Mis en œuvre au quotidien par ? d’anciens militaires (33 %) et par des civils (67 %) issus d’horizons divers (moniteurs-éducateurs, éducateurs sportifs, éducateurs spécialisés, conseillers ? d’insertion, formateurs…), le projet pédagogique de l’EPIDE tente de concilier deux modèles a priori inconciliables : l’armée et le travail social. Si, après des débuts difficiles, l’encadrement s’est peu à peu professionnalisé (les intervenants reçoivent désormais à leur arrivée une formation commune et peuvent bénéficier d’une supervision) et diversifié (avec davantage de travailleurs sociaux), les avis continuent de diverger sur cet assemblage singulier.
Le personnel de l’EPIDE y voit globalement une greffe fructueuse. « Les éducateurs civils se montrent très réceptifs à l’approche des anciens militaires qui apportent un esprit de cohésion et de valorisation de l’effort collectif très apprécié par les jeunes », constate Estelle Piernas, déléguée syndicale CFE-CGC à l’EPIDE. En outre, « le cadre strict de l’EPIDE, immuable quelle que soit la personne, fournit des repères stables non seulement pour les jeunes mais aussi pour les travailleurs sociaux qui souffrent parfois d’un manque de ce côté-là », constate Blandine Derrien, éducatrice spécialisée de formation et tutrice au centre de Lanrodec (90 places) (Côtes-d’Armor). Inversement, « les militaires, au contact des travailleurs sociaux formés à la relation d’aide, découvrent d’autres postures que la fermeté et l’autorité », observe Bernard Moinet, directeur du centre EPIDE de Bordeaux.
Pour certains professionnels de l’intervention sociale, au contraire, les deux approches demeurent largement incom ? patibles. « Nous avons été extrêmement surpris qu’aucune voix de pédagogue ne se soit élevée pour s’interroger sur la légitimité de confier des jeunes à des militaires : d’un point de vue pédagogique, la référence aux valeurs autoritaires est surprenante », pointe Annie Jeanne, présidente de l’ANDML (Association nationale des directeurs de mission locale). « Comment conjuguer la culture professionnelle des éducateurs spécialisés, qui défend l’individualisation de la prise en charge, avec un cadre militaire dans lequel l’institution est plus forte que l’individu ? Il y a là une contradiction insurmontable », renchérit Jean-Michel Vauchez, président de l’ONES (Organisation nationale des éducateurs spécialisés).
Ce n’est pas le point de vue du pédagogue Philippe Meirieu, vice-président (EELV) du conseil régional de Rhône-Alpes : « Ce n’est pas le caractère “militaire” en lui-même qui est important, mais le caractère structurant des pratiques éducatives mises en œuvre, avec des jeunes qui les ont choisies et qui estiment qu’elles sont utiles pour eux à un moment donné. »
Même pragmatisme chez le sociologue Philippe Labbé. En dépit d’évidentes « résistances idéologiques vis-à-vis d’un mode de fonctionnement militaire, basé sur l’inculcation de règles, qui est très éloigné de la pédagogie du contrat d’usage dans l’éducation spécialisée », il parie sur le fait que « la présence d’éducateurs spécialisés fera évoluer les pratiques des militaires ».
D’ailleurs, pour le sociologue Gérald Houdeville, qui réalise depuis septembre 2012 une recherche sur le petit centre de formation de Combrée (75 places) dans le Maine-et-Loire, il n’y aurait pas de discordances évidentes entre l’approche de cette structure et celle habituellement pratiquée par les travailleurs sociaux : « Malgré les références militaires, les modalités de l’accompagnement socio-éducatif des jeunes sont extrêmement ressemblantes avec ce qui se fait dans les dispositifs équivalents – notamment dans les écoles de la deuxième chance. »