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« Il ne s’agit pas de bâtir la prison idéale mais de respecter les règles du droit »

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Le système carcéral français est en piteux état. La prison reste pourtant une nécessité, rappelle Pierre Victor Tournier, démographe pénal, dans un ouvrage où il brosse un panorama précis des questions pénales et carcérales. Surpopulation, récidive, libération conditionnelle, dignité des détenus… Autant de thèmes abordés par le chercheur.
Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ce livre ?

C’était l’occasion de reprendre toute une série de travaux réalisés depuis plus de trente ans sur la prison et, plus généralement, sur les réponses que la société peut apporter à la question de la délinquance et de la criminalité. Après toutes ces années, j’aboutis en effet à un certain nombre de positions que je considère comme modérées ou réformistes. Le titre du livre n’est pas neutre : La prison. Une nécessité pour la République. C’est une prise de position politique sur le rôle que doit jouer la prison dans la société.

On parle d’inflation et de surpopulation carcérales. Quelle différence ?

Il y a « inflation carcérale » lorsque le nombre des détenus augmente plus rapidement que la population française. Ce qui se mesure sur une période donnée. Ainsi, depuis un peu plus de un an, le rythme de la croissance du nombre des détenus diminue assez fortement. Il est passé de 7 % à moins de 1 %. Toutefois, il faudra attendre plusieurs mois pour savoir si l’on est réellement sorti de la période d’inflation carcérale. La « surpopulation », elle, se calcule à une date précise en comparant le nombre de détenus et celui des places de prison disponibles. Le premier indicateur de la surpopulation des prisons, que j’ai eu beaucoup de mal à obtenir de l’administration pénitentiaire, est le nombre de détenus dormant sur un matelas à même le sol. Il est actuellement de 918 et est en forte augmentation depuis quelques mois. Cette situation est absolument inadmissible. Ce chiffre devrait être de zéro. Le second indicateur est celui des détenus en surnombre, c’est-à-dire de ceux qui occupent des lits supplémentaires. Par exemple, dans une cellule officiellement prévue pour deux personnes, si l’on ajoute deux lits superposés plus un matelas, le nombre de détenus en surnombre est de trois. Sachant que les cinq occupants souffrent de cette suroccupation. Au 1er avril 2013, le nombre des détenus en surnombre est de 13 115 pour 67 493 détenus. Entre 2004 et aujourd’hui, son minimum a été de 7 717 en septembre 2006.

Quelles seraient les solutions pour réduire cette surpopulation ?

On peut, bien sûr, se demander s’il y a 12 000 détenus en trop – ce qui renvoie à la question de l’inflation carcérale – ou un déficit de 12 000 places – ce qui appelle à construire de nouveaux établissements pénitentiaires. Pour moi, la question se pose autrement. La loi pénitentiaire votée en 2009 dispose que le principe de l’encellulement individuel devrait être effectif en novembre 2014. Mais si l’on instaure l’encellulement individuel en laissant les personnes enfermées 23 heures sur 24, on est en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’Homme, qui interdit les traitements inhumains et dégradants. Aborder la question de la surpopulation en prison, c’est donc parler de l’organisation du temps carcéral. Un établissement pénitentiaire de 200 places qui respecterait la loi pénitentiaire, les règles pénitentiaires du Conseil de l’Europe et, d’une façon générale, nos valeurs républicaines devrait comporter 200 cellules individuelles. Il devrait aussi permettre aux détenus de pratiquer quotidiennement des activités professionnelles, de formation, culturelles, etc. Ce qui implique de disposer d’espaces suffisants, de personnels formés et d’activités qui aient du sens. Enfin, cela nécessiterait de mettre en place des processus d’expression collective pour que les détenus aient voix au chapitre sur l’organisation de leur propre vie. Il ne s’agit pas de bâtir la prison idéale mais simplement de respecter les règles du droit, nos principes républicains et la dignité des personnes. Je constate d’ailleurs qu’en Suède, en Finlande ou au Danemark, ces conditions sont à peu près remplies.

Un tel système permettrait-il d’améliorer les taux de récidive ?

Si la question est de savoir à quel niveau j’évalue l’influence du respect de la dignité de la personne sur la récidive, ma réponse est claire : je ne souhaite pas le faire. Nous n’avons pas à évaluer le bien-fondé de nos valeurs fondamentales en termes d’efficacité opérationnelle. Le respect de la dignité de la personne est une valeur en soi. D’autant qu’après des années de sarkozysme où l’on a connu une sorte de détournement des statistiques, il me semble que les données chiffrées doivent être utilisées avec la plus grande précaution. L’approche quantitative est nécessaire à condition qu’elle soit réalisée par des gens qui savent quelles sont leurs valeurs. En matière de prévention de la récidive, je distingue deux points essentiels. Le premier, incontournable, est l’efficacité de la police. Le second, ce sont les conditions d’application des peines. Une peine de prison exécutée dans un établissement surpeuplé où les détenus n’ont rien à faire et où la loi n’est pas forcément respectée n’offre pas un cadre efficace pour prévenir la récidive. De ce point de vue, les peines plancher sont à côté de la plaque. On fait semblant de lutter contre la récidive en prétendant faire peur aux délinquants et aux criminels, alors qu’on sait que là n’est pas le problème.

La libération conditionnelle est réputée limiter la récidive. Est-ce le cas ?

Bien sûr, les taux de récidive sont plus faibles avec la libération conditionnelle qu’avec les fins de peine « sèches ». Et les travaux auxquels j’ai participé montrent que, même en neutralisant l’effet des critères de sélection des bénéficiaires de la mesure, celle-ci reste intéressante par elle-même. Le principe est que, entre la détention et la liberté complète, on crée un sas sous mandat judiciaire avec un juge d’application des peines et des conseillers d’insertion et de probation contrôlant la façon dont cela se passe. Et, en cas de problème, le retour en détention peut être rapide. Malheureusement, on ignore en France combien de personnes bénéficient d’une libération conditionnelle. Ce qui est assez incroyable, alors qu’il y a eu récemment une conférence de consensus sur la prévention de la récidive dans laquelle cette mesure était centrale (1). On estime cependant qu’environ 12 à 15 % des sortants de prison en bénéficient. Ce qui est nettement moins que dans d’autres pays. Faut-il pour autant appliquer la libération conditionnelle à tout le monde ? C’est absurde, car il y a en prison des personnes que je n’imagine pas dehors en raison de leur dangerosité. Je pense qu’on peut toutefois étendre ce système à un grand nombre de détenus sous réserve de le réformer en profondeur. Il existe trois modèles en Europe. En Suède, la libération conditionnelle est d’office pour tous les détenus aux deux tiers de leur peine. Dans le système français, majoritaire, la décision est totalement individualisée tant en ce qui concerne l’octroi de la mesure que son calendrier et ses conditions. Entre les deux, l’Angleterre a développé un système mixte, pragmatique, que je défends. Pour les courtes peines, la libération conditionnelle est d’office et sans supervision ; pour les peines intermédiaires, elle est d’office mais avec une supervision obligatoire ; pour les longues peines, elle reste discrétionnaire avec une supervision obligatoire. Cette réforme devrait, selon moi, être l’une des priorités de la loi pénale qui devrait peut-être voir le jour.

Vous préconisez, pour les délits, d’instaurer une « contrainte pénale communautaire ». De quoi s’agit-il ?

L’objectif serait de réduire le nombre d’entrées sous écrou, c’est-à-dire d’éviter que les gens entrent en prison. Cette peine s’inspire de la probation qui existe en France depuis 1958 avec le sursis avec mise à l’épreuve. Cette nouvelle probation, que j’appelle la « contrainte pénale communautaire » au sens du Conseil de l’Europe, deviendrait la peine de référence pour les délinquants. La prison resterait celle des criminels et l’amende, celle des contrevenants. Cette contrainte se définirait sans référence à un quantum d’emprisonnement ferme. Elle pourrait comporter des obligations, des interdits et des mesures de surveillance. Pour la mettre en œuvre, on aurait évidemment besoin de policiers mais aussi de conseillers d’insertion et de probation en coordination avec les services sociaux. On pourrait expérimenter cette nouvelle peine d’abord en matière de délinquance routière, mais aussi pour certaines formes de violences légères et pour l’usage de stupéfiants.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Pierre Victor Tournier est directeur de recherches au CNRS, spécialiste de démographie pénale.

Chercheur au Centre d’histoire sociale du XXe siècle, à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, il a été expert scientifique auprès du Conseil de l’Europe de 1983 à 2003. Il publie La prison. Une nécessité pour la République (Ed. Buchet-Chastel, 2013).

Notes

(1) Voir ASH n° 2799 du 1-03-13, p. 5 et 19.

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