Une étude réalisée en 2009 dans la Seine-Saint-Denis sur les morts violentes de femmes du fait de leur partenaire ou ex-partenaire établit que, dans la moitié des cas, les assassinats se sont produits à l’occasion du droit de visite du père. « Le moment de plus grande dangerosité se situe après la séparation et c’est le moment où la société demande à Monsieur et Madame de se revoir – paradoxalement pour le bien-être de l’enfant », commente Karine Sadlier, directrice du département « enfants » de l’Institut de victimologie de Paris. Pour tenir compte de ce danger, le juge aux affaires familiales qui prononce une ordonnance de protection peut prévoir que la rencontre de l’enfant avec son autre parent se déroule dans un espace dédié avec l’assistance d’un tiers digne de confiance ou du représentant d’une personne morale qualifiée. Mais le tiers de confiance est susceptible de poser des problèmes de neutralité. Quant aux espaces de rencontre, ils n’empêchent pas le contact entre le père et la mère et présentent souvent des délais d’attente très importants.
Pour éviter ces écueils, un accompagnement protégé des enfants par le représentant d’une personne morale qualifiée – la Sauvegarde de Seine-Saint-Denis – est mis en œuvre depuis octobre 2012 dans le ressort du tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny. Ce dispositif a été co-élaboré, sous la houlette de l’Observatoire départemental des violences envers les femmes, par la cellule de recueil des informations préoccupantes, le TGI de Bobigny, la Sauvegarde, l’Institut de victimologie de Paris, la Fondation pour l’enfance, la caisse d’allocations familiales et SOS Femmes 93. Le principe est simple : lors de ses déplacements entre le domicile de sa mère et celui de son père – ou tout autre lieu d’exercice du droit de visite spécifié par le juge –, l’enfant est escorté par une personne salariée à cet effet par le Pôle d’accompagnement judiciaire éducatif (PAJE) de la Sauvegarde. Cet adulte effectue les allers et retours avec l’enfant, mais ne reste pas pendant la visite et ne divulgue à aucun des deux parents des informations sur l’autre.
Pour réaliser cette expérimentation, unique en son genre, « nous avons recruté huit retraitées qui ont une bonne connaissance de l’enfance et des problématiques éducatives pour avoir notamment exercé comme assistantes de service social, éducatrices spécialisées, enseignantes ou psychologues », explique Zohra Harrach Ndiaye, directrice du PAJE. Ces accompagnantes ont eu cinq journées de formation assurées par l’Institut de victimologie, également chargé de leur supervision. « Il s’agissait essentiellement, dans cette formation, de travailler sur les mécanismes de la violence pour que les accompagnantes puissent comprendre quels sont les deux parents qu’elles ont en face d’elles », précise Karen Sadlier. « Une mère très angoissée, qui accepte difficilement que l’enfant parte chez son père, n’est pas un parent qui a du mal à laisser la place à l’autre parent. C’est une personne qui a vécu des choses extrêmement violentes et qui a peur pour la sécurité de son enfant avec ce parent dont elle sait qu’il peut être dangereux. » Il convient aussi d’appréhender comment la violence affecte la parentalité de son auteur. « Contrairement au mythe selon lequel un mauvais conjoint pourrait être un bon père, la recherche internationale montre que les auteurs de violences présentent des difficultés importantes, comme l’intolérance à la frustration, qui ont un impact sur leur parentalité », explique la clinicienne.
Les accompagnantes doivent également savoir que leur interlocuteur peut être quelqu’un de tout à fait charmant, mais très manipulateur, ou un homme susceptible d’être agressif avec elles et/ou avec l’enfant. S’agissant de ce dernier pour qui les déplacements entre ses deux parents sont des moments anxiogènes, il faut être particulièrement attentif à ses émotions, comportements et propos, afin de le rassurer sans minimiser la gravité de ce qu’il a vécu. Les accompagnantes ont une grille d’observation pour affûter leur regard et leur écoute, et elles font un retour au chef de service du PAJE à l’issue de chaque trajet. « Nous souhaitons mesurer les répercussions sur le devenir des enfants des violences dont ils ont été témoins, détaille Zohra Harrach Ndiaye, et ces accompagnements permettent d’être dans la réactivité par rapport à ce que l’enfant verbalise dès qu’il a quitté sa maman et vu son papa. »
Mais, évidemment, il ne s’agit pas que de recherche-action. « Nous avons des astreintes le mercredi et le week-end et adressons au procureur une note sur tout incident susceptible de remettre en cause le déroulement de la mesure », déclare la professionnelle. Par ailleurs, la cellule de recueil des informations préoccupantes est saisie par le PAJE en cas de danger pour l’enfant.
Fin janvier, cinq mesures d’accompagnement protégé étaient en cours. Mais quatre mois – éventuellement renouvelables une fois, si l’ordonnance de protection est prorogée –, c’est court. Aussi le comité de pilotage vient-il de décider que la mesure peut être portée à six mois (1). Parallèlement, il serait souhaitable que les pères intègrent le groupe d’expression et de responsabilisation d’auteurs de violences conjugales que le PAJE organise par ailleurs pour des hommes sous main de justice. Cela est systématiquement proposé aux pères dont les enfants bénéficient d’une mesure d’accompagnement protégé, mais aucun d’eux n’a encore répondu favorablement à cette offre.
(1) Elle pourra également être reconduite pour un maximum de six mois dans le cas où l’ordonnance de protection serait renouvelée.