On ne peut pas, sans une certaine confiance, prendre la responsabilité d’accorder une première permission de sortie à des personnes condamnées à des peines importantes. Cette confiance résulte à la fois d’éléments techniques, comme les expertises psychiatriques, et de la perception des professionnels de l’établissement qui côtoient les détenus. Cela va du surveillant au contremaître d’atelier, en passant par l’enseignant, le moniteur de sport et, bien entendu, le conseiller d’insertion et de probation. Il faut apprécier le risque de récidive et la dangerosité de la personne. Tout cela permet, en principe, de prendre la moins mauvaise décision. Bien sûr, il est toujours possible qu’un permissionnaire commette un crime. Heureusement, sur les 9 000 permissions que j’ai accordées, cela ne m’est jamais arrivé. Mais une permission ou une mise en liberté conditionnelle est toujours une prise de risque, même si elle est calculée au plus près.
J’ai été pendant dix ans particulièrement chargé des longues peines au centre de détention du Muret, près de Toulouse. J’exerçais comme juge unique ou en collégialité, en tant que président du tribunal de l’application des peines. Le Muret est un établissement pour peines davantage voué à la réinsertion que les maisons centrales, dont la priorité est la sécurité. Il compte 600 détenus hommes, dont 10 % environ sont condamnés à la perpétuité. La majorité est condamnée pour des crimes de sang ou sexuels. Plus de 75 % des détenus purgent une peine se situant entre dix et trente ans.
La mission principale du juge de l’application des peines, que l’on appelle souvent le « JAP », est de tenter d’aménager les peines d’emprisonnement, notamment sous forme de libération conditionnelle, de mesures de semi-liberté ou de placement sous surveillance électronique. Il est aussi chargé de la mise en œuvre des mesures de milieu ouvert, comme le sursis avec mise à l’épreuve ou le travail d’intérêt général. Il peut aussi aménager les peines fermes de condamnés pas encore détenus. C’est un magistrat de l’ombre, dont le rôle ne débute que lorsque le procès s’achève.
Pour une permission, il faut prendre en compte le sérieux des conditions d’hébergement et la localisation de la personne durant sa sortie. En général, on n’accorde pas de permission de sortie pour un séjour dans la ville où le crime a été commis. Un autre critère est l’organisation du trajet. Le permissionnaire peut-il faire le voyage seul ou bien quelqu’un peut-il venir le chercher ? Bien sûr, l’élément essentiel reste l’appréciation de la dangerosité du condamné. Mais c’est parfois complexe. Je pense à un père condamné pour des viols répétés sur sa fille. L’expertise psychiatrique se montrait très sévère alors que le travailleur social et le visiteur de prison formulaient des avis positifs. J’avais finalement décidé d’accorder cette permission de sortie en sachant qu’en matière d’agressions sexuelles intrafamiliales, les récidives sont rares. Et ça s’est bien passé… En ce qui concerne la libération conditionnelle, les critères sont d’abord l’hébergement et le travail, ou la formation professionnelle. Malheureusement, en période de crise, il est difficile de réunir des conditions favorables. L’environnement social aussi est important. La solitude peut être un facteur d’échec. Mais l’un des critères à mon avis essentiels est le cheminement psychologique du condamné par rapport à sa culpabilité. Le retour sur l’acte criminel ne garantit pas forcément l’absence de récidive, mais c’est un facteur de réhabilitation. Je pense à un sextuple meurtrier qui, pendant toutes ses années de prison, donnait l’impression d’être indifférent. Ce qui n’était pas le cas. Paradoxalement, c’est au moment de sa mise en liberté que sa culpabilité lui a sauté à la figure. D’autres, en revanche, ne ressentent jamais cette culpabilité. Comme cet homme qui avait assassiné un couple d’auto-stoppeurs. Il était véritablement dangereux et n’a jamais exprimé le moindre remords. Il est mort en prison après y avoir passé plus de trente années.
Il doit les prendre en compte. C’est une obligation, par exemple en interdisant au condamné de paraître dans tel ou tel lieu où il risque de rencontrer ses victimes ou leurs proches. Le JAP veille aussi à ce que les indemnités dues aux victimes soient effectivement versées. D’ailleurs, pour ceux des condamnés qui ont fait le chemin psychologique que j’évoquais, c’est une façon de réparer leur acte. Par leur comportement, ils veulent prouver qu’ils méritent la confiance que l’on a mise en eux. Je pense à quelqu’un qui a bénéficié d’une libération conditionnelle et qui, depuis, travaille comme un fou. C’est sa manière de réparer.
Il est toujours hasardeux de faire des généralités, mais je pense que, globalement, la plupart le sont. Bien sûr, certaines posent un problème de dangerosité qui rend hypothétique toute mise en liberté. Mais il faut être bien conscient que, pour celles qui ne sont pas condamnées à perpétuité, il existe toujours une échéance de libération. La question est donc de savoir si on laisse courir la peine jusqu’au bout en les laissant sortir sans rien ou si l’on anticipe avec une libération conditionnelle qui permet d’accompagner la sortie. C’est ce qui sous-tend l’idée d’une libération conditionnelle automatique aux deux tiers de la peine, qui a émergé lors de la récente conférence de consensus sur la prévention de la récidive (1). Je souhaite en tout cas que la loi actuelle, du 10 août 2011, soit modifiée. Pour les longues peines, en particulier, son article 730-2 rend l’accès à la libération conditionnelle plus long et plus complexe avec, notamment, un passage obligatoire devant une commission disciplinaire et une période d’observation à Fresnes. La plupart des condamnés à une longue peine, en particulier ceux qui sont condamnés pour agression sexuelle, ont l’impression, pas erronée, que l’on fait tout pour les empêcher de sortir. Il faut abroger ce texte qui provoque de la désespérance.
En tant que JAP, on ressent en effet une forte pression, moins d’ailleurs de la part de l’opinion publique que des responsables politiques. Pendant toutes ces années, j’ai éprouvé la crainte d’une mise au pilori en raison d’un crime commis par un condamné que j’aurais remis en liberté. C’est aussi pour cette raison que j’ai écrit ce livre, pour expliquer au grand public comment ça se passe dans la réalité. Comment apprécie-t-on la dangerosité d’une personne ? Pourquoi faut-il accepter l’idée que la récidive est possible ? On ne libère pas les gens par hasard, par angélisme ou par naïveté. On le fait sur la base d’un dossier solide qui nous laisse penser que les choses vont bien se passer. Le détenu en conditionnelle n’est pas laissé seul dans la nature. Et on n’attend pas les derniers jours pour se poser la question de la réinsertion. On anticipe parfois sur des mois, voire des années. Ce sont les conseillers d’insertion et de probation qui sont chargés de ce travail très important. Je leur rends d’ailleurs hommage car ils sont les chevilles ouvrières de la justice carcérale. Sans eux, je n’aurais sans doute pas pu prononcer plus de 700?libérations conditionnelles.
Ils sont extrêmement bien formés d’un point de vue technique, mais j’essaie de leur montrer l’intérêt humain de cette fonction qui permet de construire et pas seulement d’agiter la sanction et la répression. Bien sûr, il faut parfois sanctionner, mais donner à quelqu’un la possibilité de mener à bien un parcours de réinsertion est très valorisant. Ces condamnés méritent qu’on leur laisse une chance. C’est très gratifiant lorsque certains appellent pour donner des nouvelles et dire que tout se passe bien. On ne s’attache pas à tous mais certains restent proches.
Propos recueillis par Jérôme Vachon
Philippe Laflaquière a été pendant dix ans juge de l’application des peines au tribunal de grande instance de Toulouse, puis président du tribunal de l’application des peines de la cour d’appel de Toulouse. Il est actuellement procureur de la République adjoint à Perpignan. Il publie Longues peines. Le pari de la réinsertion (Ed. Milan, 2013).
(1) Voir ASH n° 2799 du 1-03-13, p. 5 et 19.