Le long silence des brebis

Elles ont près de 70 ans et se retrouvent tous les jours sur un forum Internet pour raconter leurs souvenirs. Ceux des institutions, aujourd’hui fermées, du Bon Pasteur – placées sous la direction des Sœurs de la Miséricorde – auxquelles elles ont été confiées dans les années 1950. Pendant des décennies, ces femmes se sont tues. Honte de raconter ce qui s’était passé entre ces murs. Sur ce forum de discussions lancé par une ancienne pensionnaire, elles peuvent enfin évoquer cette partie de leur vie. Elles racontent toutes la même chose : dans ces établissements religieux où elles étaient placées par le juge des enfants afin de recevoir « une bonne éducation », ces filles perdues étaient enfermées comme dans une prison et subissaient des brimades. Les sœurs ne cessaient de les rabaisser. « Tu finiras dans le caniveau », me répétait-on sans cesse, affirme Marie-Michèle. « J’ai vu des filles en petite culotte et en chemise sur le palier se faire battre. Elles y couchaient parfois. Elles prenaient froid », ajoute France. Elles se rappellent aussi ces filles dont la poitrine était développée que l’on bandait de force sous prétexte qu’elles avaient « le diable au corps ». Pour les plus rebelles, c’était le cachot, des coups, des privations, la douche froide. Sans oublier que, dans certains de ces établissements, les adolescentes étaient contraintes à travailler sans rémunération dix heures par jour. Une journaliste de France Culture a recueilli les témoignages d’une poignée d’ex– « mauvaises graines » qui n’avaient rien à se reprocher, à part d’être nées de parents qui ne voulaient pas d’elles. Son reportage donne aussi la parole à quelques sœurs encore vivantes, qui racontent une toute autre version. « Il y a sans doute une différence de perception », argumentent-elles.