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Violences sexuelles : aider les jeunes victimes à sortir du silence

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Des unités d’accueil médico-judiciaires en milieu hospitalier ont été mises en place à la fin des années 1990 afin d’aider au recueil de la parole des enfants victimes de violences sexuelles et/ou autres sévices. Malgré leur intérêt, elles sont très insuffisamment répandues.

Dans une affaire d’agression sexuelle présumée par ascendant, Paul, 8 ans, est entendu au commissariat. Questions et réponses se succèdent, couvertes par le bruit de mitraille incessant de la machine à écrire. Cette audition filmée montre un enquêteur plus concentré sur son clavier que sur son jeune interlocuteur. Quant à ce dernier, tétanisé, il se recroqueville de plus en plus et glisse progressivement sur l’avant de son siège jusqu’à être totalement hors champ pendant 20 minutes d’enregistrement. Seul le fauteuil vide apparaît à l’écran. « Il n’y avait rien à entendre qu’une voix dévitalisée, désincarnée, sans qu’on puisse voir les mimiques de l’enfant ni celui-ci se tordre les mains », se souvient Sophie Valente, aujourd’hui substitut du procureur d’Angers. « C’était en août 2010, dans une juridiction ne disposant pas d’unité d’accueil médico-judiciaire [UAMJ] pour l’audition des enfants victimes de violences sexuelles », précise l’intéressée. « N’ajoutons pas de la souffrance à la souffrance ! La vulnérabilité des enfants appelle un devoir d’assistance pour les aider à sortir de leur prison de silence », plaide la magistrate. De fait, là où existe une UAMJ (1) – soit dans moins d’un tiers des ressorts des 161 tribunaux de grande instance –, le recueil de la parole et la prise en charge médicale, psychologique et sociale des enfants se trouvent grandement facilités et améliorés.

L’originalité de ces structures est de marier la plainte et le soin. Les UAMJ sont des espaces où se déroule cet élément clé de la procédure judiciaire qu’est l’audition d’une victime, mais la déposition du mineur est réalisée dans un environnement spécialisé et sécurisant, le milieu hospitalier. Ce sont les officiers de police judiciaire – gendarmes ou policiers – qui vont au-devant de l’enfant pour l’entendre. « Avant d’être un “plaignant”, l’enfant victime de violences sexuelles, physiques et/ou psychologiques est un enfant souffrant. Or les personnes blessées, on les emmène à l’hôpital, pas au commissariat », déclare Martine Brousse, déléguée générale de La Voix de l’enfant (2), structure fédérative regroupant 78 associations de protection de l’enfance, qui est à l’origine de l’introduction en France de ce dispositif pluridisciplinaire.

Les deux premières UAMJ ont été ouvertes en 1999 dans les centres hospitaliers de Béziers (Hérault) et de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Il en existe aujourd’hui une cinquantaine, qui ont été initiées par un magistrat ou un médecin, parfois par un enquêteur, et dont la création a été, dans la quasi-totalité des cas, financièrement soutenue par La Voix de l’enfant. Ces unités sont très inégalement réparties sur le territoire : le Nord et l’Ouest sont beaucoup mieux pourvus que l’Est, le Centre et le Sud, et les plus grandes villes de France, à commencer par Paris, ne disposent pas à ce jour de telles structures. Cependant, parmi la vingtaine de projets en cours, il y a ceux de Marseille, Lyon et Toulouse.

DES UNIFORMES CHEZ LES BLOUSES BLANCHES

Unité de lieu, de temps et d’action : comme dans les tragédies classiques, le principe des UAMJ est d’organiser, au même endroit et de façon coordonnée, l’audition de l’enfant – dans une salle équipée à cet effet en matériel d’enregistrement audiovisuel professionnel –, les éventuels examens médicaux et/ou psychologiques demandés par le parquet et l’orientation psycho-sociale de la victime. Pour les enquêteurs, le fait que l’audition se tienne à l’hôpital, et pas dans leurs locaux, peut leur demander plus de temps quand ils ont un long trajet à faire. Aussi, certains n’ont pas la latitude d’aller systématiquement entendre les enfants à l’UAMJ. « Nous avons une double hiérarchie, administrative et judiciaire, commente Christine Barbe, responsable de la brigade des mineurs de Poitiers. L’autorité judiciaire comprend très bien l’intérêt d’une salle dédiée dans un hôpital, mais pour l’autorité administrative, celle-ci équivaut au départ de deux policiers : quoi qu’il se passe entre-temps, il va manquer deux fonctionnaires jusqu’à leur retour. » Au vu de son expérience de dix ans à la brigade des mineurs, Christine Barbe se félicite de l’ouverture d’une UAMJ au CHU de Poitiers en septembre dernier : « Avant, nous avions des petites salles d’audition bricolées au commissariat, mais les locaux étaient sinistres, comme toute une population que les jeunes victimes pouvaient croiser dans les couloirs. » D’ailleurs, les enfants ont l’idée que l’on ne conduit que les criminels dans les commissariats et les gendarmeries. De devoir y aller est donc susceptible de nourrir leur sentiment de culpabilité, fait observer Bragi Gudbrandsson, spécialiste islandais de la protection de l’enfance. « Or c’est le symptôme dont il est le plus difficile de se relever pour les enfants victimes d’abus sexuels », souligne-t-il (3). A contrario, un environnement moins stressant ne peut que les aider à se confier.

Outre des auditions facilitées, les enquêteurs tirent aussi profit de la possibilité, à l’hôpital, de rencontrer les médecins et psychologues – quand psychologues il y a –, ce qui leur permet d’avoir directement des éléments d’information sur la victime, souligne Sophie Delalande, adjudante à la brigade de prévention de la délinquance juvénile de Nantes. Le fait de se côtoyer a également fait évoluer les regards respectifs portés par les soignants sur la justice et réciproquement, témoigne Gérard Champion, médecin responsable de la permanence d’accueil pédiatrique pour l’enfance en danger d’Angers. Leurs échanges avec les soignants permettent aux enquêteurs de prendre davantage conscience que la victime n’est pas un adulte en miniature. Symétriquement, mieux avertis des nécessités de l’enquête, les soignants se laissent moins envahir par l’émotion. Processus de formation mutuelle donc, mais répartition précise des missions de chacun en évitant toute confusion des rôles. Il n’empêche, les enfants et adolescents qui ont été auditionnés en 2012 à l’UAMJ de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) – dont plus d’un quart de moins de 6 ans – ne différencient pas les soignants et les enquêteurs, explique Marie-Edith Lecamu, assistante sociale de l’unité, qui a réalisé une enquête auprès de ces publics (des filles dans 77 % des cas). Ce qui importe, c’est qu’« ils m’ont permis de me vider la tête et de dire ce que j’avais à dire », résume l’un des auditionnés.

UN FIL ROUGE RASSURANT

Dans les UAMJ, le « prendre soin » commence dès l’accueil. Toutes n’ont pas les mêmes pratiques, ni une palette identique de professionnels leur consacrant une partie de leur temps. Mais toutes se retrouvent dans le souci d’apporter aux enfants en souffrance une prise en charge adaptée. Celle-ci repose en grande partie sur les épaules d’une ou de deux personnes référentes – psychologues, assistants de service social et infirmiers essentiellement. Ces intervenants garantissent la cohérence du parcours du mineur et constituent pour lui un rassurant fil rouge. Au centre hospitalier de Saint-Nazaire, « nous sommes deux assistantes sociales sur le secteur mère-enfant à couvrir le mi-temps dédié à l’UAMJ, qui est financé par le conseil général au titre de ses missions de protection de l’enfance », explique Anne Groleau, le plus ancien membre du binôme. Sauf dans les cas d’urgence ou de flagrant délit, très rares en matière de violences sexuelles sur mineur, où la révélation intervient généralement à distance des faits, les auditions ont lieu en semaine, pendant la journée. Les gendarmes ou policiers appellent Anne Groleau ou Colette Derderian sur leur ligne directe et voient quelles sont les disponibilités de la salle d’audition. Les coordinatrices les interrogent en retour pour avoir un minimum d’informations sur l’enfant – nom, prénom, âge, la nature des faits et si l’agresseur présumé est ou non un membre de la famille –, mais c’est l’enquêteur qui transmet le rendez-vous à la famille. Quand, au vu du signalement ou après la déposition de l’enfant, le parquet demande un examen médical et/ou une évaluation psychologique de l’intéressé, « nous contactons nos collègues de l’hôpital pour que ces consultations puissent avoir lieu dans la foulée de l’audition et, le moment venu, nous y accompagnons le jeune », explique Colette Derderian.

Outre cet aspect organisationnel de leur fonction, les assistantes sociales insistent sur l’importance d’avoir un entretien individuel avec ce dernier avant qu’il rencontre les enquêteurs. Il ne s’agit pas d’évoquer les faits, mais de chercher à voir où il en est de sa compréhension des événements et de le mettre en confiance. « Je peux découvrir qu’un enfant ne sait pas pourquoi il est là, parce que ses parents n’ont pas pu lui expliquer. Ou alors qu’il ne parlera pas aux gendarmes, car ils mettent les gens en prison. Nous passons alors en revue tout ce qui pourrait l’empêcher de parler, la peur de la personne mise en cause, la peur de ne pas être cru, la peur de décevoir sa famille, l’ambivalence de ses sentiments vis-à-vis de l’agresseur, la honte d’avoir à parler de son intimité. Il faut trouver les mots qui vont lui permettre de se confier », développe Anne Groleau. Colette Derderian pointe également la nécessité de se préoccuper de l’entourage de l’enfant, sa mère le plus souvent, pendant que celui-ci est auditionné. « C’est très rassurant pour lui qui est inquiet de voir sa maman triste », affirme-t-elle. Il s’agit aussi d’évaluer la capacité de ses proches à soutenir la jeune victime. Le cas échéant, « quand on pense que la famille n’est pas assez protectrice et que l’enfant court un risque important à rentrer chez lui à l’issue de l’audition – une maman, par exemple, qui ne croit absolument pas sa fillette car “de toute façon, ça a toujours été une menteuse” –, nous pouvons proposer une hospitalisation de l’enfant et nous contactons le parquet pour une ordonnance de placement provisoire le temps d’évaluer la situation, précise Anne Groleau. Mais ces cas de figure sont très rares. » En règle générale, il s’agit d’orienter les familles vers les structures médico-psychosociales extérieures et, éventuellement, de passer quelques coups de fil pour réduire les délais de rendez-vous, en particulier au centre médico-psychologique.

Dans certaines UAMJ, la personne référente recontacte systématiquement les familles 15 jours ou 3 semaines après l’audition pour réévaluer leurs besoins. Ce n’est pas le cas à Saint-Nazaire. Mais, là comme ailleurs, on reste à la disposition des enfants et des parents, notamment pour les aider à savoir où en est la procédure car les parquets, débordés, ne les tiennent pas toujours au courant. Dans les affaires de violences sexuelles sur mineur – des filles, très majoritairement –, on estime qu’au moins neuf fois sur dix il n’y a aucun élément tangible de preuve. Les classements sans suite sont donc extrêmement nombreux. Cela aussi il faut savoir l’expliquer aux jeunes qui ne vont pas bien parce qu’elles ont le sentiment qu’on ne les a pas crues.

La parole de l’enfant, un élément parmi d’autres

La parole de l’enfant – du latin infans, « celui qui ne parle pas » – n’a accédé que récemment à la scène juridique. Au pénal, c’est la loi « Guigou » du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs qui met en place un statut du mineur victime et prévoit la défense de ses intérêts en justice, la nomination d’un administrateur ad hoc et l’enregistrement de l’audition afin d’éviter, autant que possible, la multiplication des dépositions au caractère traumatisant. « Cette prise en considération de la parole de l’enfant […] après des siècles de silence, de tabou, couvrant les agressions dont peuvent être victimes les enfants au sein de leur famille » a représenté une « véritable révolution », fait observer Jean-Yves Monfort, conseiller à la Cour de cassation (3). Cependant, à la suite de l’affaire de pédophilie d’Outreau, où l’instruction avait été essentiellement fondée sur les témoignages des jeunes victimes qui se sont pour partie rétractées, « nous sommes plus que jamais aujourd’hui pris dans un effroyable mouvement de balancier entre croire et discréditer la parole de l’enfant », commente le magistrat. Il est important de rappeler que l’audition de l’enfant n’est qu’un élément parmi d’autres dans la procédure, déclare Martine Brousse, déléguée générale de La Voix de l’enfant. L’enfant dit « “sa” vérité – expression d’une souffrance –, qui même si elle n’est pas “la” vérité doit être prise en compte, mais c’est aux policiers, gendarmes et magistrats de rechercher la vérité judiciaire », ajoute-t-elle. A cet effet, la circulaire du ministère de la Justice du 2 mai 2005, prise au lendemain du procès d’Outreau, insiste sur la nécessité de renforcer la qualité de l’enquête (4). Il s’agit en particulier de recourir « systématiquement » à des enquêteurs ayant reçu une formation adaptée au recueil de la parole de l’enfant et de ne pas se contenter des auditions respectives du mineur et du mis en cause, mais de « procéder à des investigations objectives sur le contexte de la révélation ainsi que sur l’environnement dans lequel évoluent l’enfant et la famille ». La circulaire supprime, par ailleurs, l’expertise de crédibilité en raison des risques de confusion entre ce que recouvre la notion de « crédibilité médico-légale » – absence de pathologie du type mythomanie et/ou affabulation – et la vérité judiciaire. Désormais, les spécialistes chargés de faire une expertise psychologique ou psychiatrique des mineurs victimes d’infractions sexuelles doivent répondre à plusieurs questions précises sur la personnalité de l’enfant, les circonstances et le contexte de la révélation, le retentissement psychique éventuel des faits en cause, le récit du mineur et son évolution depuis la révélation, le degré de connaissance de l’intéressé en matière sexuelle.

Une fonction de centre ressources

Outre leur activité autour de l’audition d’enfants ayant pu subir des violences sexuelles et autres maltraitances, certaines unités d’accueil médico-judiciaires en milieu hospitalier (UAMJ) mettent leur expérience en la matière au service de leurs collègues de l’hôpital, des professionnels médico-sociaux de ville et scolaires, ainsi que des familles. C’est le cas de la permanence d’accueil pédiatrique pour l’enfance en danger (Paped) du CHU d’Angers. Les situations pressenties de maltraitance peuvent y être évaluées avant une éventuelle démarche de signalement. Par exemple, un pédiatre qui a des doutes sur les propos d’un jeune patient concernant son grand-père a la possibilité d’adresser l’enfant et sa famille à la Paped. Récemment, c’est pour un petit accueilli aux urgences de l’hôpital avec un fémur cassé que la structure a été contactée par le service de chirurgie, perplexe. Après s’être entendu avec le chirurgien sur l’examen complet qu’il convenait de faire à l’enfant, puis discuté avec lui et le radiologue des radios du jeune, Gérard Champion, médecin responsable de la Paped, et une assistante sociale de la structure ont rencontré les parents de l’enfant pour expliquer leur démarche d’information préoccupante auprès des services sociaux. « Nous nous positionnons comme des gens qui connaissent bien la maltraitance et abordent le sujet avec un peu plus de professionnalisme et moins d’émotion que ne peuvent le faire des soignants confrontés à un enfant couvert de plaies », résume Gérard Champion. « Cela permet de séparer les rôles : nos collègues s’occupent de soigner l’enfant. S’il faut procéder à un signalement, c’est nous qui le faisons. » L’UAMJ du centre hospitalier de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) joue aussi ce rôle de centre ressource en amont ou en dehors de toute procédure judiciaire. « Les professionnels ou les familles qui sont mis en difficulté par une révélation de violences sexuelles ont la possibilité de nous appeler et/ou de venir nous voir, et nous envisageons avec eux ce qui relève d’une plainte », explique Colette Derderian, assistante sociale à l’UAMJ. Les affaires d’agression ou d’allégations d’agression sexuelle sont souvent des histoires compliquées, ajoute-t-elle. Ainsi, cette enfant qu’il a fallu faire examiner par un médecin à la demande de sa mère suspectant son ex-mari d’avoir abusé d’elle. Ou bien cette autre mère en plein désarroi parce que son fils de 9 ans lui a dit s’être fait violenter par son frère aîné et qu’elle craignait le placement de ce dernier. « J’avais pris contact avec la gendarmerie, mais malgré le travail fait auprès de cette maman, elle n’y est pas allée et j’ai dû signaler la situation au parquet », précise Colette Derderian.

Notes

(1) Toutes les UAMJ sont ici désignées sous ce sigle commun, même si certaines d’entre elles ont une autre appellation, comme la permanence d’accueil pédiatrique pour l’enfance en danger d’Angers.

(2) Lors d’une rencontre sur les UAMJ organisée les 4 et 5 février dernier à Paris par La Voix de l’enfant – www.lavoixdelenfant.org.

(3) Lors du colloque sur la parole de l’enfant organisé le 29 mai 2008 à Versailles par l’Association socio-éducative des Yvelines, dont Jean-Yves Monfort présidait alors le TGI.

(4) Voir ASH n° 2412 du 17-06-05, p. 11.

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