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Collèges et prévention spécialisée :comment coopérer ?

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Aujourd’hui, le destin de beaucoup de jeunes se joue au collège, ce qui incite la prévention spécialisée à œuvrer davantage en lien avec l’institution scolaire, voire en son sein. Une démarche qui impose d’interroger en permanence le sens de l’intervention pour éviter toute instrumentalisation.

« Depuis longtemps, les éducateurs de prévention spécialisée travaillent avec les collégiens. Aujourd’hui, l’idée se développe de travailler avec les collèges. Mais comment passer de l’un à l’autre, en particulier à l’heure où l’école est aux prises avec la montée du décrochage scolaire ? », interrogeait Gilbert Berlioz, consultant au cabinet Conseil, recherche, évaluation, sciences sociales (CRESS), lors des journées de formation sur « La prévention spécialisée et le collège » organisées par la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE) (1).

LES ENSEIGNANTS DÉMUNIS

Le sujet de l’échec scolaire a émergé avec la création du collège unique et la montée du chômage des jeunes. En effet, « sortir du système scolaire sans diplôme pousse désormais vers un destin qui peut être d’exclusion et de précarité. Avant, la question ne se posait pas », rappelle Pierre-Jean Andrieu, professeur associé à l’université Paris-VII et ancien président du Conseil technique de la prévention spécialisée (CTPS). Quant aux facteurs de l’échec, ils sont tant sociaux, psychologiques, familiaux qu’institutionnels. L’école est, en outre, en pleine transformation. « Les relations maître-élèves ne sont plus médiatisées par l’institution et beaucoup d’enseignants se retrouvent à devoir construire la confiance, sans formation adaptée, avant de pouvoir transmettre des connaissances », poursuit-il. L’essor des nouvelles technologies modifie aussi l’accès au savoir et la nature de la légitimité de l’enseignant, et influe sur le mode de sociabilité des jeunes. De plus en plus démunis face à ces adolescents que la scolarité n’intéresse pas, des équipes de collège cherchent un étayage hors de l’institution. « L’école ne peut plus fonctionner seule, donc elle s’ouvre », reconnaît Jean-Louis Auduc, ancien directeur des études à l’institut universitaire de formation des maîtres de Créteil. Dans cette perspective, la prévention spécialisée, ancrée dans la protection de l’enfance, a une légitimité à intervenir. « Elle doit être présente car l’échec scolaire est une question que partagent enseignants et éducateurs. L’école est, après la famille, la deuxième instance de socialisation des jeunes, et le passage au collège et ce qui s’y joue sont déterminants pour leur construction et leur avenir. Il faut les aider à trouver du sens dans les apprentissages et contribuer à ce que l’école, qui est à un moment charnière, soit un lieu qui protège et aide à grandir », affirme Pierre-Jean Andrieu. Le collège est d’autant moins à considérer comme un sanctuaire que, pour les jeunes, il existe une fluidité entre le dedans et le dehors. « La socialisation scolaire ressemble à celle des quartiers. On est sur les mêmes problématiques, mais elles émergent à des endroits différents sur des sujets différents. Il y a une continuité de vie », estime Gilbert Berlioz. Le renforcement des coopérations entre prévention spécialisée et établissements scolaires a d’ailleurs largement été recommandé par le Conseil technique de la prévention spécialisée en 2008 (2).

La prévention spécialisée repose sur des principes forts et une démarche singulière, qui permettent d’aborder les situations par un autre prisme et de nourrir la vision des acteurs du collège. Tout d’abord, « c’est un choix politique, celui de refuser l’enfermement ; une posture philosophique, qui veut que l’individu n’est pas réductible à ses actes, qu’il est éducable », estime Pierre-Jean Andrieu. Ensuite, cette pratique a pour originalité de devoir construire la confiance pour développer une relation éducative, puisqu’elle repose sur un principe de libre adhésion, et de ne pas avoir de mandat autre qu’être là, en immersion, pour nouer des relations. Enfin, elle agit avec les individus, avec les groupes et dans le milieu. « Sur fond de désagrégation de la société, les liens communautaires se renforcent, il faut en tenir compte. Or la prévention spécialisée est à la pointe en matière de travail social communautaire, même si elle doit encore le développer, car elle agit dans le milieu et en reconnaissant que les personnes et communautés ont des ressources », poursuit-il.

Travailler avec les collèges donc, mais dans quel sens ? Plusieurs axes sont à creuser. Pour Joëlle Bordet, psychosociologue du Centre scientifique et technique du bâtiment, il importe notamment de coproduire de la scolarité avec les enseignants et d’atténuer le clivage collège-territoire. Il s’agit « de ne pas intervenir seulement au moment des ruptures mais de les éviter, d’empêcher l’exclusion de la classe », d’apporter un soutien en matière d’orientation, le tout non « pour rendre les élèves supportables mais pour qu’ils réussissent leur scolarité ». Il est également nécessaire d’œuvrer en faveur de l’apprentissage des statuts, autrement dit sur ce que signifie être élève dans une institution, une classe. Cela impose de réfléchir aux moyens de rendre l’école plus démocratique, de faire qu’elle ne soit pas repérée comme un lieu où on ne peut pas exister en tant que sujet. Pour réaffilier les jeunes des quartiers à la question démocratique, la psychosociologue prône, en particulier, de s’intéresser au thème de la reconnaissance. « Beaucoup se vivent comme humiliés, non reconnus, il faut les accompagner pour en sortir et éviter le passage à la haine. Le collège est le seul lieu institué où les jeunes sont ensemble durablement et avec des adultes. Si on ne peut pas y vivre en paix, inutile de parler d’apprentissage des savoirs. » Dans un rôle de tiers, les éducateurs peuvent être utiles pour lever nombre de malentendus, à condition toutefois d’avoir su créer la confiance avec tous les acteurs du collège.

Autre piste : la valorisation des savoirs issus de l’expérience. « Il faut être dans une culture où on met en avant les réussites et les potentialités, permettre au jeune d’être fier. En particulier, un collégien peut montrer des compétences dans des démarches extérieures, et l’école doit être en mesure de les reconnaître », défend Jean-Louis Auduc. Enjeu essentiel également, le travail avec les familles, à qui l’école fait parfois peur car si cette dernière ne fait pas sens pour elles, elle ne le fera pas pour leurs enfants. « Il faut permettre aux parents de se sentir acteurs, de comprendre les réussites et difficultés de leurs enfants et ce n’est pas en les recevant dans une salle de classe qu’on y arrivera », souligne-t-il. Cela doit s’inscrire dans « un processus éducatif non centré sur les défaillances familiales mais sur les potentialités des parents », complète Bernard Heckel, directeur du Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée (CNLAPS). Le rapport du CTPS valorisait à ce titre la notion de coéducation, les familles ayant beaucoup de choses à dire, pour peu qu’on sache les écouter dans un rapport d’égalité. « La communauté scolaire doit gagner en consistance au-dedans et au-dehors par des articulations, une ouverture accrue aux familles. La prévention spécialisée peut contribuer à la construction de communautés éducatives efficientes dans une visée, féconde, de coéducation », développe Bernard Heckel. Enfin, les éducateurs, qui savent l’impact du collège dans l’équilibre de la vie sociale du quartier, jouent un rôle de passeur au sein des dynamiques locales. « Ils occupent une fonction centrale de lien, de transformation des clivages et des contradictions, par leur présence auprès des jeunes dont ils connaissent la vie et le mode de socialisation au sein de leur groupe de pairs. Ils peuvent donc alerter et influencer les points de vue des autres professionnels », observe-t-il encore.

JUSQU’OÙ COLLABORER ?

D’ores et déjà, sur le terrain, des coopérations se sont développées entre l’institution scolaire et la prévention spécialisée. Elles vont de la collaboration avec les collèges pour agir sur les comportements violents, la réussite scolaire, comme dans la Haute-Saône (voir encadré ci-dessous), ou sur le décrochage scolaire, comme dans le Nord (voir encadré, ci-dessous), à des interventions au sein même des collèges (voir page 29). Cette évolution suscite toutefois des questionnements. « J’ai du mal à croire qu’en collège, les jeunes viennent dans le cadre de la libre adhésion », lance Aziz El Kouh, éducateur au Club relais de Bagneux (Hauts-de-Seine). « La place de la prévention spécialisée au collège n’est pas toujours évidente, pointe, de son côté, Fabrice Darmon, éducateur à Espoir (Val-de-Marne). A Orly, nous hésitons à nous montrer avec des membres de la communauté éducative car on sait ce qui peut se projeter ensuite sur nous dans le quartier, et nous n’aiderions alors ni les jeunes ni le collège. En revanche, à Villejuif, cela ne pose pas de problème, nous intervenons même dans la cour. » Pour d’autres cependant, cette intervention tombe sous le sens. « Nous accompagnons des familles en difficulté depuis des générations. Il faut être partout sur le territoire, travailler avec et dans le collège », assure Daniel Morer, éducateur de l’ADSEA (Association départementale de la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence) de Seine-et-Marne. C’est parfois une nécessité matérielle. « Du fait des opérations de rénovation urbaine et de la tendance de certains adolescents à s’isoler, les jeunes deviennent parfois invisibles. Pour aller à leur rencontre, le collège est une porte d’entrée », observe David Missiaen, éducateur à la Sauvegarde 56 (Morbihan).

BOUCHER LES TROUS ?

La question des moyens est également pointée du doigt car, pour certaines équipes, s’impliquer auprès des collèges supposerait de réduire fortement leur présence sur les quartiers et donc de rompre les liens avec des jeunes. En outre, s’alarme une éducatrice : « On est en train de valider le fait qu’on supprime les travailleurs sociaux de l’école. Je m’interroge sur l’avenir de la prévention spécialisée si on doit boucher les trous ici et là ! » A ces problèmes s’ajoutent les craintes de voir la prévention spécialisée instrumentalisée. Les éducateurs doivent garder un rôle de tiers, de facilitateur de la socialisation des adolescents et ne pas devenir des agents de l’institution scolaire. Ainsi, « s’il peut se révéler important de faire du soutien scolaire, il ne faut pas devenir des profs du dehors mais, à l’inverse, se battre pour la rescolarisation des jeunes », insiste Joëlle Bordet. Et d’ajouter : « C’est en alliance avec les jeunes et les familles que les éducateurs interviennent au collège, c’est ce qui fonde leur légitimité. C’est en fonction de cela qu’ils peuvent répondre à une demande institutionnelle ou la refuser. »

Pour les aider à maintenir leur position et à conserver leur lien avec les familles et les jeunes, un étayage fort se révèle en tout cas essentiel. « Cela nécessite un travail d’analyse permanent des équipes pour tenir une position construite en fonction de leur mission dans une dynamique d’acteurs », résume Bernard Heckel. Entendant les réticences des équipes et rappelant que « le cœur du métier est le travail de rue » et que c’est « à partir de cela que les éducateurs doivent aller dans les interstices », Pierre-Jean Andrieu leur recommande de se concentrer « davantage sur la question des enjeux de la prévention spécialisée que sur celle de ses principes méthodologiques, d’interroger d’abord le sens des actions menées et de leur présence devant ou dans le collège. Là est pour moi la boussole de l’intervention. »

Pour encadrer la coopération entre les collèges et la prévention spécialisée, qui n’a pas de mandat spécifique pour intervenir à l’école, des cadres de partenariat parfois très structurants et institutionnalisés ont été établis. Une formalisation dans laquelle certains voient un risque supplémentaire d’instrumentalisation alors que d’autres y trouvent un moyen d’y échapper. C’est le cas de Fabienne Quiriau, directrice générale de la CNAPE : « Le mérite d’une convention est la clarté. Cela permet de poser les limites. Or chacun doit être à sa place et dans son rôle. » De même, Gilbert Berlioz, qui a évalué le dispositif des acteurs de liaison sociale en environnement scolaire (voir page 29), estime que « face à la menace surplombante d’instrumentalisation, l’outil conventionnel, qui donne le cadre à l’action, est une protection ». Il faut en tout cas que ces coopérations demeurent des constructions locales et qu’elles intègrent une réflexion sur le changement, les éducateurs devant rester immergés dans le travail de rue. « On doit contextualiser, et non uniformiser, pour que cela renvoie au sens de l’action. Il faut partir d’une dimension expérimentale et empirique, et mettre cela en regard du projet de service, analyse Pierre-Jean Andrieu. Cela ne signifie pas de ne pas institutionnaliser mais de garder à l’esprit que c’est lorsqu’on est dans une démarche instituante qu’on fabrique du nouveau et pas toujours quand on est dans la reproduction de l’institué. Pour moi, il y a plus d’alliance que de partenariat à construire. »

Une convention partenariale dans la Haute-Saône

Il y a quelques années, un éducateur de l’Association haute-saônoise de sauvegarde de l’enfant à l’adulte est interpellé, à Lure, par une conseillère principale d’éducation (CPE), qui ne parvient pas à contacter les parents d’un élève, dont le comportement devient très problématique. Il tisse alors un lien entre le collège, les parents et le jeune, ce qui permet à ce dernier de reprendre une scolarité apaisée. Le collège a alors sollicité l’éducateur pour un autre élève et, en 2008, un projet a mûri, donnant lieu à une convention partenariale avec des établissements scolaires. Lorsque ceux-ci sont en difficulté, le CPE propose au jeune de rencontrer un éducateur à son local ou à La Cabane, le club de prévention de l’association à Vesoul. Il l’avertit en outre que l’équipe éducative, comme ses parents, sera informée de son éventuelle visite. Mais, insiste Michel Hug, chef de service éducatif, « c’est l’élève qui prend l’initiative de venir ou non. Et tout de suite, nous lui disons que nous ferons le point sur sa situation scolaire, ses difficultés, ses besoins et son comportement, et lui rappelons qu’il est libre de ne pas travailler avec nous. En aucun cas, son refus peut être sanctionné. » La priorité est donnée à la socialisation du jeune, à son parcours, et l’éducateur tente d’entrer en contact avec la famille. « Globalement, les deux tiers des élèves accompagnés en partenariat avec les collèges vont vers un apaisement de leur comportement violent et reprennent un cycle de scolarité satisfaisant », se réjouit Michel Hug. Pour les autres, une information préoccupante est généralement réalisée.

Monter un tel projet n’est cependant pas sans difficultés. Tout d’abord, il faut établir un périmètre d’intervention, ce qui ne va pas de soi quand le collège du quartier reçoit des élèves venant de l’espace rural, puis s’accorder sur une thématique de travail, et enfin sur ses modalités. « Il y a un choc des cultures, puisque chacun fonctionne avec ses obligations, mais cela se révèle très riche, observe-t-il. Il faut également tenir sur la durée. » Ainsi à Lure, un changement de direction a eu raison de la coopération. En revanche, le partenariat se poursuit à Vesoul, où il s’inscrit dans le projet de réussite éducative.

A Lille, accueillir les décrocheurs scolaires

Monter une structure de type maison d’enfants à caractère social (MECS) pour accueillir des jeunes décrocheurs scolaires et les autoriser à renouer avec les apprentissages, voire l’école. Tel est le défi que s’est lancé, il y a 9 ans, le club de prévention Itinéraires à Lille (Nord) en créant Mistral gagnant. Orientés par les acteurs de liaison sociale dans l’environnement scolaire (voir page 29) puis placés, à la demande des familles, dans le cadre d’un accueil provisoire par l’aide sociale à l’enfance, 22 enfants de 12 à 16 ans passent la journée auprès d’éducateurs pour progresser à partir d’un projet de vie personnalisé. « Tous disent vouloir arrêter l’école. Certains l’ont même quittée depuis deux ans. On leur explique alors qu’ils sont soumis à l’obligation scolaire et on travaille sur ce qui posait problème », explique Francine Blas, la responsable. Des enseignants de collège viennent dispenser des cours et tenter de redonner à ces jeunes en souffrance l’envie d’apprendre. Les parents sont fortement impliqués. « On les associe à tout : retards, crises, bilans réguliers… », reprend-elle. Toutes les six semaines, les objectifs à atteindre sont définis et les blocages analysés. « On décortique les situations pour les stabiliser et on essaie de mettre en lien les familles avec des professionnels qui seront des personnes ressources à la sortie du dispositif. » L’accueil dure au maximum une année scolaire, et la réussite semble au rendez-vous : rescolarisation au collège ou en lycée professionnel, contrats d’apprentissage ou formations de droit commun… Le dispositif est cependant parfois décrié car jugé éloigné de la prévention spécialisée. Un reproche que Slimane Kadri, directeur général d’Itinéraires, balaie, en faisant valoir que son efficacité est justement liée aux outils employés. « Nous sommes atypiques non pas en tant que MECS ou par l’idée d’accueil provisoire mais par les relations que nous construisons avec les gamins. Les principes de la prévention spécialisée sont applicables à d’autres domaines et c’est parce que notre culture professionnelle est différente que nos résultats sont différents. »

Notes

(1) A Paris, les 27 et 28 novembre 2012 – CNAPE : Tél. 01 45 83 50 60 – contact@cnape.fr.

(2) Rapport De la coopération entre les acteurs de l’institution scolaire et de la prévention spécialisée – Téléchargeable sur www.social-sante.gouv.fr – Voir aussi ASH n° 2552 du 4-04-08, p. 29.

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