Saisie par un ancien détenu qui dénonçait ses conditions d’incarcération au sein de la maison d’arrêt de Nancy, aujourd’hui fermée, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a, dans un arrêt du 25 avril, condamné la France pour « traitement dégradant », estimant que « l’effet cumulé de la promiscuité et des manquements relevés aux règles d’hygiène ont provoqué chez le requérant des sentiments de désespoir et d’infériorité propres à l’humilier et à le rabaisser ». Une décision dont s’est félicitée la section française de l’Observatoire international des prisons (1).
Les faits sont les suivants : un homme a été condamné en 2006 à huit ans d’emprisonnement pour meurtre et immédiatement placé en détention à la maison d’arrêt Charles-III de Nancy pour une période de six mois. Une prison qui, critiquée dès les années 2000 par l’Assemblée nationale, le garde des Sceaux de l’époque et la Commission nationale de réparation des détentions placée auprès de la Cour de Cassation, fermera définitivement ses portes en 2009 en raison de son extrême vétusté. Quelques semaines après son incarcération, le détenu a adressé un courrier à la directrice de l’établissement lui demandant que soit installée une porte aux toilettes de sa cellule et que diverses réparations soient effectuées. N’obtenant aucune réponse, il a alors déposé une plainte avec constitution de partie civile sur le fondement de l’article 225-14 du code pénal, qui interdit de « soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine ». Après de longues années de procédure pour désigner la juridiction compétente (juge d’instruction ou tribunal administratif), la Cour de cassation a jugé en 2009 que les conditions de détention relevaient du droit administratif, fermant ainsi la voie pénale au requérant. Ce dernier s’est alors tourné vers la Cour européenne des droits de l’Homme pour obtenir réparation. Il a fait valoir que ses conditions de détention s’analysaient en un traitement dégradant conduisant à une violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, selon lequel « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
Dans son arrêt, la CEDH estime tout d’abord que la cellule de 9 m2 du requérant, qu’il partageait avec un autre détenu, correspond au minimum de la norme recommandée par le Comité de prévention de la torture. La cour rappelle que, selon sa jurisprudence, « l’espace de vie individuelle en l’espèce ne justifie pas, à lui seul, le constat de violation de l’article 3 de la convention […], une telle violation n’étant retenue que lorsque les requérants disposent individuellement de moins de 3 m2 ». Toutefois, les juges de Strasbourg soulignent que « d’autres aspects des conditions de détention sont à prendre en compte », parmi lesquels « la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, le mode d’aération, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base », ou encore l’exercice en plein air. Or, dans cette affaire, ils notent que le requérant ne disposait que d’une possibilité très limitée de passer du temps à l’extérieur de la cellule, étant confiné la majeure partie de la journée dans sa cellule sans liberté de mouvement, avec une heure de promenade le matin ou l’après-midi dans une cour de 50 m2. Ils déplorent également l’absence de porte aux toilettes de la cellule et rappellent que « les détenus doivent pouvoir facilement accéder à des installations sanitaires où leur intimité est protégée ». Dans ce contexte, la cour conclut que l’effet cumulé de la promiscuité et des manquements relevés aux règles d’hygiène constitue une violation de l’article ? 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Et condamne la France à verser au requérant 10 000 € pour dommage moral.
(1) Selon elle « cette condamnation, qui sanctionne pour la première fois la France pour sa surpopulation carcérale, doit encourager le gouvernement à développer rapidement une véritable politique pénale de moindre recours à l’emprisonnement ».