« Quatre heures pour la prévention spécialisée. » Tel était, le 25 mars, le mot d’ordre de la mobilisation lancée à Rouen par le CNLAPS (Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée) et des comités de soutien locaux, vent debout depuis plusieurs semaines contre la décision du conseil général (PS) de la Seine-Maritime d’amputer de moitié le budget alloué à cette mission de service public pour 2013 (1). Une décision jugée « brutale » et incompréhensible par les professionnels concernés, « alors que toutes les conditions d’un partenariat avec les associations avaient été posées », indique Bernard Heckel, délégué général du CNLAPS. Tandis que le conseil général justifie ce choix par un objectif de « rationalisation des dépenses », qui doit amener les services de prévention spécialisée à « recentrer leurs interventions sur leurs publics et missions prioritaires », Bernard Heckel estime que la variable d’ajustement budgétaire ne suffit pas à expliquer la situation. Elle dénote une « façon de penser l’action sociale comme un dispositif, et plus du tout comme une mission », déplore-t-il. Pour cette raison sans doute, la mobilisation, qui a rassemblé selon le CNLAPS plus de 200 participants, comptait dans ses rangs plusieurs professionnels venus d’autres départements.
Symptôme d’une situation générale ? Si, selon les derniers chiffres de la DREES, la part du budget de l’aide sociale à l’enfance consacrée par les départements à la prévention spécialisée (4 %) reste stable depuis trois ans, les situations sont très hétérogènes. Le cas de la Seine-Maritime pourrait en tout cas ne pas rester longtemps isolé. « Dans le Bas-Rhin, les associations ont aussi commencé à se mobiliser, indique Bernard Heckel. Le conseil général souhaite qu’en 2014, elles trouvent 50 % de leur budget chez un autre financeur. » Reste qu’ailleurs, les enveloppes sont souvent maintenues, parfois revues à la hausse. Mais à plusieurs endroits d’autres signaux d’alerte s’allument également sur les changements de gouvernance : transfert de la compétence de prévention spécialisée à la commune au titre de la loi sur la prévention de la délinquance, création par le conseil général d’une régie directe ou encore d’un GIP (groupement d’intérêt public) qui entraîne le déconventionnement des associations…
La prévention spécialisée, qui travaille dans les interstices des dispositifs et s’accommode peu des logiques normatives, est régulièrement malmenée par les politiques publiques. Le cumul de plusieurs facteurs – dont la dégradation du contexte socio-économique, mais aussi des volontés politiques de reprise en main – fait craindre aujourd’hui « une onde de choc » importante, avertit Bernard Heckel. En jeu : la reconnaissance des missions éducatives et de l’utilité sociale de la prévention spécialisée, mais aussi, puisqu’elle n’est pas la seule victime des coupes budgétaires, « la place du travail social dans les politiques publiques », alors même que le gouvernement souhaite le valoriser. « Nous allons engager une réflexion sur tous ces mouvements dans les territoires et tirer le bilan de leurs effets sur le secteur et le tissu associatif », commente Samia Darani, conseillère technique « enfance, famille, jeunesse » à l’Uniopss.
Le CNLAPS souhaite saisir l’Assemblée des départements de France de ces questions et réfléchit à une mobilisation nationale sur l’action sociale. Avec le « Collectif pouvoir d’agir » et l’Uniopss notamment, il prévoit une rencontre, début novembre à Lyon, sur « l’action dans et avec le milieu de vie des jeunes », où seront invités les ministres concernés. L’événement devait avoir lieu à Rouen, mais la décision du conseil général de Seine-Maritime a changé la donne…
(1) Voir aussi notre article sur