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« Faisons cesser la mendicité avec bébés »

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Julien Damon. Professeur associé à Sciences-Po. Ancien chef du service Questions sociales au Centre d’analyse stratégique.

On glose à foison sur la crise et la pauvreté depuis, disons, une trentaine d’années. Les dépenses sociales, sur la période, n’ont fait qu’augmenter. Des initiatives majeures – le RMI en premier lieu – ont été prises. Et il faut se souvenir que l’un des objectifs assignés à cette innovation consistait à « obvier à la mendicité ».

Aujourd’hui, la France est le pays au monde qui affecte la plus grande part de sa richesse nationale aux mécanismes de protection sociale. Elle insuffle ou cherche à insuffler au niveau européen du volontarisme sur le plan social. Elle donne, peut-être un peu moins maintenant, des leçons de droits de l’Homme. Alors comment, dans ce contexte, tolérer dans les rues des grandes villes françaises un phénomène absolument insupportable : celui de petits enfants qui, pour susciter la compassion, accompagnent des adultes qui mendient – quand ils ne mendient pas eux-mêmes. Ils dorment à même la rue ou dans des cabines téléphoniques. Ils vivent dans des bidonvilles insalubres où s’accumulent toutes les illégalités. Ils sont parfois de simples objets exploités par des réseaux mafieux de traite humaine.

Les réalités sont choquantes. Notamment au regard de la densité institutionnelle et financière du système de prise en charge. Déclarations d’indignation mais aussi déclarations d’impuissance se multiplient. Aux pétitions d’habitants outrés répondent souvent des pétitions de principe du type : « Il faut préserver la relation entre l’enfant et les parents », ou, dans un autre camp : « De toutes les manières, c’est culturel pour ce genre de population. » Au final, rien ne bouge et la situation se dégrade par augmentation visible du problème. Il suffit de ne pas fermer les yeux. La tournée des experts, opérateurs et décideurs ne donne pas grand-chose. La police se dit peu concernée, même si les délits de provocation et d’exploitation des mineurs pour la mendicité sont, théoriquement, sévèrement condamnables. Les gradés répondent être au fait des sujets mais cherchent d’abord à démanteler les réseaux structurés. Les municipalités renvoient vers l’Etat, et vice-versa. Les ministères soulignent que les décisions sont du ressort du juge. Qui renvoie, à son tour, aux travailleurs sociaux.

Dans ces conditions, que faire ? Plutôt que de blablater, voici une proposition ferme : il faut placer ces enfants, et singulièrement les nourrissons. Personne ne peut nier qu’ils sont en danger. Qui oserait soutenir que ces situations ne comptent pas parmi les plus dégradées ? Elles correspondent exactement, et à très forte raison, aux critères appelant l’intervention de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Alors que dans de nombreux départements, des enfants, parfois très jeunes, sont séparés de leurs parents à des niveaux de traitement et d’environnement défaillants moins élevés, il est incompréhensible que l’on n’agisse pas pour ces enfants traînant dans les rues, particulièrement pour ces bébés. Comment ? Le sujet des mineurs isolés et/ou exploités, surtout s’ils sont étrangers, est sensible et compliqué mais celui des bébés l’est un tout petit peu moins. Ne serait-ce qu’en raison du fait que ces enfants tout petits, placés, ne s’enfuiraient pas immédiatement comme peuvent le faire leurs aînés. Le grand sujet, en réalité, est financier. Car l’ASE coûte cher (45 000 € par an pour un placement). Une piste à creuser – le problème étant pleinement européen, et pas uniquement hexagonal – consiste à passer par les financements communautaires. Certains d’entre eux sont affectés à l’insertion des minorités et, pour l’instant, peu consommés. Ce n’est pas une solution budgétaire miracle, mais un appel à la nécessaire européanisation du dossier. Les institutions de l’Union s’intéressent d’ailleurs de plus en plus au trafic d’êtres humains dont relève explicitement l’incitation à la mendicité.

Mais jusqu’où aller ? Les uns vont critiquer des bases juridiques fragiles. D’autres, s’appuyant sur le slogan « la pauvreté n’est pas un crime », vont signaler amalgame et stigmatisation de populations singulières. Ils vont rétorquer que la petite bourgeoisie ne supporte pas la proximité de la misère du monde. D’autres encore vont considérer que de telles possibilités de prise en charge des enfants alimentent une pompe aspirante pour des migrations indésirables. De tous les côtés, on trouvera des arguments pour ne rien faire.

On attribue à Nietzche l’aphorisme « celui qui a un pourquoi peut supporter tous les comment ». La cause des bébés à la rue commande probablement quelques révisions dans les textes, mais surtout des actions décisives. Il en va, individuellement, de l’avenir de ces enfants et, collectivement, de la reproduction ad vitam æternam de ces problèmes indignes de sociétés d’abondance.

« Il faut placer ces enfants, et singulièrement les nourrissons. Personne ne peut nier qu’ils sont en danger »

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