Coûteuse, lourde à mettre en œuvre, « sans effet sur le cours de la justice »… Telles sont les conclusions du rapport d’évaluation de l’expérimentation des citoyens assesseurs (1) – plus communément dénommés jurés populaires – que Didier Boccon-Gibod et Xavier Salvat, respectivement Premier avocat général et avocat général à la Cour de cassation, ont, le 28 février, remis à la garde des Sceaux. Prévu par la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale (2), ce dispositif était jusqu’à présent expérimenté dans certaines juridictions se trouvant dans le ressort des cours d’appel de Dijon et de Toulouse. Doutant de son efficacité, Christiane Taubira a souhaité l’évaluer avant d’envisager sa généralisation. Dans un communiqué du 28 février, la ministre de la Justice a indiqué qu’elle annoncerait « dans les prochains jours » les orientations retenues concernant « le rôle du citoyen dans l’œuvre de la justice et son intégration efficace au processus judiciaire ».
Au regard des chiffres avancés par le rapport, on dénote une « faible activité de la juridiction citoyenne », l’essentiel de cette activité ayant été concentrée sur le jugement des affaires correctionnelles. Malgré tout, relèvent les auteurs, les magistrats et les fonctionnaires ont le « sentiment d’être accaparés à des moments non choisis par des tâches qui, en se surajoutant, compliquent le travail habituel et réduisent [leur] disponibilité », comme, entre autres, la sélection, la formation, la gestion quotidienne des citoyens assesseurs qui se succèdent. Car, rappelons-le, cette expérimentation s’est faite à moyens constants. Plus encore, souligne le rapport, les citoyens assesseurs ont peu participé aux débats et aux délibérés, « se montrant plutôt en quête d’explications ». Cela est d’autant plus vrai en ce qui concerne les tribunaux d’application des peines – où l’activité est « restée marginale » – du fait, de l’aveu même des magistrats qui y exercent, que « les citoyens assesseurs appréhendent très difficilement la complexité des notions juridiques à mettre en œuvre et appréhendent mal les critères d’appréciation et les enjeux de leur décision ». Selon les auteurs, cela occasionne un « surplus de temps pour l’examen des affaires en présence des citoyens assesseurs […] de l’ordre de 30 % ». Au final, en concluent les Hauts Magistrats, « les conditions ne sont [ici] pas réunies pour les regarder comme des juges libres dans leurs décisions ».
Quant à l’activité du tribunal correctionnel citoyen pour mineurs, elle a été « quasi inexistante », relève le rapport. Il ne s’est en effet réuni que trois fois au tribunal de Toulouse qui n’a tenu qu’une seule audience, pour un seul dossier. Et il ne s’est jamais réuni dans le ressort de la cour d’appel de Dijon.
Par ailleurs, indiquent les auteurs, une audience citoyenne ne permet d’évacuer qu’un nombre « très réduit » de dossiers (généralement trois) par rapport à une audience classique (entre huit et 12, voire jusqu’à 20). S’agissant des délais d’audiencement et de jugement, s’ils ont pu être respectés, notent-ils, c’est au prix d’efforts réalisés aux dépens d’autres services.
Pour les magistrats de la Cour de cassation, le seul point positif de l’expérimentation réside dans le changement du regard porté sur l’institution judiciaire. « C’est un encouragement à rechercher par quels autres moyens pourrait être obtenu ce résultat », estiment-ils. Soulignant qu’il conviendrait alors d’examiner les conditions dans lesquelles « pourraient être développées de façon régulière des actions spécifiques de communication admettant les citoyens aux audiences en observateurs privilégiés pris en charge à des fins pédagogiques, sans pour autant les associer à la prise de décision ».
Les dépenses liées à l’expérimentation des jurés populaires ont représenté, sur une année, 3,25 % du total des frais de justice du ressort de la cour d’appel de Dijon et 1,7 % pour celui de Toulouse. C’est certes peu, reconnaissent les auteurs, mais, si l’on privilégie une « approche “coût/dossier” », ce coût est « loin d’être négligeable », autour de 300 € par dossier. « On ne peut que s’interroger sur la pertinence de ce surcoût, d’autant que la réforme est restée sans effet sur le fond des décisions », concluent-ils.
(1) Rapport sur l’expérimentation des citoyens assesseurs dans les ressorts des cours d’appel de Dijon et de Toulouse – Février 2013 – Disponible sur