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Le travail social face à la crise

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Conséquences d’une crise sociale et économique qui n’en finit plus, la pauvreté et la précarité gagnent du terrain. En première ligne, les travailleurs sociaux font face à des situations de plus en plus dégradées. Afin de comprendre comment ils vivent cette montée de la crise et quels moyens ils mettent en œuvre pour y répondre, les ASH sont allées à leur rencontre dans trois lieux du travail social : un service de la Mutualité sociale agricole, le CCAS d’une ville moyenne et un service social de secteur francilien.

Tous les indicateurs virent au rouge : chômage, logement, pauvreté, santé, énergie… Pas une semaine sans qu’un rapport ou une statistique ne vienne tirer le signal d’alarme sur la dégradation des conditions de vie et d’emploi d’une partie des Français. Des chiffres et des courbes qui ont un impact direct sur les réalités du travail social. Panorama des principaux indicateurs.

8,6 MILLIONS DE PAUVRES

En 2010, avec près de 65 millions d’habitants, la France comptait 4,8 millions de pauvres au seuil de 50 % du niveau de vie médian, et 8,6 millions au seuil de 60 % (1). La crise de 2008 y est bien sûr pour quelque chose, mais pas seulement : le niveau de pauvreté était déjà reparti à la hausse depuis le début des années 2000. Le nombre de personnes pauvres (au seuil de 60 %) a augmenté de 15 % depuis 2002, soit 1,1 million de plus, qui vivent sous la barre des 964 € mensuels (toutes ressources comprises). Et les femmes sont les premières touchées : en 2010, elles ont représenté 70 % des travailleurs pauvres et 4,7 millions d’entre elles ont atteint un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. Les enfants font, eux aussi, partie des premières victimes de cette paupérisation. Selon une étude publiée par l’office européen de statistiques Eurostat, en 2011, 23 % des moins de 18 ans vivant en France étaient exposés au risque de pauvreté. Et, selon un rapport de l’Unicef publié en mai 2012, la France comptait 2,7 millions d’enfants vivant dans des ménages situés sous le seuil de pauvreté.

3,2 MILLIONS DE CHÔMEURS

Principale cause de cette paupérisation : le chômage, qui n’en finit plus de gagner du terrain. A la fin février – 22e mois consécutif de hausse –, le nombre des chômeurs (3 187 000 inscrits en catégorie A) a flirté avec le record de 1997 (3,2 millions). Particulièrement en hausse : le chômage de longue durée. En février, plus de 1,8 million de demandeurs d’emplois (catégories A, B et C) étaient inscrits depuis plus de un an. La part des chômeurs en fin de droits explose, elle aussi. Selon Pôle emploi, autour de 41 % des chômeurs ont été indemnisés en 2012, contre plus de 55 % dans les années 2000. La conséquence d’un redoutable effet de ciseau : en fin d’année, le nombre de chômeurs indemnisés n’avait progressé que de 5 % alors que l’effectif global des demandeurs d’emploi grimpait de 10 %. Résultat : sur les 5 millions d’inscrits à Pôle emploi, seuls 2,2 millions perçoivent actuellement une indemnité de chômage.

1,9 MILLION DE TRAVAILLEURS PAUVRES

Avoir un emploi ne protège cependant pas toujours de la pauvreté. En France, 1,925 million de personnes travaillent tout en ayant un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté (à 60 %), indique l’Observatoire des inégalités. Le nombre de ces travailleurs pauvres a augmenté de 154 000 entre 2003 et 2010. L’une des explications est la montée des emplois précaires, occupés le plus souvent par des personnes peu qualifiées et des jeunes. Après avoir baissé de un point entre 2000 et 2002, le taux de précarité s’est de nouveau envolé, pour atteindre en 2011 son point culminant : 12,3 %, parmi les 25,8 millions d’emplois que la France compte au total.

LES RETRAITÉS TOUCHÉS

On aurait pu croire les retraités partiellement à l’abri des effets de la conjoncture. Or les plus de 60 ans sont de plus en plus nombreux à solliciter l’aide des services sociaux et des associations de solidarité. Dans l’édition 2012 de son baromètre de l’action sociale, l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas) note que les deux tiers des centres communaux d’action sociale (CCAS) interrogés ressentent une dégradation de la situation des retraités qui s’adressent à eux. Sans surprise, il s’agit surtout de personnes disposant d’une faible retraite et de celles, isolées, qui sont privées d’aidants naturels. En outre, près de la moitié des structures gestionnaires d’un service d’aide à domicile signalent un accroissement des difficultés de paiement du reste à charge de leurs bénéficiaires âgés. De son côté, la CFDT – retraités a publié début 2013 les résultats d’une enquête menée auprès de retraités disposant de revenus modestes (moins de 1 250 € mensuels pour une personne seule). Parmi les personnes interrogées, 35,7 % jugent leur situation « parfois difficile » et 17,7 % « difficile tous les jours ».

LE SURENDETTEMENT EN HAUSSE

L’une des conséquences de cette montée du chômage et de la précarité est la forte hausse des situations de surendettement. Selon la Banque de France, le nombre de dossiers de surendettement recevables a augmenté de 26 % depuis 2008 sous l’effet de la crise économique. Les personnes surendettées ne sont évidemment pas toutes au chômage ni en situation de précarité, mais plus de la moitié font état de ressources inférieures ou égales au SMIC, et le quart d’entre elles sont au chômage ou sans activité. Au troisième trimestre 2012, le niveau d’endettement moyen se montait à près de 37 000 €. Les dettes de charges courantes, en particulier, sont présentes dans plus de trois quarts des dossiers de surendettement, pour un montant moyen de 4 600 €.

3,6 MILLIONS DE MAL-LOGÉS

Le mal-logement pèse lui aussi très lourd dans la situation des populations modestes en raison de revenus trop faibles, mais aussi de la pénurie récurrente de logements accessibles, en particulier dans les grandes métropoles. Selon le 18e rapport sur l’état du mal-logement publié en février dernier par la Fondation Abbé-Pierre, 3,6 millions de personnes sont mal logées en France et plus de 5 millions sont fragilisées par la crise du logement. En outre, plus de 1,2 million font état d’impayés de loyer. En 2012, selon l’Unccas, les difficultés liées au paiement du loyer et des factures d’énergie sont d’ailleurs devenues le déclencheur principal des nouvelles demandes d’aides adressées aux CCAS. Une enquête qui vient d’être publiée montre que les trois quarts des CCAS constatent une hausse des demandes sur l’énergie depuis trois ans (2). Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que les expulsions locatives battent des records : 12 759 expulsions réalisées en 2011, contre 11 670 en 2010 et 10 597 en 2009.

L’ACCUEIL ET L’HÉBERGEMENT D’URGENCE SATURÉS

Conséquence, le nombre des personnes sans domicile fixe augmente en France d’année en année. En 2007, la Fondation Abbé-Pierre l’évaluait à 100 000. En 2012, un rapport parlementaire sur la politique d’hébergement d’urgence l’estimait à 150 000. Malheureusement, le dispositif d’accueil et d’hébergement d’urgence, censé prendre en charge ces personnes, est saturé. L’augmentation des demandes a été de 22 % entre 2011 et 2012 et de 28?% entre 2012 et 2013, selon le baromètre hivernal du 115 (calculé hors Paris), de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale. Avec un taux de réponses négatives très important : 66 % en décembre 2012 contre 60 % à la même date en 2011. Dans la capitale, où le problème est particulièrement aigu, les familles représentent 49 % des personnes hébergées via le SAMU social, soit une explosion de 400 % en dix ans… Plus de la moitié de ces familles sont constituées de femmes seules avec enfants expulsées de leur domicile, 84?% étant sans aucunes ressources financières.

DAVANTAGE DE SUICIDES

La pauvreté et la précarité ont ausi des effets délétères sur la santé, tant sur le plan physique que psychique. Selon une enquête publiée en 2010 par la DARES et portant sur les années 2006 et 2007, parmi les chômeurs de longue durée, 47 % ont déclaré un problème de santé (maladie, accident), contre 43 % pour l’ensemble de la population. De même, 11 % d’entre eux ont présenté un épisode dépressif, contre 7 % pour la population générale, et 32 % souffrent de troubles du sommeil, contre 27 %. Un mal-être qui peut se dégrader jusqu’au suicide. Les récentes immolations par le feu de chômeurs devant des bureaux de Pôle emploi l’ont dramatiquement rappelé. Alors que le nombre de décès par suicide était en baisse depuis 1987, les récentes années de crise ont été marquées par une nouvelle hausse : 10 127 morts en 2007, 10 353 en 2008 et 10 499 en 2009. La surmortalité par suicide chez les chômeurs est de 750 personnes depuis le début de la crise en 2008, affirme pour sa part Michel Debout, médecin-légiste et fondateur de l’Union nationale de prévention du suicide (3), les 40-45 ans étant les plus fragilisés.

LES RENONCEMENTS AUX SOINS

Aux problèmes de santé, s’ajoute la difficulté à assumer le coût des soins. En 2008, parmi les personnes vivant en France, 15,9 % déclaraient avoir renoncé à un soin pour raisons financières au cours des douze derniers mois, indique une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) publiée en avril 2012. Particulièrement touchés : les soins dentaires (9,9 %), l’optique (4,3 %) et les visites chez le médecin généraliste ou le spécialiste (3,5 %). Parmi les facteurs de renoncement figurent le niveau de revenu, mais aussi le niveau d’éducation, le prix des soins et la possession ou non d’une couverture complémentaire.

L’AIDE ALIMENTAIRE À LA PEINE

L’alimentation reste l’une des rares variables d’ajustement des ménages en difficulté, sachant qu’il faut au moins 3 € par personne et par jour pour avoir une alimentation à peu près équilibrée. Or, selon une étude publiée en 2006 par la Documentation française, les 10 % des ménages les plus pauvres consacrent moins de 10 € par jour et par famille à leur alimentation (au domicile). Une somme qui représente quand même près du quart de leurs dépenses totales. En clair, elles sont dans l’incapacité de se procurer une alimentation équilibrée. Ce qui explique la hausse continuelle des demandes d’aide alimentaire. En 2011, 747 000 personnes ont eu recours à cette forme d’aide fournie par les 97 banques alimentaires et antennes présentes sur le territoire, pour un total de 178 millions de repas. En 2007, elles étaient 700 000, pour 140 millions de repas. Parmi elles, de plus en plus de retraités et de salariés. De son côté, durant sa campagne 2012-2013, l’association des Restos du cœur a distribué 130 millions de repas à 970 000 personnes, soit 40 % de plus qu’en 2008. Parmi les bénéficiaires, de plus en plus de jeunes et de retraités.

ASSOCIATIONS ET COLLECTIVITÉS INQUIÈTES

Face à cette marée montante de difficultés, le secteur associatif est pris entre les besoins des usagers et la stagnation, voire la réduction de ses budgets. Et les inquiétudes des responsables n’ont pas été levées par le plan quinquennal de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale présenté par le gouvernement en janvier, dont beaucoup déplorent la quasi-absence de programmation budgétaire. Les collectivités font elles aussi face à la dégradation de la situation sociale. Dans son baromètre 2012 de l’action sociale locale, intitulé « Les CCAS au pied du mur », l’Unccas indiquait que les deux tiers des CCAS constatent une augmentation des demandes d’aide. Les demandes d’aides financières restent largement en tête, principalement pour des factures d’énergie et d’alimentation, suivies du logement et du remboursement de crédits. La précarité énergétique, notamment, est préoccupante, 3,8 millions de ménages consacrant plus de 10 % de leur budget à leurs dépenses d’énergie, selon l’INSEE. Les conseils généraux, acteurs incontournables de l’action sociale, sont également sous pression avec des budgets alourdis par les transferts de compétences. De quoi s’alarmer sur leur capacité à continuer de financer des politiques sociales qui représentent la moitié de leur dépenses. Rien de moins que la protection de l’enfance, les dispositifs en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées et la mise en œuvre du RSA.

Notes

(1) Le revenu médian est celui qui sépare la population de sorte que 50 % des personnes reçoivent moins que lui et 50 % reçoivent davantage.

(2) Voir ce numéro, p 16.

(3) Voir ASH n° 2772 du 31-08-12, p. 36.

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