Chargé d’élaborer des propositions pour adapter la société française au vieillissement de la population, la « mission interministérielle » présidée par Luc Broussy est partie de quatre constats qui, explique ce dernier dans un propos liminaire adressé à Jean-Marc Ayrault et à Michèle Delaunay, doivent gouverner la « révolution » attendue. Premier constat : « générateur de croissance économique et donc d’emplois pour les jeunes », le vieillissement est « une chance pour la jeunesse et une opportunité pour la France ». Deuxième constat : « la société française peut s’appuyer sur des vieux [ou futurs vieux] exceptionnels », mieux préparés et suffisamment valides pour à la fois vivre chez soi et vouloir sortir. Troisième constat : « le maintien à domicile doit devenir (enfin) une véritable priorité assumée ». Ce qui implique non seulement de consolider « un secteur qui aujourd’hui souffre énormément » mais aussi de se donner les moyens de « créer un véritable éco-système favorable à un séjour sûr et serein chez soi le plus longtemps possible ». Quatrième et dernier constat : sur cette question de l’adaptation de la société au vieillissement, tous les agents économiques et sociaux attendent de voir l’Etat « s’impliquer au plus haut niveau pour impulser des politiques et montrer la voie à des acteurs qui, ensuite, sauront très bien faire sans lui ».
Luc Broussy le reconnaît lui-même : pour rédiger les quelque 200 pages du rapport (1), la mission s’est notamment « inspirée de toutes les bonnes idées émises depuis des années dans [d’autres] rapports ou études ». Au final, le document fourmille de propositions concrètes réparties dans dix chapitres correspondant, chacun, à un « défi » à relever.
Et pour le conseiller général du Val-d’Oise, le premier de ces défis est celui de l’adaptation des logements, « condition indispensable au maintien à domicile ». Ses propositions en la matière sont multiples. Il suggère notamment :
→ d’élargir aux enfants qui souhaiteraient aider au financement de l’adaptation du logement de leurs parents le crédit d’impôt dont peuvent actuellement bénéficier les contribuables au titre des dépenses d’installation et de remplacement d’équipements spécialement conçus pour les personnes âgées ou handicapées (crédit d’impôt s’élevant à 25 % des dépenses) (2) ;
→ d’instaurer un « diagnostic Habitat-Mobilité » pour les personnes de 70-75 ans – financé par les institutions de protection sociale complémentaire et conduit par des ergothérapeutes – « afin de permettre à chaque senior d’évaluer les conditions d’adaptation de son logement mais aussi de décider si le déménagement ne serait pas la solution la plus optimale » ;
→ de mobiliser les bailleurs sociaux sur les seniors (intégrer dans les conventions d’utilité sociale conclues entre l’Etat et les organismes d’HLM un avenant spécifique relatif au vieillissement des locataires, recenser et flécher les appartements adaptés puis les réserver en relocation en priorité aux personnes âgées, etc.) ;
→ d’imposer, pour la construction de logements neufs dans des « zones propices au vieillissement » définies dans les documents d’urbanisme, un quota de logements adaptés.
Autre défi à relever : le développement de formules d’hébergements intermédiaires situés entre le domicile et l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). La mission estime en effet « nécessaire que les pouvoirs publics se concentrent désormais sur les formules d’hébergement pour personnes autonomes dont notre pays va particulièrement avoir besoin dans les deux décennies à venir » : résidences-seniors, béguinages, immeubles intergénérationnels, foyers-soleil… Au-delà de ces formules innovantes, Luc Broussy propose la création d’un statut de « résidence plate-forme de quartier », nouveau type d’établissement social et médico-social « où se mêleraient hébergement, aide à domicile, consultations mémoire, point d’information, restauration et animation pour l’ensemble des seniors d’un quartier, etc. ». Il s’agirait en quelque sorte du « logement foyer de demain ». Le rapport propose, du reste, qu’à l’avenir, ne soient plus autorisés que les logements-foyers qui proposent un panier de prestations dans un quartier et non seulement de l’hébergement. Parallèlement, il conviendrait selon lui de « régler le sort » des 2 300 logements-foyers qui hébergent actuellement plus de 116 000 personnes âgées et dont certains sont désuets. L’idée serait d’établir un état des lieux, département par département, pour identifier ceux qui sont d’ores et déjà adaptés, ceux dont la rénovation est possible et souhaitable, et ceux qui doivent s’orienter vers une autre destination.
Remise à niveau dans les auto-écoles, adaptation des voitures au grand âge, limitations ponctuelles (nuit, heures de pointe…), apposition d’un auto-collant pour les conducteurs de 75 ans et plus… : le rapport propose également toute une série de mesures visant à permettre aux personnes âgées de conduire le plus longtemps possible. Toujours pour faciliter leur mobilité, il suggère aussi de développer :
→ les formules de transport à la demande (taxis, minibus…) là où les personnes âgées sont nombreuses et où les transports, notamment ferroviaires, maillent insuffisamment le territoire ;
→ le transport accompagné, en élargissant l’initiative baptisée « sortir + » lancée en 2005 par les régimes de retraite complémentaire AGIRC-ARCCO à d’autres partenaires (collectivités locales, mutuelles…).
Les seniors disposent de revenus servant soit à consommer, soit à épargner. Or, sur ces deux plans, des opportunités demeurent inexploitées, estime Luc Broussy. D’abord parce que les retraités connaissent une forte baisse de leur consommation à partir de 65 ans. D’autre part parce que l’épargne des seniors, importante, « n’est pas toujours utilisée de façon optimale ». Le rapport préconise donc, notamment :
→ d’étudier avec les entreprises les adaptations nécessaires pour permettre de relever la consommation des plus de 65 ans ;
→ de drainer l’épargne vers les technologies de l’autonomie ;
→ d’orienter l’épargne des seniors vers des fonds d’épargne pour la jeunesse ou des fonds de développement économique local ;
→ d’étudier avec les banques les modalités et les conditions de développement de formules de « viager intermédié partiel » (3).
« Pour certains territoires, explique encore Luc Broussy, la “vieillesse” va presque devenir la “matière première” d’un développement économique local axé sur la prise en charge des personnes âgées et pourvoyeur d’emplois non délocalisables. » Or les pouvoirs publics font preuve d’une véritable « apathie » en matière de promotion des métiers du grand âge. Le rapport recommande donc aux pouvoirs publics, entre autres, de :
→ lancer une grande campagne radiotélévisée sur les métiers du grand âge, pour attirer l’attention des jeunes en phase d’orientation professionnelle ;
→ mener des actions de sensibilisation massive pour intéresser les jeunes aux carrières d’aide aux personnes âgées ;
→ former plus de professionnels (animateur social, aide médico-psychologique, psychomotricien…) ;
« “toiletter” le maquis des 19 certifications professionnelles de niveau V d’aide à domicile ».
Dans un chapitre consacré à la place de la personne âgée dans la famille, la mission s’engage notamment pour l’élargissement du congé de solidarité familiale, afin d’en faire profiter les salariés qui aident leurs parents dépendants, « congé qui doit pouvoir être fractionné et pris quand le besoin de temps libre est nécessaire (recherche d’un EHPAD, d’une aide à domicile, etc.) ». Elle plaide également pour la suppression de l’obligation alimentaire dans le cadre de l’aide sociale à l’hébergement dans les maisons de retraite, « qui inflige souvent à des familles modestes une “double peine” ».
Signalons enfin que, évoquant la question de la gouvernance, Luc Broussy se prononce en faveur d’une logique de guichet unique qui s’incarnerait dans la création de « maisons de l’autonomie », pour lesquelles plaide également le rapport « Aquino » (voir ci-contre). Il préconise aussi un renforcement des pouvoirs de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), « devenu le pivot de la réflexion sur les questions médico-sociales relatives à la perte d’autonomie ». Suggérant notamment de lui laisser « la responsabilité de préparer les textes réglementaires » et de lui transférer, en conséquence, les personnels de la direction générale de la cohésion sociale actuellement affectés à cette mission.
« Identifier et comparer au plan international les pratiques intéressantes et innovantes susceptibles de nourrir la réflexion sur la préparation des volets anticipation-prévention et adaptation de la société au vieillissement du projet de loi sur l’autonomie. » Telle était la mission de la députée (PS) Martine Pinville qui, pour cela, s’est déplacée dans trois pays (Espagne, Suède et Canada), « choisis pour leurs différences d’approches » en la matière, et a auditionné des experts institutionnels, associatifs et académiques. Une des conclusions de son rapport (4) : « quel que soit le pays considéré, les politiques de l’âge apparaissent encore très ciblées […] et sectorisées » alors qu’elles devraient répondre à une exigence d’universalité – l’avancée en âge concernant tout le monde – et à une exigence de transversalité – l’avancée en âge irriguant toutes les dimensions de l’action publique (logement, emploi, citoyenneté, solidarité, urbanisme…). L’élue a tout de même repéré quelques initiatives allant en ce sens, qu’elle présente tout au long du chapitre intitulé « placer l’avancée en âge au cœ0153;ur des politiques publiques ». En matière de prévention et d’adaptation de la société, Martine Pinville rejoint globalement les propositions des rapports « Broussy » et « Aquino », et illustre ses propos de multiples exemples étrangers de bonnes pratiques.
(1) L’adaptation de la société au vieillissement de sa population : France : année zéro ! – Janvier 2013 – Disp. sur
(2) Notons qu’une proposition de loi, déposée en septembre dernier à l’Assemblée nationale par le député (UMP) Daniel Fasquelle (Pas-de-Calais), propose précisément de transférer ce crédit d’impôt aux descendants et collatéraux qui financent les travaux et dépenses d’équipement.
(3) Nouveau produit permettant de rendre plus liquide, pour différents usages (besoins des vieux jours, transmission du temps de son vivant), une part de ses biens immobiliers résidentiels tout en en gardant la jouissance jusqu’à son décès.
(4) Relever le défi politique de l’avancée en âge – Perspectives internationales – Disp. sur