Recevoir la newsletter

Quel avenir pour le « case management »?

Article réservé aux abonnés

La coordination de parcours et de projets – le case management –, encore assez peu répandue en France, est appelée à se développer, estime Jean-René Loubat, psychosociologue-consultant (1). Il analyse ici les principes et les étapes de cette pratique, qui s’inscrit dans une reconfiguration de l’action sanitaire ou sociale.

« Si le terme de case management est couramment utilisé dans de nombreux pays, il semble confidentiel en France. Cela dit, exprime-t-il réellement une nouveauté ou bien recoupe-t-il des pratiques déjà identifiées sous d’autres labels ? Les travailleurs sociaux, notamment les assistants de service social, connaissaient déjà le case work dans les années 1970… Mais peu importe au fond que le terme soit nouveau ou non, c’est ce qu’il recouvre réellement qui nous intéresse ici : le case management comprend tout à la fois une orientation sociale, une posture relationnelle et un ensemble de procédés professionnels.

La crise de l’Etat-providence

Il s’inscrit tout d’abord dans la prise de conscience que les modèles d’assistanats sociaux étatiques touchent à leurs limites, en termes d’efficacité comme de ressources allouées. D’une part, ces derniers n’ont pas toujours fait la preuve de leur capacité à atteindre leurs objectifs : favoriser le retour à l’emploi, extraire des publics de la précarité, réduire la marginalité ou la délinquance. D’autre part, la nouvelle donne économique internationale ne permet plus aux Etats, même les plus développés, de poursuivre aveuglément dans la voie d’une distribution inflationniste d’allocations et de ressources. Le modèle social-démocrate est en crise là où il était en place, à l’exemple du modèle d’Etat-providence à la française, né de l’après-guerre et rendu possible par le plan Marshall. Les causes en sont assez simples : un déclin global, à la fois démographique, économique et politique de la zone Europe, qui crée un déséquilibre accru entre (dé)croissance et besoins de santé et de prestations sociales. Même les Pays-Bas – champions toutes catégories de l’assistanat – viennent de faire machine arrière dans plusieurs domaines et même de demander une contribution active à leurs chômeurs.

Les tenants du case management s’intéressent à ce qu’ils appellent l’“Etat actif”, c’est-à-dire le contraire d’un “Etat assistantiel”. De nombreuses études ont montré le rôle contre-productif de l’assistanat qui condamne des populations entières à devenir dépendantes de systèmes d’allocations, à l’image d’Etats sous-développés, eux-mêmes surendettés et dépendants de façon endémique des aides internationales. Les constats sont sans appel : l’assistanat ne permet pas à une personne, à un groupe ou à un Etat de s’extraire d’une situation de dépendance mais au contraire l’y maintient.

Une approche « protéiforme »

Le case management propose de traiter le problème de la précarité, de la situation de handicap ou de l’état de santé sous un autre angle, celui de la situation personnelle d’un individu dans un environnement donné, en s’appuyant sur ses ressources propres et en bâtissant un plan d’actions doté d’objectifs et s’inscrivant dans une durée déterminée. Il est protéiforme : il est parfois centré exclusivement sur les cas difficiles, qui échappent aux systèmes communs (que ce soit dans le domaine de la santé ou de la marginalité sociale), ou bien s’adresse au plus grand nombre ; il concerne des domaines très divers comme le retour à l’emploi, l’accompagnement dans un processus complexe de soin, l’accès au logement, la réalisation d’un projet de vie, etc.

Selon les pays, les courants ou les secteurs d’activité, le pratiquant du case management porte des noms divers ; on parle tour à tour de case manager, de care manager, de disability management coordinator, de health coordinator, de return to work coordinator, de gestionnaire de ressources (au Québec), etc., pour désigner les professionnels qui pratiquent cette coordination. Quoi qu’il en soit, tous se retrouvent autour d’un même noyau dur : la personnalisation, la participation de la personne, une coordination de partenaires et de ressources, l’assurance d’une continuité autour de la poursuite d’objectifs définis, une co-évaluation des effets obtenus et une posture de coach.

Nos amis Suisses nous donnent cette définition du case management : “un dispositif intégratif de prise en charge orienté sur un objectif d’intérêt général, recourant à un accompagnement personnalisé, cohérent et continu, coordonné par une personne unique, appelée à renforcer l’autonomie de la personne usagère par une participation active de celle-ci, ainsi que par la mobilisation de ses ressources” (2).

La coordination de parcours et de projets est rendue nécessaire par une nouvelle complexité : la multiplication et la diversification des intervenants (elle-même induite par une spécialisation accrue) ; l’intrication des dispositifs ; la désinstitutionalisation et le recours grandissant aux services de droit commun (mainstreaming) ; le progrès de l’inclusion et l’évolution des attentes des personnes (vers l’independent living) ; la pertinence à cibler les réponses et à faire du “sur mesure” ; la nécessité de réduire les surcoûts imposés par des “packages de prestations” (et les frais de fonctionnement des établissements traditionnels) parfois supérieurs aux attentes réelles des bénéficiaires.

L’apparition de coordinateurs de parcours et de projets s’est souvent appuyée (que ce soit aux Etats-Unis ou au Canada) sur une reconfiguration de l’action sanitaire ou sociale. Il en va de même en France où cette fonction s’inscrit également dans une reconfiguration générale (mise en place des maisons départementales des personnes handicapées [MDPH], des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, des plateformes de services, etc.).

Quelle méthodologie ?

Sans nécessairement revendiquer le terme de case management, nous proposons depuis 20 ans déjà (3) une méthodologie qui s’est adaptée aux opérateurs de l’action sociale et médico-sociale et qui s’inscrit dans ce courant : la coordination de parcours et de projets personnalisés.

Elle obéit aux étapes suivantes :

→ l’appréciation de la situation de la personne bénéficiaire : ses attentes, son projet de vie (ce qu’elle souhaite) ; ses expériences (ce qu’elle a déjà fait ou tenté) ; ses ressources personnelles et environnementales (ce qu’elle peut et sait faire, ce sur quoi elle peut s’appuyer, ce qu’offre son environnement, ses relations) ;

→ la proposition de préconisations (le plan d’action) : les diverses prestations proposées par le ou les opérateurs ; les moyens mobilisés (les moyens matériels, les moyens humains) ; la programmation (les étapes, les délais, les acteurs) ;

→ le processus et les effets obtenus (via une co-évaluation) : le déroulement des interventions ; les résultats patents ; la satisfaction de la personne ; les évolutions du projet.

Le premier constat que nous pouvons dresser est que l’instauration de la méthodologie de projet personnalisé – replaçant la personne accueillie au centre du dispositif – réinterroge fondamentalement l’organisation historique mise en place au cours de l’après-Seconde Guerre mondiale selon une tout autre logique. La personnalisation peut donc devenir incompatible avec certaines formes d’organisations institutionnelles traditionnelles, d’où ce lien logique fort entre personnalisation et désinstitutionalisation (4).

Le second constat est que la personnalisation effective suppose de partir des besoins de la personne bénéficiaire et de son projet de vie et non de lui proposer un mode de fonctionnement et un emploi du temps auquel on lui demande d’adhérer, fût-ce dans son intérêt supposé. Or la prise en compte des seules attentes de la personne peut sembler aller parfois à l’encontre de l’intérêt immédiat de l’organisation institutionnelle et des professionnels (ce que demande la personne ne coïncide pas nécessairement avec ce qu’on lui propose).

Quoi qu’il en soit, la fonction de coordinateurs de parcours et de projets est appelée à se développer et à prendre à terme une nouvelle envergure. Ne nécessitera-t-elle pas l’émergence de nouvelles formations ? Demeurera-t-elle d’ailleurs à l’intérieur des dispositifs des opérateurs, au risque d’éventuels conflits d’intérêts, ou sera-t-elle dévolue aux MDPH ou à d’autres instances pour davantage de recul, mais au risque d’une déresponsabilisation des mêmes opérateurs ? Ce débat va nécessairement se poser rapidement à notre système franco-français. »

Contact : 14, quai Pierre-Scize – 69009 Lyon – Tél. 04 72 60 98 79 – jean-reneloubat@wanadoo.fr – www.jeanreneloubat.fr

Notes

(1) Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont, tout récemment, Motiver les équipes en travail social (avec François Charleux) - ditions ESF, 2012.

(2) P. Gobet, D. Galster, M. Repetti, F. Scherer, E. Constantin, Le case management en contexte – Lausanne – Editions EESP, 2012.

(3) Jean-René Loubat, « Le projet personnalisé » – Le Bulletin d’information du CREAI Rhône-Alpes n° 104 – Mars-avril 1992.

(4) Jean-René Loubat, « Désinstitutionalisation et personnalisation : la posture d’avenir face à la situation de handicap » – Les Cahiers de l’Actif n° 430/431/432/433 – Juin 2012.

Vos idées

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur