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Les signes discrets de la précarité

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A Châteauroux, le centre communal d’action sociale ne se voit pas vraiment en première ligne face à la crise. Pourtant, les travailleurs sociaux doivent s’adapter à de nouveaux publics et s’alarment de la lente précarisation des aînés.

« Ce mois-ci, vous allez pouvoir payer combien ? Une centaine d’euros ? », interroge Delphine Guillon, conseillère en économie sociale et familiale (CESF). « Oui, faut bien », lui répond Alain Escamez, fataliste. L’homme, cadre dans la grande distribution, a perdu son emploi depuis quelques mois. S’il se retrouve aujourd’hui dans un bureau du centre communal d’action sociale de Châteauroux, c’est surtout en raison de dettes liées à son loyer et à sa consommation d’énergie. « Aujourd’hui je touche une allocation de solidarité spécifique de 480 €. Mon loyer est de 477 € et j’ai toujours une dette de 1 000 € chez EDF ainsi qu’une aide Loca-pass à rembourser… »

Officiellement, au centre communal d’action sociale (CCAS) de Châteauroux, dans l’Indre, on dit ne pas particulièrement ressentir les effets de la crise. Le département affiche pourtant une augmentation du nombre de demandeurs d’emploi supérieure à celle de la région : + 26,4 % entre 2011 et 2012, contre + 19, 5 % pour le Centre. Entre 2009 et 2012, ont été perdus 6 000 emplois salariés, en raison notamment du départ d’une garnison qui représentait 1 000 emplois directs et indirects. Et le taux de chômage castelroussin (13,5 %) est supérieur à la moyenne nationale.

« Nous n’avons pas vu de forte augmentation de notre fréquentation parce que nous avons démultiplié les services », justifie Bernard Maillard, administrateur du CCAS. Le centre s’implique aussi dans le développement d’activités associatives qui aident à amortir le choc de la crise. « Nous avons participé à la création de Solidarité Accueil, un centre d’hébergement et de réinsertion sociale que nous continuons de subventionner, de même que les Restos du cœur ou la Banque alimentaire, poursuit Bernard Maillard. Cela n’aurait pas de sens que nous fassions nous-mêmes de l’aide alimentaire, alors qu’il y a des structures spécialisées dans ce domaine. » Le CCAS a également activement participé à la création récente de deux épiceries sociales.

LE BESOIN ACCRU D’AIDES À LA VIE QUOTIDIENNE

Si le nombre total des demandes d’aides formulées en 2012 auprès du service « insertion et coordination des aides » n’a que peu progressé, on observe néanmoins une augmentation des aides à la vie quotidienne (énergie, assurance, achat de vêtements) et des demandes de chèques multiservices (achats alimentaires et produits d’hygiène). « Mais parfois on transforme une demande d’aide au logement en aide à la vie quotidienne, précise Virginie Iparraguirre, responsable du service. On offre de prendre en charge une facture ou une autre dépense, pour permettre que le loyer soit payé. »

Au service « logement et ingénierie sociale », les demandes motivées par une problématique budgétaire ont, quant à elles, quasiment doublé depuis 2009. « Mais nous sommes ouverts à tout public, tempère Laurence Breton, CESF et responsable du service. Et nous avons créé des actions telles que le relais-logement, pour que des actifs qui viennent travailler à Châteauroux sur une courte durée puissent accéder rapidement à une location. » Ce qui tend à gonfler les statistiques du service. « Il n’en reste pas moins que le pôle “logement”, qui était auparavant rattaché à la mairie, a été déplacé auprès du CCAS en 2000, car beaucoup des demandeurs étaient dans des situations relevant d’un diagnostic social », poursuit Laurence Breton. Les demandes nécessitant un accompagnement ponctuel (accès ou au maintien dans le logement, impayés d’énergie, problèmes de relations entre bailleurs et locataires, etc.) ont ainsi connu une augmentation nette qui se poursuit depuis 2008. A l’inverse, celles qui nécessitent un accompagnement plus long ont connu un pic en 2008-2009 pour diminuer depuis. Il faut dire qu’une des solutions aux problèmes budgétaires d’un certain nombre de foyers précaires réside souvent dans un changement de logement pour bénéficier d’un loyer plus modeste… « Châteauroux ne manque pas de logements sociaux, précise Emmanuelle Budan, la directrice du CCAS. La commune présente un taux de 35 % d’équipement en logements sociaux et 9 % du parc est vacant. »

Une situation qui a aussi son revers. « On voit de plus en plus de gens débarquer parce qu’ils savent qu’ils trouveront un logement accessible, mais le problème, c’est qu’il n’y a pas d’emploi à la clé », souligne la responsable. Le centre communal d’action sociale a d’ailleurs mis en place depuis peu une cellule baptisée « veille de peuplement ». « L’objectif est de procéder à une préétude sur les demandes de logement adressées au bailleur social par des ménages originaires d’autres départements et en situation socio-économique précaire, afin de mettre en place les mesures d’accompagnement dès leur arrivée, justifie Emmanuelle Budan. Sinon, les gens arrivent, informés par le bouche-à-oreille, logent d’abord chez des amis ou de la famille avec des risques de surpeuplement, ou s’installent dans des appartements qu’ils n’ont pas les moyens d’équiper. »

L’ARRIVÉE DE NOUVEAUX PUBLICS

Du côté du suivi des bénéficiaires du revenu de solidarité active, Hélène Blanchet, CESF au service « insertion et coordination des aides », ne note pas d’évolution spécifique. « Nous avons toujours accueilli un public très précaire qui combine différentes problématiques », explique-t-elle. Tout juste remarque-t-elle une augmentation des recours au système de soins. « J’ai l’impression qu’avec la crise, davantage de nos bénéficiaires sombrent dans la dépression et l’isolement », perçoit la CESF, qui a développé des relations avec de nombreux partenaires locaux dans le secteur de la santé mentale. En dehors de cette spécificité, elle affirme ne pas rencontrer de difficultés nouvelles dans son action sur le budget des ménages. « Cela passe souvent par une demande de logement social plus petit, éventuellement un dossier FSL [fonds de solidarité pour le logement] ou de surendettement », résume-t-elle. Et ces deux derniers dispositifs n’ont pas connu non plus d’augmentation notable du nombre des demandes. « Mais c’est aussi parce qu’un certain nombre de personnes en difficulté réelle dépassent le plafond d’accès au FSL… », observe Laurence Breton.

Ce que constatent les travailleurs sociaux du CCAS, c’est surtout l’arrivée de nouveaux publics peu habitués de l’aide sociale. Une personne sur deux qui pousse la porte du centre est nouvelle. Et un tiers de celles qui sollicitent le service « logement » sont actives mais occupent des emplois précaires ou à temps partiel, ou des contrats aidés. « Souvent, ces personnes ne connaissent pas les dispositifs, les recours possibles, les tarifs sociaux ou les épiceries sociales, explique Claudie Blot, assistante administrative du service “insertion et coordination des aides”. Elles ont longtemps hésité avant de demander de l’aide, alors qu’on aurait pu enrayer la montée de leurs difficultés si elles étaient venues auparavant. » Annie Sambo, agent d’accueil, note en outre une augmentation des réactions agressives chez certains usagers, probablement motivées par un sentiment d’urgence : « Les personnes veulent des réponses rapides, elles ont parfois frappé à plusieurs portes avant d’arriver jusqu’à nous, alors elles nous mettent de plus en plus la pression », souligne-t-elle. Autre indicateur d’une certaine dégradation de la situation : depuis quatre ans, le rapport d’activité du CCAS met en lumière des entretiens plus fréquents ou plus longs, parfois difficiles à mener. « Les gens formulent très peu de besoins, si on ne pose pas les questions, remarque Claudie Blot. Ils ne disent pas volontiers leurs difficultés, et c’est souvent en prenant connaissance de leurs justificatifs de revenus et de dépenses que les besoins apparaissent. On doit systématiquement les informer de toutes les aides accessibles et vérifier que tous leurs droits sont bien ouverts. » D’où l’importance accordée au temps d’accueil et d’entretien.

Le dispositif « précarité énergétique » du CCAS, celui par lequel Alain Escamez est arrivé alors qu’on venait de couper son alimentation en électricité et en gaz, représente l’une des portes d’entrée pour ce nouveau public. « Le travail sur ce dispositif a fait suite au décret de 2008 qui oblige les fournisseurs à signaler en mairie l’ensemble des clients en difficulté de paiement, résume Laurence Breton. La mairie s’est tournée vers nous pour savoir quoi faire et nous a finalement transmis le dossier. » Le service reçoit ainsi une liste de toutes les personnes en difficulté pour le règlement de leurs factures. « Au départ, nous envoyions des courriers pour présenter notre permanence et l’aide qu’on pouvait apporter, explique Delphine Guillon. Mais peu de personnes se déplacent immédiatement. Désormais, j’essaie d’appeler systématiquement au téléphone et je propose un rendez-vous aux personnes qui ne sont pas déjà connues du conseil général. » Cet accompagnement individuel budgétaire est complété par des ateliers « économies d’énergie » et « prévention des impayés ». « Trop de personnes ignorent encore qu’elles peuvent bénéficier des tarifs sociaux de leur fournisseur, pointe Laurence Breton, et restreignent de façon drastique leur consommation, parfois au mépris de leur santé. Elles se chauffent avec un appareil à gasoil ou s’éclairent à la bougie. »

Récemment, une autre population a également poussé la porte du CCAS : les gens du voyage. « Avant, ces familles vivaient de petits métiers, de la récupération de métaux ou de la vannerie, explique Catherine Deterne, assistante sociale. Mais ces métiers ont disparu et les familles sont désormais désireuses de se sédentariser. » Le CCAS a donc mis en place deux actions. Depuis 2007, il gère une aire d’accueil sur laquelle sont organisées des permanences d’accueil social. « A présent, les familles nous connaissent et viennent nous rencontrer si elles ont des besoins à formuler », note Emmanuelle Budan, la directrice du CCAS. Depuis 2009, cinq familles ont pu obtenir un logement. Une deuxième action concerne la mise en place, en collaboration avec les bailleurs sociaux, d’une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale pour la sédentarisation des gens du voyage qui se déplacent sur le département.

INTERVENTIONS À DOMICILE : UN POINT D’ENTRÉE

Ce jeudi, Catherine Deterne a justement rendez-vous avec une famille qui s’est installée sur une zone industrielle de la commune voisine de Deols. « Ce sont des familles présentes sur le département depuis des années, mais qui voyagent de moins en moins, sauf lorsqu’elles sont expulsées. » Les parents, leurs trois enfants et un petit-enfant vivent dans trois caravanes, en face du hangar de La Poste. La veille, les forces de l’ordre sont venues couper le branchement électrique qu’ils avaient bricolé. « On l’a rebranché tout de suite s’insurge le père. Avec un bébé, c’est pas pensable de nous faire ça?! » Catherine s’installe dans la caravane-salon. Elle est venue prendre connaissance des souhaits de la famille pour un futur logement. « Ce serait bien qu’on soit stables, soupire la mère de famille. On n’en peut plus de vivre comme ça. Moi j’ai toujours voulu une maison, mais je pensais que c’était pas possible. »

La précarisation touche aussi les plus âgés. D’où la décision de l’office des personnes retraitées, en 2007, de se doter d’une assistante de service social. « Les demandes d’intervention à domicile sont souvent un point d’entrée qui nous permet de repérer les difficultés sociales », remarque Laurence Virard, responsable du service. Il y a deux ans, l’équipe a ainsi repéré que des personnes âgées réduisaient le nombre de repas commandés ou en partageaient un à deux… « Mais elles ne nous le disent pas forcément, elles ont honte et ne veulent pas parler d’argent », poursuit Laurence Virard. Au moindre signe d’alerte, Isabelle Deret, assistante sociale auprès de l’office, se déplace donc à domicile pour réévaluer le diagnostic initial. « D’autant que, depuis la mi-2012, les caisses de retraite ont modifié leurs conditions d’attribution des aides, avec des critères plus restrictifs, indique-t-elle. Des gens ont perdu leurs droits en matière d’interventions à domicile, alors qu’ils ont de réels besoins. »

Les travailleurs sociaux du CCAS ont bien tenté de voir si ces personnes pouvaient prétendre à l’allocation personnalisée d’autonomie. « Mais, là aussi, la commission d’attribution a durci ses critères », déplore Isabelle Deret. L’assistante sociale se trouve donc dans l’obligation de réétudier les situations de chacun, notamment les possibilités offertes par les caisses complémentaires, et de jongler en marge des dispositifs. « Par exemple, on essaie de solliciter des prestations qui permettent l’intervention d’une aide à domicile pour accompagner la personne faire des courses ou aller chez le médecin. On le tente à chaque fois que la complémentaire le propose. » Prochaine étape : la mobilisation de la coordination gérontologique castelroussine afin d’élaborer ensemble de nouvelles solutions.

La panoplie du CCAS

Le centre communal d’action sociale de Châteauroux dispose des services « insertion et coordination des aides », « logement et ingénierie sociale », « prévention spécialisée » et « animation », d’un office des personnes retraitées, sans compter la gestion de divers établissements d’accueil (foyer de jeunes travailleurs, établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, maisons-relais, foyer-résidence pour personnes âgées, aire d’accueil des gens du voyage, etc.).

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