« Dérogation au principe fondamental de la liberté de la négociation collective », la procédure d’agrément ministériel des accords collectifs conclus au sein des établissements et des services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) privés non lucratifs a été mise en place dans l’objectif de « maîtriser les dépenses de fonctionnement [de ces structures] qui mobilisent principalement des financements publics », rappelle l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans un rapport d’évaluation de la procédure d’agrément (1). L’IGAS avait en effet été chargée en février 2012, par la ministre des Solidarités de l’époque, Roselyne Bachelot, de vérifier si la procédure d’agrément répondait de façon satisfaisante à sa finalité de contrôler la soutenabilité financière des accords « locaux » (2) et s’il était pertinent de la maintenir au regard de l’évolution de la régulation financière du secteur depuis la fin des années 1990. Après avoir passé en revue les avantages et les inconvénients de cette procédure, l’IGAS propose plusieurs pistes d’évolution, qui n’ont pas convaincu la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Celle-ci a toutefois retenu certaines préconisations de l’inspection concernant le pilotage du dispositif.
Le dispositif d’agrément des accords collectifs a été instauré en 1975 à une époque où l’Etat et les organismes de sécurité sociale étaient les principaux acteurs et financeurs du secteur, rappelle l’IGAS. Depuis, les lois de décentralisation ont fortement élargi les responsabilités et la part des départements dans le financement des établissements sociaux et médico-sociaux. Ce qui a conduit, dans un souci de sécurisation des financements, à instaurer, en corollaire de l’obligation d’agrément, l’opposabilité des accords agréés aux autorités de tarification. Cette opposabilité s’inscrit dans un double système d’encadrement financier, qui est « une source de tensions et de contentieux pesant sur l’ensemble du dispositif » d’agrément, explique l’IGAS. En effet, on a, d’une part, un taux d’évolution annuel de la masse salariale fixé par l’Etat lors de la conférence salariale annuelle, qui encadre les accords nationaux, et, d’autre part, les enveloppes limitatives de crédits des autorités de tarification, qui doivent prendre en compte la situation spécifique de chaque structure et particulièrement les effets induits par les accords d’établissements (3). Or « la primauté de l’une ou de l’autre de ces opposabilités n’est pas consacrée par les textes », pointe le rapport.
La multiplicité des autorités de tarification (préfet de région, préfet de département, conseils généraux, agences régionales de santé) – qui doivent être consultées par la commission nationale d’agrément (CNA) – est aussi « une source de complexité dans la gestion de la procédure d’agrément », relève l’IGAS, qui donne l’exemple d’associations gestionnaires comptant plus de dix autorités locales de tarification.
Autre cause de difficulté : le secteur – « ensemble composite de structures et de gestionnaires » – est régi par plusieurs conventions collectives, regroupées dans deux branches professionnelles (Unifed et USB-Domicile) qui couvrent la majorité des salariés. Toutefois, plus de 110 000 salariés ne bénéficient aujourd’hui d’aucune convention collective, tandis que d’autres – dont le nombre n’est pas précisément connu – sont couverts par une convention d’entreprise autonome…
L’inspection générale des affaires sociales note que, malgré leur nombre important (548 en 2010 et 385 en 2011), les accords locaux soumis à agrément ont un coût « très peu élevé » – 1,5 million d’euros en 2010 et 2011, contre 89 millions en 2010 pour les accords nationaux – et estime donc que la procédure d’agrément remplit sa fonction de maîtrise des coûts. Seuls 10 % d’entre eux ont en effet une incidence financière, les dirigeants des établissements tendant à adapter le contenu des accords et leur coût à leurs capacités financières et aux possibles marges de négociations avec les autorités de tarification. Toutefois, compte tenu de la lourdeur de la procédure d’agrément des accords locaux – recueil de l’avis des « multiples » autorités locales de tarification par la CNA, délais réglementaires de traitement difficiles à respecter, mobilisation de moyens humains importants (4) –, l’inspection générale des affaires sociales considère qu’elle est « disproportionnée au regard des enjeux financiers globaux du dispositif ».
Face à ce constat, l’inspection propose trois scénarios d’évolution possible, mais en écarte un immédiatement : celui de la déconcentration de la procédure d’agrément, qui ne pourrait, selon elle, « constituer qu’un alourdissement et une démultiplication des charges administratives aujourd’hui concentrées sur une seule entité », la commission nationale d’agrément.
Les deux autres scénarios évoqués par l’IGAS – la suppression et l’aménagement de la procédure d’agrément (en n’y soumettant que les accords ayant une incidence financière) –, c’est la DGCS qui les a d’ores et déjà écartés, du moins pour le moment : dans un rapport présenté lors de la conférence salariale du 4 février dernier (5), elle estime en effet « prématuré de lancer dès 2013 une réflexion et une concertation avec l’ensemble des acteurs intéressés sur ces différents scénarios », considérant que « l’évolution de la procédure d’agrément doit s’inscrire dans le cadre plus large de l’évolution des modes de tarification des établissements et services sociaux et médico-sociaux ».
Au-delà, l’IGAS préconise de faire évoluer les instances de pilotage du dispositif. Elle recommande, tout d’abord, de rééquilibrer la représentation au sein de la CNA des différents responsables et financeurs, en augmentant en particulier celle des conseils généraux dont le nombre de représentants est deux fois moins élevé que celui des représentants de l’Etat.
La seconde évolution avancée concerne le contenu et l’organisation de la conférence nationale salariale. Sur ce point elle semble avoir été entendue par la direction générale de la cohésion sociale qui propose ainsi, dès 2013 :
→ de préparer la conférence salariale en réunissant en amont l’ensemble des financeurs concernés par la procédure d’agrément ;
→ d’aborder, lors de la conférence salariale, non seulement les questions de revalorisation salariale, mais aussi des points relatifs à l’évolution de l’emploi, à la professionnalisation ou encore à la progression du secteur lucratif dans certains domaines d’intervention ;
→ de modifier le calendrier de la conférence salariale : « une première réunion se tiendrait à l’automne et non plus en début d’année, une seconde au printemps et non plus en juillet. Ce calendrier serait effectivement mieux adapté à la préparation budgétaire des établissements et mieux calé sur le calendrier d’adoption de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale », explique la DGCS.
La direction générale de la cohésion sociale a également indiqué qu’elle lancera dès 2013 des travaux permettant de s’engager à terme dans la voie de la dématérialisation de la procédure d’agrément.
(1) « Evaluation de la procédure d’agrément des conventions et accords collectifs d’entreprise et d’établissement du secteur social et médico-social » – IGAS – Septembre 2012 – Patricia Sitruk.
(2) N’étaient visés par l’étude de l’IGAS que les accords collectifs signés au niveau des établissements et des services (accords d’entreprise), et non les accords conclus au niveau national (conventions collectives nationales et leurs avenants, accords de branche).
(3) Aux demandes de financement émanant des ESSMS, les autorités de tarification peuvent opposer les enveloppes médico-sociales financées par l’assurance maladie et par l’Etat, et modifier en conséquence les prévisions de charges d’une structure.
(4) A savoir trois agents de la DGCS, aidés par des contractuels ou des stagiaires en période de montée en charge du nombre de dossiers à instruire. A ces personnels de l’administration centrale s’ajoutent ceux des services déconcentrés, des conseils généraux et des ARS consultés par la CNA.