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Détechnocratiser…

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Dépasser les outils mis en place dans la foulée de la loi 2002-2 et démocratiser réellement la gouvernance, à tous les niveaux, des établissements du secteur social et médico-social en y associant étroitement les usagers. Tel est, selon Gilles Cervera, psychologue et formateur (1), l’enjeu fondamental

« Il n’est plus temps de dire où va le secteur social et médico-social, ni, larme à l’œil, de se mettre à son chevet pour comparer le pouls qu’il avait il y a dix ans à celui de maintenant. Tout s’est transformé.

C’est un fait. Le secteur a muté. Y compris ses usagers.

Quelque directeur général aux vœux de rentrée a pu annoncer à ses salariés, faisant preuve d’un humour à la pointe sèche, que leurs établissements étaient “morts” (sic). A des salariés qui y vivent et en vivent ! Oxymore votif ? Aveux prémonitoires ? Nous verrons.

Nous voyons des établissements secoués, des services qui se réaménagent, des salariés qui douillent, des secrétaires de direction projetées en pleine lumière de la responsabilité, des praticiens oscillant entre vaine réclamation de salaires, vu la nouvelle posture qu’ils endossent, et saturation intellectuelle.

Prenons le temps de vérifier, une par une, les parties de ce tout. Cette partie qui se joue dépassant ce que chaque joueur pensait y avoir misé.

L’association est centrale, devenue l’interlocuteur majeur des pouvoirs publics et générant une centralisation de siège avec un fort taux de technicité financière. Là réside la clé politique et managériale.

Le service à la personne que l’association soutient est connecté aux usagers et à leurs lieux de soin, d’éducation ou d’accompagnement par un embranchement de la responsabilité comptable, marqueur de loyauté, et de la responsabilité pédagogique, marqueur de légitimité. Rien ne devrait les opposer.

Nous voudrions ici discuter le discours ! Dire comment les équipes managériales vont vite et loin, tellement vite et tellement loin que rien ne les réunit plus à leurs professionnels que des coups de menton, des coups de force ou des acting. Ce n’est pas tenable de ne professer que par prophéties. La gouvernance ne consiste pas qu’à voir l’invisible à l’instar des grandes agences de notation. L’impression que cela donne, c’est que la domination du chiffre demeure l’ultime et l’unique vecteur de direction. Les salariés, eux, ne verraient que le visible, c’est-à-dire la chair endolorie des usagers.

Dans quelle direction va le secteur ?

Visitons les nouvelles formes à inventer pour que les usagers d’abord, les directions, les associations et les professionnels marchent non plus à l’amble mais veillent ensemble aux mêmes enjeux. L’enjeu essentiel est du côté des usagers, nul ne doit en douter. Les associations ne sont dotées de moyens que pour les faire revenir aux usagers. Via les salaires du salarié, pour qui c’est vital, aussi mais d’une autre manière.

Les usagers, experts légitimes

Les usagers sont à 95 % des citoyens à part entière. En droit, les 5 % regroupent les grabataires acérébrés, quelques personnes incarcérées privées momentanément ou durablement de leurs droits, des enfants mineurs non doués de clairvoyance ou des personnes souffrant d’Alzheimer ou en fin de vie.

Ces 95 % de citoyens accomplis (ou en devenir) sont légitimes pour expertiser le service, l’établissement qui les accompagne, les héberge ou les soigne. Des commissaires aux comptes sont dûment nommés par obligation légale pour vérifier les comptes. Disons ici que la mutation d’après, dite de réajustement, nommera en droit les handicapés, les mineurs et les majeurs, les personnes âgées ou les tétraplégiques experts des services qui les hébergent, les soignent ou les accompagnent. Experts, pas seulement témoins. Administratifs en droit, pas qu’administrés !

Faisons-nous peur : la révolution en cours a fait basculer le rapport de forces (et de domination) des établissements ou services vers les sièges. Le circuit n’est pas terminé. Les usagers attendent aux portes des comptes.

La délégation de service devra se démocratiser jusqu’à dépasser les faux nez mis en place et tellement bâclés (conseil de la vie sociale entre autres poils à gratter) pour intégrer dans la gestion des associations, dans le cœur même du réacteur, les usagers de l’association. Ces derniers identifieront cette circulation de l’argent des subventions à eux destinées. Les administrateurs sont devenus des gestionnaires de biens et de comptes importants. Les salariés sont restés dépendants tous les mois de cette gestion. Manquent des témoins d’importance : les usagers eux-mêmes, dès lors qu’ils ont l’âge du discernement. Il y a trop peu de raisons raisonnables pour que, par exemple, au sein des familles, on questionne l’argent de poche, la réfection de la chambre ou le cadeau commun des oncles et tantes et que, dans les établissements pour enfants, ne se déroule pas la même gestion collégiale des dépenses à ordonner. Trop peu de raisons rationnelles pour que la personne âgée avec son col du fémur pas cassé fasse ses courses, gère son appétit et ses mails pour que le surlendemain du col cassé, elle n’ait plus accès à ses mails ni voix au chapitre pour son menu !

La différence d’importance entre les salariés au salaire unique et les usagers, c’est que ces derniers, quant à eux, ont un salaire quadruplé : la souffrance ou le handicap pour une part (jamais exonérés de taxes) et pour les trois autres variables de la paye, le salaire inouï, mais différé, de l’espérance en une santé recouvrée, de l’autonomisation ou de la désubsidiarisation. L’usager, son salaire, c’est de se tirer d’affaire et de s’extirper du système. Vivre seul et sans aide, tel serait le revenu le meilleur, que même celui des grands patrons du CAC n’égale pas !

Bizarre circulation du sens. Et de l’argent public.

Comment se fait-il, alors que le XXIe siècle est bien avancé désormais, que l’on ne s’aventure pas au-delà de la loi 2002-2 ! Les usagers doivent prendre place en droit dans les conseils d’administration et toutes les instances associatives : la bientraitance, l’éthique sont à ce seul prix.

“Confusion”, diront les uns ! Très défensif, cet argument. “Démagogique”, diront d’autres ! Pas moins défensif et quasi paternaliste. “Contre-productif”, diront ceux que l’on soupçonne de s’en mettre au passage dans les poches.

Nous sommes en 2013. Les usagers sont ma ? tures. Et le management à trois est la seule solution pour détechnocratiser le secteur. Et l’assainir.

Un temps citoyen

La gouvernance humaniste se fait entre humains et il est des personnes âgées en EHPAD [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] ou des tétraplégiques en rééducation fonctionnelle pour qui la comptabilité analytique serait une saine occupation.

Le secteur social et médico-social travaille avec le temps : les usagers, dont la vie n’est pas réductible à un projet ou à un parcours, en sont l’aune et le trébuchet. Le temps dont l’usager fait usage de l’institution est la seule bonne échelle. Ce temps est un temps citoyen, républicain, pas un hors-sol ! Quand les usagers auront voix au chapitre (de la gestion !), y compris les agences régionales de santé devront composer et parler chiffon au lieu de chiffres, réponses au lieu de restriction, extension au lieu de tension.

Moins on s’abstraira de la rencontre physique, plus les dossiers seront incarnés, présentifiés par les personnes usagères elles-mêmes, moins le CHRS [centre d’hébergement et de réinsertion sociale] ou l’unité psychiatrique, moins le Sessad [service d’éducation spéciale et de soins à domicile] seront réductibles à un coût (toujours exorbitant, selon la formule).

Notre secteur social et médico-social est le contraire du secteur automobile. Plus personne ne change tous les trois ans de voiture ni ne survalorise ce phallus en plastique. Notre secteur, lui, est d’avenir : de plus en plus de personnes âgées, de gens en difficulté sociale, de prématurés sauvés par le bout d’un neurone dont les autres sont à réaccorder. Pour le secteur automobile, le discours est double : on n’en a plus besoin mais on continue. On fait semblant. Pour notre secteur, il est unique : on en a besoin mais on n’ouvre rien, ou si peu. On ne fait pas semblant. On bloque à tous les bouts tout ce qui peut être bloqué : la parcimonie est le mantra.

Vérifions l’équilibre des comptes entre des usines de bagnoles qui fonctionnent à 57 % (et dont le seuil de rentabilité est à 70 !) et des services à la personne en flux tendu, où les remplacements indispensables ne sont pas faits. Vérifions cette balance entre des chômeurs à temps partiel d’un côté, écœurés, sortant de la production, et des salariés du secteur social trouvant dans la rencontre une ressource, à tous les sens du terme.

Les managers ont juste deux efforts à faire. Un, considérer leurs salariés comme des techniciens à très haute valeur ajoutée, tous, du haut en bas de la chaîne car ils apprennent tous les jours des usagers. Et deux : considérer les usagers comme des experts des services et des coûts. Car pas un jour sans qu’ils apprennent à l’association et aux pouvoirs publics le bien-fondé d’une société dite de redistribution. »

Contact : gilles.cervera@voila.fr

Notes

(1) Il a aussi co-écrit, avec Alain Depaulis et Jean Navarro, l’ouvrage Travailler ensemble, un défi pour le médicosocial

(Ed. érès, 2013).

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