L’ANESM (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux) absorbée par la Haute Autorité de santé (HAS) ? Fusionnée avec l’ANAP (Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux) ? Ces différents scénarios, qui couraient à la fin de l’année 2012, continuent d’inquiéter les acteurs du secteur social et médico-social. Non sans raison puisque, après le rapport parlementaire d’Yves Bur (UMP) en juillet 2011 (1), ceux du Conseil d’Etat et de l’inspection générale des finances en 2012 (2) pointent les doublons existant entre les agences – notamment dans les sphères de la santé et du médico-social – et l’absence de vision cohérente d’ensemble. En outre, le Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique s’est fixé comme objectif d’élaborer « une doctrine partagée » afin de clarifier le recours aux opérateurs (3). Quel organisme sera alors supprimé ? Et sur quelles bases ?
Plutôt que de se voir imposer une rationalisation à l’aveugle et purement gestionnaire, l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) a donc décidé d’être force de proposition. Elle vient de mettre en place un groupe de travail (composé d’adhérents du réseau et d’Uriopss) afin de pouvoir défendre devant les pouvoirs publics un scénario partagé sur le devenir des agences. « Il s’agit de nous mettre d’accord sur ce que nous souhaitons pour notre secteur, qui soit pertinent tant en termes d’articulation des réponses aux usagers que de rationalité économique », explique Thierry Couvert-Leroy, responsable du service « gestion et ressources de la solidarité » à l’Uniopss. Même souci pour le Conseil national consultatif des personnes handicapées, qui a confié une réflexion sur la réorganisation des agences à sa commission « organisation institutionnelle ».
S’il est une priorité pour les acteurs du secteur, c’est de montrer que la fusion de l’ANESM avec l’ANAP ou son absorption par la HAS n’est pas inéluctable. Le premier scénario est tout simplement « une hérésie » pour Jean-François Bauduret, vice-président du conseil d’orientation scientifique de l’ANAP, puisqu’il revient à confondre les bonnes pratiques professionnelles de l’ANESM et les bonnes pratiques organisationnelles et de gestion de l’ANAP. Quant au rapprochement HAS-ANESM, si l’idée lui semble plus acceptable, puisque ces deux organismes sont exclusivement dédiés à l’évaluation de la qualité des prestations des établissements du champ de la santé et du champ médico-social, la culture de la HAS est très éloignée des aspects qualitatifs des projets de vie, souligne-t-il. En clair, le social aurait tout à perdre à de tels scénarios.
Premier à apporter sa contribution – en ligne sur son site (4) – au débat, le GNDA (Groupement national des directeurs généraux d’associations du secteur éducatif, social et médico-social) propose une architecture radicalement différente. Il s’agirait de réunir au sein d’une Haute Autorité de l’action sociale-médico-sociale (H2ASMS) les agences ou conseils de ce champ. Et de lui confier une triple fonction : l’observation en regroupant l’ONED (Observatoire national de l’enfance en danger) et l’ONPES (Observatoire nationale de la pauvreté et de l’exclusion sociale), l’évaluation et l’amélioration de la qualité des prestations en accueillant l’ANESM et le Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées, l’analyse de l’efficience des actions en reprenant la partie médico-sociale de l’ANAP. « On propose de revenir aux trois piliers essentiels de la loi 2002-2 – observation, évaluation et efficience de l’action – dont certains ne sont pas encore mis en place », précise André Ducournau, vice président du GNDA et président du comité d’orientation stratégique de l’ANESM. Quant au mode de gouvernance de cette nouvelle instance, il pourrait être calqué sur celui de l’ANESM, qui associe, dans ses comités consultatifs, l’ensemble des acteurs, dont les usagers. Enfin le GNDA prévoit une articulation avec le sanitaire via la création d’une instance de coordination entre la Haute Autorité de l’action sociale-médico-sociale et la Haute Autorité de santé, ce qui permettrait « d’assurer ensemble le cure et le care ».
La proposition a déjà reçu plusieurs soutiens dont celui du conseil d’administration de l’AIRe (Association des ITEP et de leurs réseaux). Daniel Gacoin, consultant directeur du cabinet Pro Ethique conseil, la juge sur son blog (5) « habile et intéressante » car « elle maintient la recherche d’une cohérence social/médico-social tout en prévoyant une articulation avec le sanitaire ». « Elle redonne de la lisibilité à l’action sociale en lui rattachant à nouveau le secteur médico-social », estime, dans le même sens, Pierre Savignat, maître de conférences associé sur les politiques sanitaires et sociales à l’université de Grenoble. La loi « hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) de juillet 2009 a, en effet, opéré une rupture au sein du champ de l’action sociale en rapprochant le médico-social du sanitaire. Or, souligne-t-il, cette coupure ne s’inscrit pas dans une vision cohérente des pouvoirs publics puisque la CNSA (caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) a compétence sur les établissements médico-sociaux et le social (aide à domicile, aides aux personnes) et que les conseils généraux ont un rôle de chef de file de l’action sociale, qui devrait être renforcé dans le projet de loi de décentralisation. En outre, « cette segmentation ne marche pas puisque le médico-social se trouve alors soumis à la logique sanitaire – on le voit avec l’ANAP, ajoute André Ducournau. Si l’on veut articuler les deux champs, il faut redonner une identité forte au “social et médico-social” pour qu’il puisse peser face au puissant champ médical et hospitalier. »
Daniel Gacoin juge toutefois la proposition du GNDA « incomplète » puisqu’elle laisse de côté certains organismes dont le Conseil supérieur du travail social (CSTS) – « un oubli », selon André Ducournau. Quant à Pierre Savignat, il pointe deux limites. Le champ de la Haute Autorité sur le social et le médico-social serait limité aux établissements et services de la loi 2002-2, regrette-t-il, alors que celle-ci devrait s’attacher à toutes les politiques sociales et médico-sociales. « On pourrait alors imaginer de transformer le CSTS en Haut Conseil de l’action sociale », suggère-t-il. L’universitaire estime ensuite nécessaire de conserver un pôle d’évaluation autonome pour les établissements, mais aussi pour les besoins sociaux et les politiques mises en œuvre : soit une agence d’évaluation élargie, qui pourrait associer les départements et les communes. Enfin, il n’est pas favorable à la création d’une instance de coordination pour articuler le sanitaire et le social, jugeant préférable de conserver de la souplesse dans les coopérations.
Faut-il voir dans le scénario du GNDA « une réaction de défense du secteur social et médico-social par rapport à la loi HPST » ? C’est le sentiment de Jean-François Bauduret. Pour lui, si cette loi a eu un effet pervers en provoquant une rupture entre le social et le médico-social, l’unité de ce champ est préservée grâce à la formation dispensée aux professionnels par les établissements de formation en travail social. Il estime, en tout cas, que ce serait un recul de couper à nouveau le médico-social du sanitaire. Et plaide à ce titre pour le maintien en l’état de l’ANAP, « la seule agence à intervenir sur le social et le sanitaire ». Ajoutant qu’« une équipe hypermotivée est en train de se constituer et que cet organisme acquiert une culture du médico-social ». Enfin, il juge dangereux de confier à une même haute autorité la réflexion sur les bonnes pratiques professionnelles et celle sur l’efficience de l’action, car « les logiques peuvent être antagonistes ».
(4)
(5) Voir sa contribution sur