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« On observe une recomposition des inégalités entre les hommes et les femmes »

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Voilà à peine quarante ans que l’Etat a lancé ses premières actions en faveur de l’égalité hommes-femmes. Depuis, du chemin a été parcouru mais beaucoup reste à faire. Surtout, il faudrait se départir d’une vision essentialiste des sexes, qui bloque l’accès à une égalité réelle, observe la politiste Sandrine Dauphin, qui codirige un ouvrage sur le sujet.
L’action de l’Etat en matière d’égalité hommes-femmes est relativement récente. Quelles en ont été les grandes étapes ?

On peut distinguer trois moments charnières. Le premier démarre dans les années 1960. Il existe alors un fort besoin de main-d’œuvre, notamment dans le secteur tertiaire. L’Etat encourage donc les femmes à s’engager massivement sur le marché du travail. Il ne s’agit pas tant de lutter contre les discriminations que de lever les freins les empêchant d’aller vers l’emploi. Depuis 1965, les femmes n’ont ainsi plus besoin de l’autorisation de leur mari pour travailler. On cherche à construire une égalité formelle. Cette évolution s’explique aussi par le mouvement des femmes, très médiatisé, des années 1970. La deuxième période, au cours des années 1980, est marquée par la création d’un ministère des Droits de la femme. Il s’agit alors de passer de l’égalité formelle à l’égalité réelle, car les situations demeurent très inégales. Sous l’impulsion notamment de l’ONU et de l’Europe, on développe des mesures d’action positive, dans une logique de rattrapage. Aujourd’hui, troisième période depuis le début des années 2000, on est un peu revenu sur ces politiques sectorielles et d’action positive. Il ne s’agit plus seulement de corriger les inégalités. On veille également à ce que les politiques ne produisent pas de nouvelles inégalités. C’est ce que l’on appelle le gender mainstreaming, ou l’« approche intégrée de l’égalité », permettant d’assurer une approche transversale. Le ministère des Droits des femmes lance ainsi des études d’impact sur certains textes en discussion pour tenir compte de la situation différenciée des femmes et des hommes.

En matière d’emploi, la situation s’est-elle améliorée ?

Il est indéniable que beaucoup de chemin a été parcouru. Le taux d’activité des femmes en France n’a cessé d’augmenter depuis les années 1960. Avec les Danoises, elles sont les seules en Europe à être massivement sur le marché du travail. C’est une situation assez exceptionnelle. Là où il reste des inégalités fortes, c’est d’abord sur la question des salaires. Toutes situations confondues, la différence salariale entre hommes et femmes se maintient autour de 25 %. Et, à emploi et qualification équivalents, l’écart résiduel est de 13 %. Cela s’explique notamment par des parcours professionnels souvent marqués, chez les femmes, par des interruptions (congés parentaux). On sait que chez les jeunes très diplômés, lorsque les garçons et les filles arrivent sur le marché du travail, les niveaux de salaires sont à peu près identiques. Mais dix ans plus tard, des différences sont perceptibles. Les femmes souffrent de ce retrait professionnel lors de l’arrivée de l’enfant en termes d’évolution de carrière, donc de salaire. Un retard qui n’est pas rattrapé par la suite. L’autre problème est que les femmes se concentrent dans peu de métiers, surtout du secteur tertiaire. Elles occupent plus souvent des emplois peu qualifiés, mal payés et en contrat à durée déterminée ou à temps partiel. Tout cela joue évidemment sur les inégalités salariales. Et force est de constater qu’il n’y a pas eu de bouleversement culturel du côté des hommes pour qu’ils s’occupent davantage des enfants ou partagent mieux les tâches au sein du couple. L’égalité, ce n’est pas seulement d’avoir deux apporteurs de salaire. C’est aussi la possibilité pour les hommes de prendre en charge les enfants et la vie quotidienne sans que cela soit perçu comme dévalorisant pour eux.

Dans votre ouvrage, la juriste Annie Junter parle d’un système français schizophrénique. Pour quelle raison ?

Les dispositifs en faveur de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes produisent, selon elle, des injonctions contradictoires. En effet, il existe, d’un côté, un arsenal juridique reposant sur l’entreprise et les partenaires sociaux et visant à favoriser l’égalité professionnelle par des mesures d’action positive. Il fonctionne pour l’essentiel sur la bonne volonté des entreprises et des organisations syndicales. Résultat : il ne se passe pas grand-chose. De l’autre côté, plusieurs textes du début des années 2000 permettent aux individus de saisir la justice pour lutter contre les discriminations. Mais les femmes ne les utilisent quasiment pas. Ces deux ensembles, incitatif et punitif, ont été construits en parallèle mais pas de manière à fonctionner ensemble. Il faudrait donc réussir à les articuler pour qu’ils soient réellement efficaces.

Et en termes de parité politique, les choses ont-elles évolué ?

La situation s’est améliorée depuis 2000. La France est passée de la 72e à la 36e position au niveau mondial en termes de parité politique. Une avancée réelle, mais qui reste insuffisante. Lorsque le vote est fondé sur un scrutin proportionnel ou de liste, comme pour les conseils municipaux ou régionaux, on est quasiment à parité. Il est également notable que le gouvernement Ayrault est le premier gouvernement paritaire de l’histoire. Mais les véritables positions de pouvoir demeurent très largement aux mains des hommes. En ce qui concerne la députation, les partis politiques préfèrent payer des sanctions financières plutôt que de se contraindre à présenter autant d’hommes que de femmes parmi leurs candidats. Dès que l’on touche au pouvoir, on est dans des fiefs masculins. C’est d’ailleurs également vrai dans le monde économique. Et ce n’est pas une question de génération. Il y a actuellement dans les partis politiques et les entreprises une génération de jeunes hommes qui ont le sentiment de ne pas avoir leur pleine chance à cause des femmes. Ils se sentent souvent comme des sacrifiés et ne feront rien pour améliorer les choses.

Si l’égalité réelle est si difficile à atteindre, n’est-ce pas en raison de la persistance d’une conception essentialiste des sexes ?

C’est bien pour cette raison que nous parlons d’une recomposition des inégalités. D’autant qu’on ne sait pas très bien ce que signifie l’égalité hommes-femmes. Vers quel modèle veut-on aller ? Au fond, on l’ignore. On tend souvent à justifier le principe d’égalité par la différence. Par exemple, on explique que les femmes apportent quelque chose d’autre à la politique ou à la vie économique : un management plus sensible, une plus grande proximité du terrain, une meilleure attention aux problèmes des gens, une plus grande efficacité… On ne parvient pas à justifier l’égalité par elle-même, comme un principe à respecter en tant que tel. On retourne ainsi à une forme d’essentialisme qui ne dit pas son nom. Comme le dit la sociologue Marie Duru-Bellat, il faudrait parvenir à être indifférent aux différences. Mais c’est sans doute ce qui est le plus difficile. A cela s’ajoute une peur de l’indifférenciation des sexes touchant à des questions comme la séduction, l’amour, la sexualité. Certains craignent de voir remis en cause ce qui fait que des hommes et des femmes construisent un couple, fondent une famille.

Faut-il, comme certains le proposent, diffuser les savoirs sur le genre, notamment à l’école ?

Il faut sans aucun doute agir tôt, et le rôle de l’école est à cet égard fondamental. Mais il existe des oppositions fortes, notamment à l’Assemblée nationale, contre l’intégration de la question du genre dans les manuels scolaires. Alors peut-être faut-il faire encore davantage attention à l’emploi des stéréotypes dans les manuels. En réalité, tous les lieux de socialisation influent sur cette vision du rapport hommes-femmes. Même dans les crèches, les activités proposées aux enfants reposent sur cette différenciation des sexes. Comment faire passer un message véritablement égalitaire ? Donner à penser que la situation actuelle n’est pas satisfaisante et qu’il est possible de faire autrement serait déjà un grand pas en avant. L’objectif est de prendre les individus comme ils sont et de ne pas les catégoriser en fonction de leur sexe. On ne va pas bouleverser la société de fond en comble pour autant. Il y aura toujours des hommes et des femmes qui auront des relations amoureuses, qui feront des enfants. Il faut simplement donner à chacun la liberté d’être sans assignation de genre et de sexe.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

La politiste Sandrine Dauphin appartient au laboratoire Genre, travail et mobilité, au sein du Cresppa-CNRS. Elle est également responsable de la recherche à la CNAF. Elle a dirigé, avec Réjane Sénac, Femmes-hommes : penser l’égalité (Ed. La Documentation française, 2012). Elle a publié L’Etat et les droits des femmes : des institutions au service de l’égalité ? (Ed. PUR, 2010).

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