Dans trois arrêts rendus le 21 décembre dernier, le Conseil d’Etat a mis un terme à la jurisprudence déployée depuis 2009 par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en matière de protection – au titre de l’asile (statut de réfugié ou protection subsidiaire) – des jeunes filles nées en France et menacées d’excision en cas de retour dans leur pays d’origine (1). Une jurisprudence en application de laquelle la protection subsidiaire était accordée – sous conditions – à l’enfant ou l’adolescente mais aussi, par ricochet, au parent en situation irrégulière, au nom de l’unité familiale. La donne a désormais changé et le ministère de l’Intérieur en tire les conséquences dans une circulaire adressée aux préfets.
Le Conseil d’Etat a considéré qu’une jeune fille née en France pouvait, sous certaines conditions, se voir reconnaître la qualité de réfugiée « à raison du risque d’être exposée à la pratique de l’excision dans le pays dont elle a la nationalité ». Les sages ont en effet estimé que, dans les pays et sociétés où l’excision est la norme sociale, les enfants non mutilées constituent un « groupe social » au sens de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et sont donc à même d’obtenir le statut de réfugié… à condition toutefois de pouvoir fournir des éléments attestant leurs craintes personnelles (autrement dit, le risque encouru doit être démontré). Dans le même temps, s’agissant des parents d’enfants exposées à un risque d’excision, le Conseil d’Etat a jugé qu’ils pouvaient eux-mêmes prétendre au statut de réfugié ou à la protection subsidiaire seulement s’il était établi qu’ils encouraient personnellement un risque de persécutions ou de mauvais traitements dans leur pays d’origine du fait de leur opposition aux mutilations sexuelles. Hors ce cas, ils ne peuvent prétendre pour eux-mêmes à aucune protection.
Le ministère de l’Intérieur indique que cette jurisprudence du Conseil d’Etat a vocation à s’appliquer immédiatement aux demandes d’asile présentées à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) par des parents, en leur nom et/ou au nom de leurs enfants. Elle a vocation à s’appliquer également lors du renouvellement annuel des protections subsidiaires accordées antérieurement aux enfants exposées à un risque de mutilation sexuelle ainsi qu’à leurs parents, « lorsque ces derniers font une demande expresse de réexamen de la situation de l’enfant ».
Cette jurisprudence « conduira généralement l’OFPRA à reconnaître aux enfants le statut de réfugié », explique la circulaire, ajoutant que « des mesures complémentaires seront parallèlement prises, sous forme de contrôle médical périodique, en vue de garantir la protection de ces enfants au regard du risque de mutilations ».
S’agissant des parents d’une enfant ayant obtenu le statut de réfugié ou la protection subsidiaire et qui n’ont pas obtenu pour eux-mêmes le bénéfice d’une telle protection, le ministère indique qu’ils devront être systématiquement invités par l’OFPRA à se présenter à la préfecture de leur domicile munis de la décision accordant à leur enfant la protection au titre de l’asile, afin de demander pour eux-mêmes un titre de séjour. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne prévoyant pas la délivrance de plein droit d’un titre particulier aux parents placés dans cette situation, les préfets sont invités à leur délivrer, dans le cadre d’une admission exceptionnelle au séjour, une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », sous réserve que les intéressés ne puissent bénéficier d’un titre de séjour sur un autre fondement.
L’octroi de cette carte, insiste le ministère, est subordonné à la présentation par les parents de la décision de l’OFPRA ou de la CNDA accordant à leur enfant le bénéfice de l’asile. En revanche, les préfectures devront veiller à ne pas exiger la production du certificat médical réalisé à la demande de l’office, « dont la non-production […] ne saurait justifier un refus de titre de séjour ». « La fin du droit au séjour ne saurait résulter, le cas échéant, que d’une décision de l’OFPRA mettant fin à la protection au titre de l’asile » concernant leur enfant, précise la circulaire.
A noter : ces consignes relatives à la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » au titre de l’admission exceptionnelle au séjour valent également pour les parents qui, antérieurement, bénéficiaient de la protection subsidiaire par extension de celle accordée à leurs enfants et auxquels l’OFPRA, le cas échéant, ne renouvellerait plus cette protection.
(1) Voir ASH n° 2793 du 18-01-13, p. 36.