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Quitter le nid de la collectivité

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En septembre 2011, la MECS de l’Artois, près de Béthune, a créé son service d’accompagnement vers l’autonomie. Son but : aider les jeunes placés à se désengager du cocon de la vie en collectivité pour devenir autonomes une fois majeurs.

« Quand est-ce qu’on touche notre argent de poche ? » En apparence innocente, la question est au cœur des apprentissages dispensés par le service d’accompagnement vers l’autonomie (SAVA) de la maison d’enfants à caractère social (MECS) de l’Artois, à Sailly-Labourse, près de Béthune (Pas-de-Calais) (1). Un sas vers la vie adulte, réservé aux 16-18 ans. Ici, on apprend à tenir son budget. Le repas collectif du mercredi soir – des fajitas avec poivrons et salade – vient de se terminer dans la cuisine-pièce à vivre. Il a été préparé par deux des pensionnaires. Le reste de la semaine, chacun se fait soi-même à manger, dans la kitchenette de son studio. Pour encadrer les adolescents, l’équipe réunit quatre éducateurs spécialisés, une maîtresse de maison de formation auxiliaire de vie, ainsi que la chef de service, Rabia Nekkache, titulaire d’un Caferuis. Le SAVA partage aussi avec le reste de l’établissement une infirmière, une psychologue et deux veilleurs de nuit.

UNE SORTIE DÉSORMAIS PLUS EN DOUCEUR

A l’origine, la création du service a découlé d’un constat : « Lorsque nos jeunes quittaient le collectif, ils n’étaient pas suffisamment armés pour l’autonomie. La gestion de la solitude, par exemple, pouvait être douloureuse », décrypte Rabia Nekkache. Pour éviter cette rupture vécue comme une violence, la maison d’enfants a travaillé pour chaque jeune sur la notion de « parcours individuel », depuis son placement, sur décision administrative ou judiciaire, jusqu’à son autonomie complète en tant que jeune majeur. Désormais, la sortie du placement se fait en douceur : premier sas, les 11 places en studios ; puis, dans leur prolongement, les six appartements autonomes situés dans deux maisons à proximité.

Ce marquage des âges par le passage dans des structures différenciées présente aussi l’intérêt de donner des repères à l’adolescent. « Nous lui disons : “Demain, tu vas être majeur, essaie de prendre la mesure de ce que cela veut dire. Tu le vois comme une liberté, mais il faudra aussi que tu assumes la conséquence de tes actes”, explique Rabia Nekkache. C’est une forme de reconnaissance d’un nouveau statut. » Car l’entrée dans le service n’est pas automatique : elle est conditionnée par un entretien de préadmission en présence du directeur de la MECS, de la chef de service et de la psychologue, afin de juger de la maturité du jeune.

Visage doux sous sa crête punk, Jérémy Lambour est un bon exemple de ce processus. Placé à l’âge de 6 mois dans une famille d’accueil avec laquelle il garde de bons contacts, puis à la maison d’enfants, il vient d’apprendre qu’il quitte cette dernière pour l’un des appartements destinés aux majeurs. L’équipe a estimé qu’à 18 ans, il est mûr. Son projet professionnel (passer un CAP de menuisier) est solide, il aime son métier et se dit prêt à sacrifier son look dès qu’on lui signe un contrat… Avec ce départ qui se dessine, c’est un grand pan de sa vie qui s’achève. D’ailleurs, un peu sous le choc, il interpelle Natacha, une autre adolescente, sans lui laisser le temps de poser son sac : « Je pars. C’est l’une de mes dernières nuits ici. » Elle l’écoute, le rassure. « Ici, les jeunes sont très solidaires entre eux, constate avec fierté Gérard Acin, éducateur spécialisé. Et quel que soit le brassage existant. » Ainsi, en octobre 2009, deux jeunes Afghans âgés alors de 13 ans sont arrivés dans le groupe après l’expulsion de la « jungle » de Calais.

UN PROJET PARTAGÉ EN AMONT

Comme Jérémy, les adolescents du SAVA viennent généralement de l’internat des 13-16 ans, l’autre site de la maison d’enfants, situé à Nœux-les-Mines. « Nous accueillons aujourd’hui en tout 78 enfants et adolescents, âgés de 10 à 18 ans, et nous disposons de l’agrément PJJ » (protection judiciaire de la jeunesse), précise Richard Angevin, le directeur. Gérée par l’association La Vie active – un poids lourd de la protection de l’enfance dans le Pas-de-Calais, avec 40 établissements, soit 30 % de l’équipement départemental –, la MECS de l’Artois est née en septembre 2011 de la fusion de deux établissements similaires, l’un à Frévent et l’autre à Nœux-les-Mines. C’est aussi la date de création du SAVA. « La MECS de Frévent se trouvait dans un château implanté dans une zone très rurale. Cela correspondait à l’idée de retour à la campagne qui prévalait dans les années 1970. Mais cet éloignement du site faisait qu’il était difficile de mettre en place un travail sur la parentalité pour être en adéquation avec la loi de 2007 », se souvient Richard Angevin. Décision est donc prise de fermer Frévent et de racheter des locaux à proximité de Nœux-les-Mines en vue de réorganiser les services. « Nous avons saisi l’opportunité de cette restructuration pour créer un lieu dédié aux 16-18 ans en posant les espaces nécessaires : une salle de vie et des studios de 19 m2, équipés d’une kitchenette et d’une salle d’eau », précise le responsable.

La création du service, qui bénéficie d’un prix de journée de 210 €, a été impulsée par le conseil général, dans le sens de sa politique de limitation des contrats jeunes majeurs. En effet, pour favoriser une entrée plus rapide dans le régime commun, une préparation à l’autonomie s’est révélée nécessaire. Le nouveau projet d’établissement a été pensé en amont par un comité de pilotage où étaient représentés le conseil général du Pas-de-Calais, les maisons départementales des solidarités, la PJJ, l’Education nationale et les autres collectivités territoriales concernées. Les salariés ont été répartis par thématiques dans des groupes de travail, supervisés par un chef de service. « Tous les éducateurs travaillant au SAVA ont participé à l’élaboration du projet », précise Richard Angevin.

UN REGLÈMENT MOINS STRICT QU’EN INTERNAT

La gestion est le maître mot du projet. Les jeunes doivent en effet apprendre à se débrouiller seuls au quotidien. Il leur faut entretenir leur intérieur, laver leur linge, se lever à temps le matin et faire eux-mêmes leurs courses. Chacun d’eux reçoit pour cela une allocation « alimentation » de 52 € par semaine, que complètent chaque mois 30 € pour l’achat des produits d’entretien et d’hygiène. L’ouverture d’un compte bancaire est obligatoire. La gestion des documents administratifs est, elle aussi, abordée : utiliser sa carte Vitale, comprendre la différence entre caisse d’allocations familiales et sécurité sociale. Ce sont les aspects les plus concrets de l’accompagnement, et pas forcément les plus simples pour les éducateurs. Par exemple, pour les courses, le curseur n’a pas été facile à poser : doit-on les faire avec eux ? juste les accompagner ? contrôler leurs achats ? Après quelques tâtonnements, l’équipe a abandonné une méthode de justificatifs sur tickets de caisse. « On courait après ces tickets et certains trichaient, en ramassaient d’autres à la caisse. Nous sommes passés à un système de bons dans quelques magasins précis, qui nous facturent ensuite », explique Christelle Quesnel, la maîtresse de maison, qui est chargée de superviser le quotidien. Tous les jours, elle fait le tour des chambres pour en surveiller l’état. « Mais je n’entre pas dans leur intimité, ils ne l’accepteraient pas et, de toute façon, ma politique est de ne pas faire à leur place. »

Seuls les nouveaux arrivants sont accompagnés dans leurs premières courses, pour éviter les achats massifs de bonbons et de chips. Les présupposés du projet de service se sont aussi heurtés à la réalité. Difficile de tenir sur les principes classiques de la diététique. Cinq fruits et légumes par jour, la consigne ne passe pas auprès d’un public adolescent. « On ne pensait pas que ce serait si compliqué », confirme Sandrine Pertzing, l’infirmière. Elle a l’habitude de valider les menus des internats avec le cuisinier, mais au SAVA, impossible d’imposer les mêmes règles… « Je leur demande quels sont les fruits, les produits laitiers qu’ils aiment, pour qu’ils pensent à en acheter. » C’est déjà un bon point, et ce n’est pas Romane qui dira le contraire, elle qui, au milieu de l’après-midi, vient chercher du ketchup dans la cuisine collective pour manger ses nuggets.

Par rapport à un internat classique, le règlement intérieur est moins strict : « Ils ont le droit d’inviter des amis à manger, à condition qu’ils ne soient pas plus de deux. Une invitation à une fête ne pose pas de soucis, si nous savons où va le jeune et à quelle heure il rentre », détaille la chef de service. L’équipe favorise les liens avec l’extérieur, comme l’inscription à un club de sports. Car il s’agit aussi d’apprendre à gérer sa vie sociale. Ce mercredi soir, Elise a ainsi révisé son rôle dans une pièce de théâtre, avant de partir à un concert au Zénith de Lille, où l’emmène une amie. « C’est une gestion de la liberté à bon escient, une autre forme de prise en charge qui fait la part belle aux droits », argumente Rabia Nekkache. Mais les limites sont clairement posées : on ne fume pas dans les studios, par crainte des incendies. Sinon c’est une amende de 68 €, comme dans la vraie vie. « C’était une difficulté pour le veilleur, avec un vrai risque de mise en danger du groupe », précise-t-elle.

Le SAVA offre en outre un cadre adéquat pour une analyse fine des comportements des jeunes. « Ils ne sont pas noyés dans un ensemble et les éducateurs ne sont pas parasités par les demandes des autres classes d’âge », note la chef de service. L’équipe se réunit chaque semaine, tous les mardis après-midi, pour faire le point et échanger sur les cas problématiques. Tous les trois mois se tiennent aussi une séance de supervision et une réunion d’analyse des pratiques pour tous les salariés de la MECS – seule la seconde se déroulant en présence des chefs de service. Cette semaine, une des jeunes inquiète l’équipe : elle a mordu une éducatrice, ce qui pourrait entraîner des conséquences lourdes sur le plan pénal. Mais décision a été prise de ne pas déposer plainte, sauf si elle récidive, car l’adolescente est dans une phase d’instabilité. « Il serait dommage de casser une dynamique, alors qu’elle est en contrat d’apprentissage avec un examen en vue », estime Dalila Zaïm, une des éducatrices spécialisées qui la suit.

« Le côté positif de cette organisation pour les éducateurs, c’est qu’il y a une diversification des modes de prise en charge, se félicite Richard Angevin. Cela oblige à la réflexion et à la remise en cause professionnelle. » Gérard Acin confirme : avec le SAVA, il doit passer d’une logique de prise en charge collective à un suivi individualisé, tout en respectant l’autonomie en cours d’acquisition. L’équilibre n’est d’ailleurs pas toujours évident à trouver. Au début, un recadrage a été nécessaire, se souvient Richard Angevin : « La compréhension du projet par l’équipe éducative s’est traduite par un mélange d’enthousiasme et d’incertitude. Les habitudes classiques d’internat menaient à trop de présence auprès des jeunes, mais le présupposé d’autonomie ne doit pas vouloir dire non plus que les éducateurs restent dans leur bureau. Il faut être présent différemment. » Dalila Zaïm relève une autre difficulté : elle n’avait travaillé jusque-là qu’en internat pour garçons. Au SAVA, elle a dû affronter la question de la mixité. « Heureusement, le règlement est clair, ils n’ont pas le droit de dormir ensemble », précise-t-elle. Et les étages des garçons et des filles ont été clairement séparés. « La composition de notre groupe participe aussi à cette tranquillité. Les garçons sont dans la pudeur, ils ne sont pas du genre à aller squatter chez les filles », nuance Rabia Nekkache. Ce qui ne signifie pas que la question de la sexualité soit évacuée. L’interlocutrice habituelle sur ce sujet est l’infirmière, Sandrine Pertzing, en particulier pour les questions liées à la contraception. Elle est aussi chargée du suivi des dossiers médicaux. « J’essaie de faire passer aux jeunes le message que ne pas aller à un rendez-vous médical parce qu’on n’a pas envie, alors qu’il est pris depuis six mois, cela a un coût, même si on est à la CMU. C’est cela aussi, devenir adulte. » Et qu’ils ne comptent pas sur elle pour couvrir un jour d’absence à l’école ou au travail pour un petit mal de tête…

UNE DIVERSITÉ INDISPENSABLE DE COMPÉTENCES

« Avoir une équipe pluridisciplinaire est vraiment essentiel, insiste Dalila Zaïm. Si nous n’étions que des éducateurs, cela ne marcherait pas, il faut une diversité des compétences. » Christelle Quesnel, la maîtresse de maison, est une pièce essentielle du dispositif. La « mama », comme l’appellent les jeunes Afghans. « Je suis celle qui donne les clés de l’autonomie, la mère de substitution, sans me confondre avec les vraies mères. La distance professionnelle est obligatoire. » Elle est là tous les jours, ou presque, au contraire des éducateurs, qui tournent. Un carnet de bord permet d’établir les liaisons chaque jour, mais le vrai intermédiaire entre les adolescents et les éducateurs spécialisés, c’est la maîtresse de maison. « Les jeunes savent que je n’ai pas le même positionnement. Je suis la confidente, jusqu’à un certain point. Les petites peines de cœur, ça va, mais si le fait est plus grave, je l’évoque auprès de l’éducateur. » Pour sa part, Raphaëlle Brassart, la psychologue, est à la disposition des jeunes tous les mercredis et aide l’équipe à décrypter certaines situations. Elle apprécie le SAVA : « Les jeunes n’ont pas toujours l’étayage parental. Quand on devient majeur, toutes les problématiques remontent, il s’agit de savoir quoi faire à 21 ans, à la fin des financements de l’aide sociale à l’enfance. » Ce qui se traduit par de l’anxiété, et parfois des troubles dépressifs.

Au final, les jeunes hébergés plébiscitent ce service : « J’ai bien évolué depuis que je suis ici. J’étais incapable de parler à un adulte, j’étais toujours sur la défensive, dans la riposte, confie Juliette, en CAP coiffure. Ici, il y a beaucoup plus de responsabilités. » Romane l’interrompt : « Moi, j’aime bien le contact avec les gens, le collectif, ça me plaisait. » Juliette embraye du tac au tac, comme un cri du cœur : « En collectivité, moi, je pétais les plombs. » En tant qu’observateur extérieur, Claude Picarda, directeur du foyer de jeunes travailleurs (FJT) de Bruay-la-Buissière, ne voit pour sa part que des avantages à l’existence du SAVA, qui a instauré un partenariat fort avec sa structure. « Nous essayons de comprendre comment chacun travaille, pour que le jeune réussisse son passage chez nous. Dans un FJT, l’une de nos ressources principales, c’est le loyer. Si un jeune ne sait pas gérer son budget, cela va poser problème. A l’inverse, en institution, il a l’habitude d’avoir de l’argent quand il en a besoin. Il y a donc des réalités pratiques auxquelles il doit être confronté. » Grâce à cette synergie, la réflexion s’affine, avec la possibilité de proposer sur une semaine un logement test, au foyer pour voir comment se comporte un jeune venu de la MECS. Devenir adulte est une réalité qui s’apprivoise ici en douceur.

Notes

(1) MECS de l’Artois : avenue du Château – 62113 Sailly-Labourse – Tél. 03 21 54 99 44 – mecsartois@vieactive.asso.fr.

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