Maintenir l’interdit de l’usage de drogues sans en faire un délit ni un crime ; tolérer la détention de produit pour une consommation personnelle d’une durée de dix jours. Telle est l’option prise depuis 2001 par le Portugal qui, sans dépénaliser l’usage et la détention pour usage privé quelle que soit la drogue, a permis de nets progrès en matière de santé et de sécurité.
A partir du milieu des années 1970, le Portugal a en effet connu une flambée des consommations. Jusqu’en 2001, la loi réprimait l’usage, la détention et le trafic sans parvenir à juguler la situation. D’immenses scènes de deal et de consommation (héroïne, cocaïne…) s’étaient ouvertes et un quartier périphérique de Lisbonne était même devenu la première scène d’Europe, avec de 3 000 à 4 000 usagers concentrés dans des ruelles jonchées de seringues et autres détritus. Responsables politiques et experts ont alors réussi à s’accorder sur la démarche à suivre, en tirant parti des acquis d’autres pays. Il fut ainsi décidé de conserver l’interdit, considéré par l’opinion publique comme un outil de protection des jeunes, mais aussi de favoriser l’accès aux traitements et à la réduction des risques, en évitant la clandestinité et l’enfermement des usagers.
Ceux pris aujourd’hui à consommer en public sont passibles de sanctions administratives, dont l’objectif premier est de les orienter vers le système de soins. Dans ce cadre, des commissions de dissuasion – une par province – ont été créées. Dépendant du ministère de la Santé et non de la Justice, des équipes pluridisciplinaires (médecins, psychologues, travailleurs sociaux…) spécifiquement formées reçoivent les usagers interpellés, évaluent leur parcours et leur consommation et proposent, selon le cas, une prise en charge ou une orientation vers le soin, les services sociaux, etc. L’usager n’est pas obligé de suivre ces préconisations, mais il encourt une amende allant jusqu’à 600 € s’il comparaît dans les six mois devant une nouvelle commission.
Le rôle de la police a radicalement évolué et les relations avec les usagers, que celle-ci ne poursuit plus à longueur de temps, ont été transformées. « Les forces de l’ordre assurent une fonction de médiation entre les usagers, les professionnels de la réduction des risques qui interviennent durablement [dans les quartiers touchés par le trafic] et les habitants », expliquent Anne Coppel et Olivier Doubre. Si les grandes scènes ouvertes ont été démantelées, les petites restent tolérées, pourvu qu’elles ne suscitent pas de troubles de voisinage, et sont surveillées. Outre assurer la sécurité des citoyens, les services répressifs se concentrent sur le gros trafic et la criminalité organisée.
Les bons résultats, obtenus en partie grâce à la forte mobilisation des acteurs du soin et du social, plaident pour la poursuite du modèle. Contrairement aux craintes des opposants de la première heure, l’usage de dro gues des 15-20 ans a baissé. Dans la population générale, elle se maintient à un seuil inférieur à la moyenne européenne. Reconnues assumer une fonction de prévention vis-à-vis des jeunes en particulier, les commissions de dissuasion font désormais consensus. La méthode est donnée en exemple au plan international. Les résultats « montrent qu’il est possible de réorienter la politique des drogues, en prenant acte des réalités, dans le système prohibitionniste imposé par les conventions internationales », pointent Anne Coppel et Olivier Doubre. Un modèle dont gagnerait sans doute à s’inspirer la France où, estime la chercheuse, « les consultations jeunes consommateurs pourraient parfaitement jouer le rôle de commissions de dissuasion ».