En janvier dernier, le Premier ministre a demandé à Bertrand Fragonard, président délégué du Haut Conseil de la famille (HCF), d’examiner si les prestations sociales et fiscales mises en œuvre dans notre politique familiale sont cohérentes, équitables et efficaces, et, dans le cas contraire, de proposer des mesures correctrices. Avec pour objectif final de ramener à l’équilibre les comptes de la branche famille d’ici à 2016. Un objectif contesté par la plupart des membres du HCF, selon l’avis qu’ils ont émis sur le rapport que Bertrand Fragonard a, le 9 avril, remis au chef du gouvernement (1). En effet, expliquent-ils, « le déficit de la branche famille est artificiel » car il « résulte notamment de la prise en charge des dépenses […] afférentes aux majorations de retraite pour les assurés ayant élevé trois enfants ou plus » (8,8 milliards d’euros) qui devraient revenir à la branche vieillesse. Dans la mesure où la branche famille devrait retrouver à l’équilibre en 2019, « il n’y a pas lieu de “forcer” ce mouvement, surtout dans un contexte de crise économique qui pèse sur la consommation des familles et donc sur la croissance », estiment ces membres du HCF. L’exercice est donc, selon eux, « prématuré » compte tenu des autres dossiers en cours, tels que la réforme du complément de libre choix d’activité, de l’allocation de soutien familial (ASF) et du complément familial (2), ainsi que la négociation de la future convention d’objectifs et de gestion 2013-2016 de la caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) (3). Ce rapport est donc loin de faire l’unanimité au sein du HCF, dont l’avis n’est toutefois que consultatif !
Aussi Jean-Marc Ayrault a-t-il demandé à Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, et à Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille, d’« étudier de façon plus approfondie les propositions du rapport, en prenant en compte l’avis exprimé par le HCF ». Le Premier ministre a indiqué qu’il réunirait le Haut Conseil « dans les semaines qui viennent pour présenter les options de travail qui auront été retenues par le gouvernement ».
Pour Bertrand Fragonard, il faut « accroître le financement des services aux familles ». Il convient donc, selon lui, de consentir un effort financier sur l’action sociale de façon à assurer le développement des établissements d’accueil du jeune enfant – selon des modalités évoquées dans un avis du HCF de février dernier (4) – et de « doubler les crédits consacrés à la politique d’accompagnement de la parentalité » (développement de la médiation familiale, des lieux d’accueil enfants-parents…), aujourd’hui trop modestes selon l’inspection générale des affaires sociales (5). Un objectif que s’était d’ores et déjà fixé la ministre déléguée à la famille (6). Dans ce cadre, le rapport estime que la demande de la CNAF de voir le budget de son fonds national d’action sociale augmenter de 7,5 % par an entre 2013 et 2016 est légitime (7). Un budget qui doit, selon lui, permettre d’adopter une politique d’action sociale « plus ambitieuse », notamment en direction des temps libres des enfants et des adolescents.
Afin de soutenir les familles modestes et les familles monoparentales, le gouvernement a notamment annoncé l’amélioration du complément familial dans le cadre du plan « pauvreté ». Le groupe de travail « accès aux droits et aux biens essentiels, minima sociaux » ayant planché sur ce point pour la préparation du plan avait alors proposé de majorer la prestation de 86 € par mois sous un plafond de ressources spécifique. Selon le rapport, compte tenu des contraintes actuelles de financement de la branche famille, le plafond qu’il serait « raisonnable de retenir » devrait au mieux être égal à 75 % du revenu médian, sachant que le seuil de pauvreté est, lui, fixé à 60 % du revenu médian. Coût de la mesure étalée sur cinq ans : 465 millions d’euros. Le gouvernement entend aussi réduire les taux d’effort abusifs supportés par les locataires modestes. Il s’agit de majorer, sous la forme d’un bonus, l’aide au logement pour les ménages ayant des enfants dont le loyer est très supérieur au loyer plafond. Et, à terme, de ramener le taux d’effort de l’ensemble des ménages à 25 ou 30 %. Pour Bertrand Fragonard, il faudrait, « dans un premier temps, ne mettre en place cette majoration que dans les zones de forte tension sur le marché locatif » et, dans un second temps, « majorer l’aide au logement pour les ménages dont le loyer et les charges sont très supérieurs à la dépense éligible ». D’après des simulations demandées à la CNAF, réduire le taux d’effort des familles à 30 % se traduirait pour un bonus d’environ 170 € pour les 10 % d’allocataires dont l’aide au logement est aujourd’hui la plus élevée. Coût de la mesure : 295 millions d’euros. Par contre, réduire le taux d’effort à 25 % se traduirait par un bonus de 310 €, pour un coût total de 520 millions. Même s’il existe un « risque d’inflation des loyers et de “captation de l’aide” par les propriétaires, souligne le rapport, il semble qu’on puisse assumer ce risque qui, au demeurant, devrait diminuer avec l’encadrement des loyers » (8).
Bertrand Fragonard s’est aussi penché sur l’ajustement de certaines prestations sous conditions de ressources. S’agissant, par exemple, de la prime à la naissance de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), il a identifié trois possibilités : supprimer la prestation, réduire son montant ou la remplacer par un prêt (servi sans intérêt par des établissements de crédit adjudicataires). Si la plupart des membres du HCF s’opposent à cette dernière mesure, d’autres estiment en revanche qu’un abaissement du plafond de ressources à ne pas dépasser pour l’octroi de la prime est « envisageable ».
Sans attendre les conclusions de Bertrand Fragonard, le président de la République a annoncé en mars dernier qu’il ne fiscaliserait pas les allocations familiales, mais qu’il entendait abaisser leur montant pour les ménages les plus aisés, un montant actuellement identique quel que soit le niveau de revenu des familles. Deux scénarios sont étudiés dans le rapport : diviser par deux ou trois le montant des allocations familiales au-dessus d’un certain plafond. Par exemple, pour une famille composée de deux enfants et dont les revenus mensuels s’élèvent à 5 771 €, le montant des allocations familiales serait divisé par trois. Pour une famille ayant deux enfants et dont les revenus mensuels sont de 5 009 €, le montant des allocations familiales serait divisé par deux. D’autres scénarios sont aussi proposés pour diminuer les effets de seuil.
Selon l’avis du HCF, « une majorité des membres est hostile à une telle modulation » des allocations familiales (9), estimant qu’elle porterait « atteinte au principe d’universalité » des prestations familiales et constituerait un système « complexe, coûteux en terme de gestion, et donc contraire à l’objectif de simplification ». Si ce projet était retenu, il faudra réserver aux caisses d’allocations familiales les moyens nécessaires pour y faire face. Pour d’autres membres, la modulation des allocations familiales est envisageable à certaines conditions, notamment : cibler les ménages aux plus hauts revenus et instaurer un plafond de revenus majoré en faveur des familles monoparentales ou biactives. Quoi qu’il en soit, Bertrand Fragonard est défavorable à la suppression des allocations familiales pour les ménages aisés.
Autre piste avancée par le rapport : fusionner les allocations familiales, le complément familial et l’allocation de base de la PAJE. Pour lui, cette réforme devrait permettre de « créer un système plus redistributif », plus ciblé sur les ménages modestes dans la mesure où ces trois prestations sous soumises à des conditions de ressources. En outre, cette mesure aurait le mérite de simplifier le dispositif actuel et de dégager des économies comprises entre 900 millions et 1,6 milliard d’euros. En pratique, il s’agirait de créer une prestation unique dont le montant serait divisé par quatre au-dessus d’un certain plafond de ressources. Une « prestation socle » serait versée à tous les ménages. Par exemple, pour une famille ayant deux enfants, son montant pourrait ainsi être égal au quart des allocations familiales pour deux enfants. Une « prestation chapeau » serait servie aux familles ayant des revenus inférieurs à un certain plafond et dont le montant serait équivalent à quatre fois la « prestation socle », éventuellement assortie de majorations à prévoir pour un enfant de moins de 3 ans et de plus de 14 ans.
Selon le rapport, l’une des conséquences de ce scénario serait de faire perdre 75 % de la prestation unifiée aux familles lorsqu’elles dépassent le plafond de ressources. Aussi propose-t-il une variante « plus progressive » où le montant de la prestation unique serait modulé en fonction de la tranche de revenus à laquelle le ménage appartient (inférieurs à 3 237 €, compris entre 3 237 € et 4 673 € et supérieurs à 4 673 €) (10). Economies escomptées : 1,6 milliard.
Bertrand Fragonard a aussi examiné la question du gel ou de la sous-indexation des prestations soumises à une condition de revenus, qu’il s’agisse de leur montant ou de leur plafond de ressources. Certes, admet-il, un point de sous-indexation générerait une économie de 290 millions d’euros et le gel des prestations 500 millions. Toutefois, estime-t-il, il s’agirait d’un « processus aveugle dans la mesure où il frappe du même pourcentage de perte de pouvoir d’achat toutes les prestations quel qu’en soit le montant ». Si le gouvernement devait recourir à ce genre de mesures, « il faudrait que ce soit ponctuel », insiste le président du HCF, et, en tout cas, que cela ne s’applique pas aux aides au logement dans la mesure où elles sont déjà ciblées sur les ménages très modestes.
A l’annonce de ses chantiers sociaux après son élection à la présidence, François Hollande avait indiqué qu’il abaisserait le quotient familial, notamment pour financer l’augmentation de 25 % de l’allocation de rentrée scolaire. Le rapport a étudié le plafonnement du quotient familial à 1 500 € et à 1 750 € (contre 2 000 € par demi-part aujourd’hui). Cette mesure – qui viserait alors 10 % des foyers fiscaux ayant des enfants à charge – se traduirait par un supplément d’impôt moyen de 68 € dans le premier cas et de 36 € dans le second. Le rendement financier serait de 915 millions d’euros en cas de quotient familial plafonné à 1 500 € et à 430 millions d’euros s’il était abaissé à 1 750 €.
(1) Avis et rapport « Les aides aux familles » disponibles sur
(2) La réforme de l’ASF et du complément familial a été décidée dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale afin de mieux soutenir les familles les plus modestes – Voir ASH n° 2794 du 25-01-13, p. 39.
(9) S’y sont opposés la CGT, FO, la CFTC, la CFE-CGC, la FSU, la CNAF, l’Union nationale des associations familiales et l’Union des familles laïques. En revanche, la CFDT, l’UNSA, le Medef et le Conseil national des associations familiales laïques y sont favorables.
(10) Pour les revenus les plus bas, les prestations seraient maintenues à leur niveau actuel. Dans la tranche intermédiaire, elles seraient progressivement diminuées, pour atteindre 25 % du montant des anciennes prestations. Et, dans la tranche supérieure, le montant des prestations serait égal à 25 % du montant des anciennes prestations.