier à ce problème – qui expose la France à des condamnations internationales –, Matthias Fekl propose trois solutions. La première reviendrait à étendre les pouvoirs du juge administratif, qui se verrait confier la responsabilité de contrôler la régularité des conditions d’interpellation des ressortissants étrangers placés en rétention. Une option cependant « difficile à mettre en pratique » d’un point de vue matériel. Autre scénario : celui d’une intervention du JLD a priori, dès le début du placement en rétention, voire pour autoriser celui-ci. « La meilleure option possible » aux yeux du député… dans l’absolu. Mais son application « exigerait une mobilisation de moyens importants ». Trop, « dans les temps actuels ». Tant et si bien que la troisième et dernière solution possible représente in fine « la seule option » : un retour à la situation qui prévalait avant l’entrée en vigueur de la loi « Besson ». Autrement dit une saisine du juge des libertés et de la détention après 48 heures de rétention au lieu de cinq jours.
On notera que Matthias Fekl plaide, au passage, pour supprimer le délai maximum de rétention porté à 45 jours par la loi « Besson » pour le ramener, sauf cas dérogatoires, à 30 jours maximum. Les statistiques ont en effet montré que « très peu d’éloignements sont réalisés après la fin du 32e jour de rétention ».
(1) Sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France – Matthias Fekl – Mai 2013 – Disp. sur