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« Il faut rester dans l’esprit d’une justice des mineurs spécialisée éducative »

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Depuis dix ans, la justice des mineurs n’a pas été épargnée par les critiques et les réformes. L’idéologie sécuritaire qui a prévalu durant cette période nuit à l’efficacité d’un système fondé sur une approche éducative individualisée. C’est ce que martèle avec force Catherine Sultan, magistrate de la jeunesse depuis vingt ans, dans un ouvrage à la fois personnel et engagé.
Pour quelles raisons avez-vous entrepris de raconter ce Voyage au cœur de la justice des enfants ?

Cet ouvrage est le fruit de mon expérience comme juge des enfants, mais aussi en tant que militante de l’AFMJF [Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille]. J’ai pu mesurer le décalage qui existe entre la réalité de cette justice et l’image qui en est véhiculée vers le public. La justice des mineurs s’exerce dans le huis clos des cabinets et les gens la connaissent peu. Ce qui explique sans doute qu’on en parle de manière parfois simpliste et que beaucoup des réformes adoptées depuis 2002 reposent sur des a priori. Je souhaitais montrer de manière non polémique en quoi ces préjugés sont erronés et conduisent à des réponses inefficaces.

Vous parlez d’écoute, d’empathie… Comment cela s’articule-t-il avec le rôle normatif, voire répressif, du juge ?

C’est justement ce qui donne sens à son rôle. Cette connaissance interpersonnelle légitime la place du juge auprès de l’enfant, de l’adolescent et de sa famille. Son autorité ne s’institue pas d’elle-même, mais se construit dans la durée, par la parole et le sens des décisions prises… De ce point de vue, la fonction de juge des enfants est très particulière. Rien n’est jamais gagné une fois pour toutes. Je pense à ce jeune qui, entrant dans le cabinet d’un juge, lui disait : « Vous pouvez me juger parce que vous me connaissez. » Cela résume très bien ce qu’est l’autorité du juge des enfants. Mais si notre rôle est très défini et nos pouvoirs balisés, pour durer longtemps, il nous faut travailler en permanence la question du positionnement du rapport entre soi et sa fonction et ne pas être dans la confusion des rôles.

Comment concevez-vous votre collaboration avec les travailleurs sociaux ?

Elle se noue à l’épreuve des situations dans un dialogue constant. Il est également nécessaire d’échanger de manière plus institutionnelle pour mieux nous éclairer mutuellement. Je dirais même que des frictions sont assez saines. Le juge qui ne prend pas systématiquement la décision préconisée par un éducateur n’est pas un mauvais juge car ses finalités ne rejoignent pas totalement celles du service éducatif. Il est sain que l’on n’aille pas nécessairement dans le même sens. Nos logiques professionnelles ne sont pas les mêmes, elles se complètent. Il faut simplement prendre le temps d’y travailler ensemble.

Vous insistez sur l’importance de la continuité personnelle et éducative…

La continuité personnelle, c’est le fait que le juge est attaché à la personne de l’enfant. Il réunit l’ensemble des procédures le concernant et s’attache à son parcours plus qu’à chaque acte de la procédure. Cette continuité, qui se noue avec un enfant et une famille, est au cœur même de notre métier. La continuité éducative, c’est le temps nécessaire de l’éducation. Le juge est un jalon dans cet espace où interviennent les professionnels de l’éducation. C’est à eux de s’en emparer mais c’est le juge qui le ponctue.

Observez-vous un rajeunissement des mineurs délinquants ?

On m’a posé cette question de nombreuses fois. Ma première réaction est dire que je ne le constate pas. Je cite dans mon ouvrage des statistiques dans ce sens et mon expérience me permet de dire que les jeunes conduits devant le juge des enfants au pénal ont toujours à peu près le même âge. C’est autour de 15 à 17 ans qu’ils sont les plus nombreux. Répondre par la négative à cette question n’est cependant pas banaliser le problème, comme certains le laissent entendre. Si je suis juge des enfants, c’est bien parce que je trouve qu’il est grave qu’un adolescent puisse être auteur de délits ou de crimes. Quant à la nature des faits de violence, j’observe plutôt une différence territoriale qu’une évolution dans le temps. Selon les lieux, le type d’infractions commises peut différer.

Vous faites le constat d’une transformation de la justice des mineurs. Sur quels points ?

Je constate en particulier que le pénal tend à prendre le pas sur l’assistance éducative. En région parisienne, la charge d’un juge des enfants est actuellement à peu près pour moitié du pénal et pour moitié de la protection de l’enfance. Ailleurs, il arrive que l’assistance éducative reste plus importante, mais c’est quand même l’une des tendances actuelles. Il faut rappeler que l’assistance éducative et le traitement pénal marchent nécessairement de pair. Cette double compétence permet au juge d’avoir une pleine compréhension des situations. Vouloir cliver les deux n’a pas de sens. C’est au contraire une manière de fragiliser le système. L’autre évolution est la part importante prise par la délinquance sexuelle, avec une plus grande sensibilité aux faits dont sont victimes les mineurs et une plus forte judiciarisation.

Vous dites que les juges des enfants sont devenus davantage juges. C’est-à-dire ?

Mes prédécesseurs, qui avaient créé la fonction, se rapprochaient davantage du travail social. Ils avaient une lecture sans doute plus souple de la loi et s’attachaient plus au fond qu’à la forme. Ma génération est arrivée en fonction au moment de l’entrée en application de la Convention internationale des droits de l’enfant. Les garanties de la Convention européenne des droits de l’Homme ont aussi pris une place grandissante et favorisé une évolution des pratiques et des mentalités. Tout cela a fait que nous avons affirmé notre place distincte de celle du travailleur social, dans un souci de garantie des droits individuels et de complémentarité. Et ce mouvement n’a fait depuis que se renforcer. La spécialisation des juges des enfants ne doit pourtant pas s’en trouver affaiblie.

Une réforme a beaucoup fait réagir : l’interdiction faite aux juges des enfants d’instruire et de juger une affaire au pénal…

Cette disposition n’est entrée en vigueur qu’en janvier, mais c’est certainement l’attaque la plus frontale qu’ait eu à subir la justice des mineurs. Avec les autres réformes, les juges conservaient une certaine marge de manœuvre dans le traitement des situations individuelles. Mais cette scission entre le magistrat instructeur et celui qui préside le tribunal pose un véritable problème. L’audience du tribunal pour enfants est un moment fort qui ponctue un parcours. Tout le travail fait en amont peut s’y exprimer. Or, actuellement, dans ces audiences, les rôles sont figés. Nous avons beau lire les rapports sur les jeunes que nous jugeons, cela reste très distant. Il n’y a plus d’accroche avec des enfants et des adolescents que nous ne connaissons pas et les décisions sont beaucoup moins individualisées. A Créteil, comme dans d’autres tribunaux, nous faisons en sorte que les charges soient appréciées par un autre juge qui réalise le renvoi afin de retrouver la capacité de présider le tribunal. Cela s’appuie sur une interprétation littérale de la loi, mais c’est un pis-aller. Il se crée une inégalité sur le territoire et une insécurité juridique. Cette question devra absolument être abordée dans une future réforme du droit des mineurs.

Que reste-t-il des très nombreuses réformes menées depuis 2002 ?

Tout : les peines plancher, le tribunal correctionnel pour mineurs, la généralisation des jugements rapides, etc. Heureusement, toutes ces réformes sont parfois contradictoires et se neutralisent ou sont inapplicables parce que trop complexes. Mais la question est aussi de savoir de quels équipements la justice des mineurs dispose. Or la protection judiciaire de la jeunesse doit se relever des atteintes qu’elle a subies.

L’AFMJ travaille sur des propositions de réforme de la justice des mineurs. Quelles en sont les grandes lignes ?

Il faut remettre les choses à plat. Les principes de l’ordonnance de 1945 n’ont pas été remis en question mais ils sont démentis par certaines dispositions des textes. Il y a donc nécessité de renouer avec une certaine cohérence. Il faut revenir en priorité sur les peines plancher et le tribunal correctionnel pour mineurs. Plus globalement, nous souhaitons rester dans l’esprit d’une justice spécialisée éducative, tout en l’adaptant à une demande sociale en évolution, peut-être avec une plus grande réactivité. Il faudrait pouvoir allier à la fois le temps de l’éducation, nécessairement long, et des réponses judiciaires plus rapides et plus lisibles.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Juge des enfants depuis 1988, Catherine Sultan préside depuis 2007 le tribunal pour enfants de Créteil. Elle a été présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille de 2007 à 2012. Elle publie Je ne parlerai qu’à ma juge. Voyage au cœur de la justice des enfants (Ed. Seuil, 2013).

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