Migrants forcés à l’exil, comment les réfugiés vivent-ils leur grand âge ? Quels sont les effets du cumul des facteurs liés au vieillissement, à l’immigration et à leur expérience singulière ? Parce le sujet est très peu exploré, France terre d’asile a mené, en partenariat avec la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), une étude visant à « lever le voile sur la situation des réfugiés âgés, invisibles parmi les invisibles », et à « permettre l’émergence d’une réflexion sur l’amélioration de leur prise en charge » (1).
L’association s’est appuyée sur une exploitation de l’enquête « Passage à la retraite des immigrés » publiée en 2006 par la CNAV, ainsi que sur les résultats d’une autre conduite en 1991 par l’ancien service social d’aide aux émigrants et sur des données recueillies en 2011 par le réseau Samdarra (2). Elle a aussi mené dix entretiens approfondis avec des réfugiés de plus de 50 ans, naturalisés ou non, ayant tous vécu au moins 20 ans en France. Une première catégorie (de nationalité cambodgienne et chilienne) est arrivée sur le territoire avant 1980 et une autre (de nationalité turque, chilienne, sri-lankaise et congolaise) entre 1980 et 1990. Les statistiques de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) montrent en outre que, depuis plus d’une dizaine d’années, le nombre de réfugiés de plus de 50 ans, même s’il est peu élevé, augmente parmi l’effectif des bénéficiaires d’une protection internationale en France : en 2010, ils étaient 669, soit deux fois plus qu’en 2000. A cet effectif s’ajoute celui des réfugiés ayant acquis la nationalité française. S’il n’existe pas pour eux de statistiques, preuve de la défaillance de l’observation publique sur le sujet, c’est le cas de 54 % de l’échantillon interrogé par la CNAV (contre 32 % de l’ensemble des migrants). Autre constat : cette population se féminise, puisque les femmes représentaient 52 % des personnes de plus de 50 ans sous protection en 2010, contre 45 % en 2000.
L’année d’arrivée, le pays d’origine, le profil et l’âge de la personne ont influencé ses conditions d’accueil et son parcours d’intégration. En effet, dans un contexte d’accroissement exponentiel du nombre de demandeurs d’asile, les conditions d’accueil se sont dégradées après le milieu des années 1980 : ceux arrivés après 1985 ont dû faire face à la pénurie de places en centre d’accueil pour demandeurs d’asile, qui a réduit la qualité de leur prise en charge et ralenti leur accès au logement pérenne. Malgré leur statut qui leur confère un accès au droit commun, leur accompagnement par les administrations s’est également détérioré.
En plus d’un déclassement professionnel, les réfugiés et demandeurs d’asile ont, pour la plupart, des parcours professionnels fragmentés, marqués par de longues périodes d’inactivité (65 %, contre 47 % de l’ensemble des migrants). Exposés à plusieurs sources de vulnérabilité (état psychologique, manque de liens sociaux…), ils sont « davantage soumis à l’instabilité du marché de l’emploi que l’ensemble des migrants, d’autant plus que, depuis 1991, les demandeurs d’asile ne peuvent plus travailler ». Si des problèmes de santé (30 % du public interrogé par la CNAV) dus à la pénibilité des emplois exercés entraînent souvent des arrêts de travail, voire des retraites anticipées, bon nombre doivent travailler au-delà de l’âge légal pour assurer leur survie financière.
Reste que l’accès à la retraite des réfugiés « s’apparente bien souvent à un parcours semé d’embûches », en raison des difficultés à rassembler les pièces justificatives des activités exercées dans le pays d’origine, surtout dans ceux qui sont en conflit ou qui n’ont pas signé unaccord de sécurité sociale avec la France. « Les seules options qui s’offrent à eux sont généralement d’accepter de toucher une pension de retraite très faible », souvent l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
Les réfugiés doivent, de surcroît, « vieillir avec des traumatismes liés à l’exil » : les séquelles de blessures physiques, psychologiques, de violences sexuelles, ou du sentiment de culpabilité lié au départ de leur pays natal peuvent ressurgir avec l’âge. Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, notamment, « nécessitent une attention particulière ». Replongées dans leurs traumas, « certaines ne vont plus s’exprimer que dans leur langue maternelle, qui “ressort” souvent avec la perte des facultés mentales et psychologiques ». Si la plupart des réfugiés se sont résolus à finir leur vie en France, beaucoup se sentent « en errance perpétuelle », « mal intégrés dans leur groupe d’âge », avec « une vision péjorative de la vieillesse en France » – celle du délaissement des personnes âgées par leurs enfants. Ils sont malgré tout 20 %, parmi ceux qui déclarent avoir besoin d’aide, à la recevoir de la part de leur entourage. Finir ses jours hors de son pays d’origine devient, par ailleurs, une question complexe, surtout en l’absence de réponse juridique aux interrogations qui émergent sur le lieu d’enterrement, puisqu’aucune mesure spécifique n’est prévue pour faciliter le rapatriement des corps des migrants.
De l’amélioration de la connaissance de ce public au renforcement de l’accès aux droits, notamment à la retraite et aux soins, en passant par le développement de l’interculturalité dans la prise en charge au sein des structures médico-sociales, le développement de solutions innovantes de logement et l’amélioration de l’accompagnement des aidants familiaux, France terre d’asile formule 15 recommandations pour tenir compte des besoins des réfugiés vieillissants. L’association a adressé le fruit de son travail à la mission d’information parlementaire sur les immigrés âgés, lancée au mois de janvier dernier et présidée par Denis Jacquat, député (UMP) de Moselle. Avec l’espoir que cette question puisse être comprise dans celle, plus globale, des parcours d’intégration.
(1) « Réfugiés âgés, invisibles parmi les invisibles » – Cahier du social n° 34 – Mars 3013 – Disponible sur
(2) Sur le réseau Samdarra, voir ASH n° 2626 du 2-10-09, p. 29.