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L’audition, un exercice qui ne s’improvise pas

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Dans la très grande majorité des affaires de violences sexuelles sur mineurs, l’absence de preuves matérielles et de témoin direct confère un rôle essentiel à la parole de l’enfant. Il est donc indispensable que les enquêteurs sachent favoriser l’expression des présumées victimes.

La qualité et la quantité d’informations fournies par les enfants auditionnés dépendent largement de la façon dont ils sont interrogés. « Face à un enquêteur qui le presse pour obtenir qu’il lui révèle les faits, l’enfant est perdu », commente Odile Maurice, thérapeute familiale qui a, de façon très pionnière, assisté des enfants lors d’auditions policières. « Sans doute est-ce ce qui s’est passé à Outreau : les enfants ont construit leur propre histoire pour répondre à une demande et ils ont été ensuite embarqués dans celle-ci sans plus pouvoir la maîtriser », avance-t-elle. Il y a aussi la honte, la culpabilité qu’une question du policier peut renvoyer aux petites victimes, surtout dans les cas – de très loin les plus nombreux – d’agressions intrafamiliales ou par quelqu’un de proche. Odile Maurice évoque également la maladresse de réflexions qui coupent court aux confidences. Ainsi, ce gendarme s’exclamant : « Ah, ce n’est pas possible, à son âge, ton grand-père n’a pas pu faire ça ! » Ou cet autre qui rétorque à une adolescente : « Si tu as des choses à cacher, ce n’était pas la peine de venir ici », alors que l’intéressée lui demandait : « Est-ce que je dois tout dire ? », ce qui signifiait pour elle parler des agressions commises par d’autres membres de la famille quand elle était plus jeune.

Pour se préparer à l’audition de jeunes, voire de très jeunes victimes, les gendarmes – qui couvrent 70 % du territoire – ont, depuis 2001, la possibilité de suivre une formation spécifique (1). Environ 80 officiers ou sous-officiers volontaires suivent tous les ans des sessions d’une semaine, à raison d’une vingtaine de stagiaires chaque fois. Méthodologie d’audition, enseignements de psychologie sur le développement de l’enfant et le fonctionnement de la mémoire, puis mises en situation sont au programme. « Elaborée avec des psychologues, notre technique d’entretien repose sur trois idées-force : l’audition doit être non suggestive – on travaille sur les modes de questionnement, les principes de l’écoute active et l’importance de donner au maximum la parole à l’enfant ; l’audition doit également être semi-structurée et s’articuler en phases successives, c’est-à-dire qu’on a une trame comprenant plusieurs étapes, mais qui restent modulables et qu’on adapte à l’enfant », détaille l’adjudant Valérie Tanguy, formatrice au Centre national de formation de police judiciaire de Fontainebleau (Seine-et-Marne).

Première étape, la préparation de l’audition, sous ses aspects matériels (prise de rendez-vous avec l’enfant, réservation de la salle d’audition) et intellectuels (connaissance du dossier). « On se cale essentiellement sur la disponibilité psychique de l’enfant, en évitant par exemple de prévoir l’entendre à 8 heures du matin lorsqu’il habite à 50 kilomètres, ou le mercredi après-midi s’il pratique une activité qu’il aime, pour qu’il n’ait pas le sentiment d’être puni », explique Valérie Tanguy. Le jour de l’audition, l’accueil de l’enfant par le gendarme – toujours en uniforme, à la différence des policiers – est un moment privilégié de mise en confiance : « On parle de choses et d’autres, qui ne sont pas liées aux faits, pour que l’enfant s’apaise et pour situer son niveau de compréhension. On lui demande ensuite s’il sait pourquoi il est là et on lui explique le motif de sa venue, les objectifs de l’entretien et le cadre dans lequel va se dérouler ce travail sur lequel il lui faudra se concentrer. » Vient ensuite le récit libre de ce qui s’est passé, puis une phase de questionnement sur les faits relatés, avec des questions ouvertes qui laissent l’opportunité d’une réponse aussi large que possible. Cette étape est suivie d’une pause qui permet à l’enfant de se détendre et à l’enquêteur de faire le point avec son collègue présent dans le local technique, de l’autre côté de la glace sans tain – dispositif et collègue qui ont été présentés à l’enfant à son arrivée. « Après la pause, on aborde les points à préciser, puis on clôture l’audition en laissant le dernier mot à l’enfant – a-t-il des questions à poser, quelque chose à ajouter ? –, avant de le remercier de sa participation et de lui rappeler qu’il a la possibilité de recontacter les enquêteurs », souligne la formatrice.

ASSISTANCE PSYCHOLOGIQUE

Dans certaines unités d’accueil médico-judiciaires (UAMJ), un psychologue est présent à l’audition, non pas auprès de l’enfant, mais dans le local technique avec le deuxième enquêteur. C’est le cas à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Relié par une oreillette au gendarme ou policier qui conduit l’entretien, ce clinicien lui reformule au besoin les questions en fonction de l’âge et de la compréhension de l’enfant. « Sachant que 30 à 35 % des mineurs entendus présentent des troubles psychiques antérieurs aux faits d’abus sexuels allégués, les enquêteurs sont très contents d’avoir cette assistance d’un spécialiste de l’enfance, explique Bertrand Morillon pédopsychiatre responsable de l’UAMJ. Il est également important de travailler sur le traumatisme des enquêteurs. Ces derniers restent après l’audition et parlent de ce qu’ils ont ressenti autour d’un café. » Ce professionnel anime par ailleurs un groupe de travail sur la psychologie des enfants victimes et le recueil de leur parole qui réunit deux fois par an les gendarmes et policiers intéressés. Celui-ci offre une formation spécialisée aux professionnels qui n’en ont pas eue et permet aux plus aguerris de perfectionner leurs connaissances et leurs pratiques.

Notes

(1) Une formation équivalente est proposée aux policiers depuis 1989.

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