Le document était attendu par les associations de migrants et de malades, très inquiètes du sort réservé à cette catégorie d’immigrés (1). Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale de l’administration (IGA) sur l’admission au séjour des étrangers malades vient d’être mis en ligne sans grande publicité, après avoir été remis le 26 mars aux ministres de la Santé et de l’Intérieur (2). Les deux inspections étaient chargées d’évaluer la réforme issue de la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité – dite loi « Besson » –, par laquelle le gouvernement précédent a voulu encadrer plus strictement le dispositif permettant la délivrance à un étranger résidant habituellement en France d’un titre de séjour pour soins, quelles que soient ses conditions d’entrée sur le territoire (régulière ou irrégulière), et qui génère de sérieuses difficultés dans son application. Des difficultés confirmées par l’IGAS et l’IGA, qu’elles expliquent en pointant « une organisation administrative marquée par l’absence de pilotage central et impuissante à endiguer les dysfonctionnements les plus criants ». Plusieurs propositions sont avancées pour remédier à la situation (sur les réactions associatives, voir ce numéro, page17). Dans un communiqué commun, Marisol Touraine et Manuel Valls ont promis de les étudier et annoncé leur intention d’engager une « nouvelle réflexion » sur l’admission au séjour des étrangers malades.
Pour mémoire, la délivrance d’un titre de séjour pour raisons de santé est subordonnée à l’existence d’une résidence habituelle en France, à un état de santé nécessitant une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour l’intéressé des conséquences d’une exceptionnelle gravité ainsi que, depuis la loi « Besson », à l’absence d’un traitement approprié dans le pays d’origine (et non plus à l’impossibilité pour l’étranger de pouvoir en bénéficier effectivement). Concrètement, le préfet délivre le titre au vu d’un avis émis par le médecin de l’agence régionale de santé (ARS) compétente. Cet avis est lui-même émis au vu non seulement d’un rapport médical établi par un médecin agréé ou un médecin praticien hospitalier mais aussi des informations disponibles sur l’existence d’un traitement dans le pays d’origine de l’intéressé – et non plus au vu des informations disponibles sur les possibilités de traitement dans ce pays.
Dans une première partie consacrée à l’impact de la loi « Besson » sur les conditions de séjour et de protection contre l’éloignement des étrangers malades, l’IGAS et l’IGA relèvent que les mesures restrictives posées par le texte n’ont eu que « des effets relativement limités », d’un point de vue statistique, sur les volumes de titres de séjour délivrés pour motifs de santé, soulignant une « stabilité étonnante ». « De surcroît, [les] termes [de la loi] ont bénéficié d’une interprétation bienveillante de la part des autorités de santé publique », assurent les rapporteurs.
Le tableau qu’ils dressent du dispositif n’en est pas moins sombre. Ils constatent en effet des disparités importantes, voire des irrégularités dans le traitement des dossiers, qu’il s’agisse du volet administratif ou du volet médical. En cause : des « insuffisances dans la gouvernance globale de l’ensemble du dispositif ». Ces insuffisances découlent à la fois de carences en matière de coopération et d’harmonisation des positions respectives des ministères de l’Intérieur et de la Santé – le rapport liste à cet égard plusieurs « divergences n’ayant pas fait l’objet d’arbitrages clairs » – et de faiblesses au niveau de chacun d’eux dans le pilotage de leurs propres services. Sur ce dernier point, la mission observe par exemple que l’Intérieur donne peu de consignes aux préfets sur la question des étrangers malades – « sans nul doute un élément important d’explication » des disparités d’interprétation des textes et « de l’introduction de pratiques différentes d’un département à l’autre ». Du côté de la Santé, elle pointe des « insuffisances en matière d’instruction, d’information et d’animation par l’administration centrale du réseau des médecins de santé publique » dans la mise en œuvre du dispositif « étrangers malades ».
L’inadaptation de l’outil statistique, l’absence de référentiels médicaux et d’informations sur l’offre de soins du pays d’origine, les carences en matière de formation des personnels sont d’autres faiblesses évoquées par les inspecteurs.
Ces constats ont conduit la mission à formuler des recommandations « visant à garantir la qualité et l’équité dans l’instruction des dossiers » : envoi d’une instruction générale aux préfets, construction d’un référentiel médical sur la notion de « conséquences d’une exceptionnelle gravité » (validé par voie réglementaire), réécriture de la loi afin d’y intégrer une référence explicite à la capacité globale du système de santé du pays d’origine à garantir un traitement approprié à l’état du patient, etc.
Mais au-delà de ces « mesures d’ordre technique », les rapporteurs proposent également de revoir l’ensemble du dispositif d’expertise médicale et de transférer intégralement les missions actuellement dévolues aux médecins des ARS à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Les médecins de l’OFII se verraient ainsi confier « le soin de recevoir et d’examiner les demandeurs et de proposer au préfet l’avis quant à leur admission au séjour pour raison de santé ». « Il n’y aurait plus de médecins agréés ni de praticiens hospitaliers, ce qui présenterait l’avantage de rationaliser un dispositif qui ne fonctionne pas de façon satisfaisante », estiment les inspecteurs. A leurs yeux, « l’OFII est en mesure de dégager, dans les prochains mois, les moyens médicaux afférents à cette mission nouvelle » (3).
Marisol Touraine et Manuel Valls ont fait savoir que, « afin de mieux prendre en compte la diversité des situations et garantir l’égalité de traitement sur tout le territoire », une « nouvelle réflexion » sur l’admission au séjour des étrangers malades serait engagée sur la base de ce rapport… sans donner toutefois plus d’informations sur le calendrier. « Des travaux seront menés avec les acteurs concernés (ARS, professionnels de santé, services préfectoraux…) et en concertation avec les associations », ont-ils indiqué dans leur communiqué commun. Ces travaux doivent permettre « d’élaborer les outils nécessaires aux professionnels : grille homogène d’appréciation de la notion d’exceptionnelle gravité, meilleure information du corps médical sur l’offre de soins dans le pays de retour, meilleur suivi du dispositif ». D’autres travaux seront parallèlement conduits pour « assurer une meilleure homogénéité des pratiques préfectorales ». Les ministres ont également promis que la gouvernance du dispositif serait réexaminée et que les évolutions législatives proposées par la mission seront « étudiées ». Sans plus de précisions.
(2) Rapport sur l’admission au séjour des étrangers malades – IGAS/IGA – Mars 2013 – Disp. sur
(3) « L’office est en train de passer en revue son dispositif de visites médicales, indique le rapport. Ainsi, par exemple, les étudiants et les salariés seraient retirés de la liste des étrangers soumis à visite médicale. » Les mesures actuellement à l’étude pourraient conduire à « diminuer de moitié le nombre de visites annuelles ».