Dans un jugement du 8 février dernier, le conseil de prud’hommes de Paris a ouvert une brèche en décidant que les règles de droit commun du travail peuvent s’appliquer aux personnes détenues.
Rappelons que, conformément à l’article 717-3 du code de procédure pénale, les relations de travail des personnes incarcérées ne sont pas encadrées par un contrat de travail. Toutefois, comme le prévoit l’article R. 57-9-2 du même code, elles le sont par un acte d’engagement énonçant les droits et obligations professionnels des détenus ainsi que leurs conditions de travail et de rémunération. Prévu par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (1), cet acte d’engagement, qui ne constitue pas un contrat de travail, est signé entre le détenu et l’administration pénitentiaire.
Dans l’affaire soumise au conseil de prud’hommes, une détenue avait été engagée en septembre 2010 en qualité de conseillère téléopératrice, selon un « support d’engagement à durée indéterminée » au service d’une entreprise privée de téléconseil. Déclassée de cet emploi en 2011 pour avoir passé des appels personnels, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour obtenir la requalification du support d’engagement en contrat de travail et de son déclassement en licenciement abusif, ainsi que les rappels de salaire et les indemnités afférentes (indemnités de préavis et de congés payés, dommages et intérêts…). Elle soutenait que l’article 717-3 du code de procédure pénale était contraire, notamment :
→ aux principes de l’égalité de traitement et de non-discrimination prévus par l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ;
→ au principe du droit de jouir de conditions de travail justes et favorables prévu par les articles 6 (droit de choisir son travail), 7 (droit à un salaire équitable et à une rémunération égale pour un travail de valeur égale) et 9 (droit à la sécurité sociale) du Pacte international des Nations unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pidesc). Son argumentation a trouvé un écho favorable auprès du conseil de prud’hommes.
La juridiction rappelle, tout d’abord, qu’il y a discrimination lorsque les deux critères suivants sont réunis : une différence de traitement et un manque de justification objective et raisonnable de cette différence de traitement. Ce qui, selon elle, était le cas en l’espèce. En effet, constate-t-elle, la requérante exerçait les mêmes fonctions qu’un conseiller téléopérateur non détenu dans la mesure où elle avait le même niveau de compétences (formation initiale identique), était encadrée par le même personnel et était soumise aux mêmes objectifs de productivité imposés par l’entreprise. La situation des employés détenus et celle des employés de droit commun étaient donc, selon les conseillers prud’hommaux, « parfaitement analogues » et la différence de traitement entre les deux, notamment en termes de salaire (2), n’était justifiée que par l’existence d’un statut dérogatoire des employés détenus prévu par le code de procédure pénale. En étant effectuée selon des règles dérogatoires au droit commun du travail, la prestation fournie par la requérante ne respectait donc pas les dispositions du Pidesc, estime le conseil. Et l’article 717-3 du code de procédure pénale n’y est pas conforme.
En outre, considère le conseil, un lien de subordination existait bien entre la détenue et la société de téléconseil puisque l’acte d’engagement stipulait, par exemple, que le téléopérateur devait se conformer aux directives et consignes de sa hiérarchie et que, en cas de maladie, il devait impérativement fournir un certificat médical justifiant de son absence.
Pour le conseil de prud’hommes, il convient donc d’écarter l’article 717-3 du code de procédure pénale du cas présent et d’appliquer le droit commun du travail dans la mesure où l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée est caractérisée. En conséquence :
→ le support d’engagement dont était titulaire la requérante doit être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée ;
→ son déclassement doit être requalifié en licenciement abusif puisque l’entreprise ne l’a pas convoquée à un entretien préalable de licenciement.
Au final, la société de téléconseil est condamnée à verser à la détenue des rappels de salaires à hauteur de 2 358 € et diverses indemnités (préavis, congés payés, dommages et intérêts…) pour un peu plus de 4 611 €.
Rappelons que ce jugement n’est qu’une décision de première instance et qu’il ne deviendra donc définitif que si l’employeur décide de ne pas faire appel ou si, en cas d’appel de ce dernier, il est confirmé par des juridictions de second degré (cour d’appel et, le cas échéant, Cour de cassation).
(2) La rémunération minimale des détenus va de 20 % à 45 % du SMIC selon le type d’activité exercée - Voir ASH n° 2691-2692 du 14-01-11, p. 18.