C’est un paradoxe souligné par Nicole Maestracci, présidente du comité d’organisation de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive (1) : dans ce domaine, ces dernières années, « de nombreuses lois ont été votées, souvent en écho à l’émotion provoquée par un fait divers particulièrement grave ». Et pourtant « notre système pénal est ressenti comme trop lent, trop complexe, voire illisible », et incapable d’anticiper les récidives (2). Après cinq mois de discussions et plus de 140 auditions, le jury de la conférence a, le 20 février, remis au Premier ministre et à la garde des Sceaux ses conclusions pour remédier à cette situation. En tout état de cause, souligne sa présidente, la magistrate belge Françoise Tulkens, « l’ensemble de ces propositions implique une nouvelle culture et un aggiornamento des mentalités » et ne pourra se développer que si sa mise en œuvre « s’inscrit dans la durée et dispose des moyens adéquats ». Au nombre de 12, ces recommandations, qui satisfont globalement le secteur (voir ce numéro, page 19), devraient nourrir le futur projet de loi pénale que le gouvernement entend présenter au Parlement en juin prochain.
Face à l’absence d’individualisation des peines, aux lacunes de la prise en charge des personnes condamnées et à l’« augmentation constante des peines privatives de liberté prononcées, à la fois dans leur nombre et leur durée », le jury de la conférence de consensus s’est interrogé sur l’efficacité de la peine de prison. Pour lui, « elle ne doit plus être la référence unique de l’échelle des peines parce qu’il est apparu qu’elle ne garantit, en l’état, que peu ou pas le non– renouvellement d’actes délinquants et qu’elle n’offre à la société qu’une sécurité provisoire ». Une réflexion qui va dans le sens du rapport « Raimbourg » rendu public en janvier dernier (3). En pratique, la peine de prison ne doit être prononcée que si elle est « indispensable à la sécurité de la société », résument les membres du jury.
De manière générale, précisent-ils, « la sanction doit prioritairement se traduire par une peine qui vise l’insertion ou la réinsertion des personnes qui ont commis une infraction ». Il convient donc de laisser aux magistrats le « soin d’apprécier à leur juste mesure les faits délictueux », leur décision ne devant pas être contrainte de quelque manière que ce soit, par exemple, par une peine plancher (4) « qui ne tient a priori nul compte du parcours global de l’individu concerné, de la nature des infractions et de la nécessaire individualisation de la peine ». Aussi le jury préconise-t-il de supprimer les peines plancher, qui, selon Jean-Paul Jean, avocat général à la Cour de cassation, ont en outre « fortement » contribué à la surpopulation carcérale (66 572 détenus pour 56 992 places au 1er janvier 2013).
Les membres du jury proposent de créer une nouvelle peine « indépendante de la prison » – dite « peine de probation » (5) –, une idée qui semble faire l’unanimité parmi les acteurs du monde judiciaire et à laquelle la ministre de la Justice s’est montrée sensible. Véritable alternative à l’incarcération, la peine de probation fusionnerait les différentes peines et mesures non privatives de liberté – actuellement peu utilisées par les juridictions – et consisterait en une série d’activités contraignantes et d’interventions qui impliquent suivi, conseil et assistance en vue de réintégrer socialement le condamné. Pour le jury, la peine de probation paraît non seulement être une clé pour prévenir la récidive mais aussi « la seule voie pour faire diminuer les courtes peines d’emprisonnement » qui s’achèvent souvent par des « sorties sèches » et pour lesquelles le problème de la récidive est largement posé (6). En effet, rapporte Nicole Maestracci dans un entretien accordé le 14 février au site d’information Rue89, pour les personnels pénitentiaires et les magistrats, « ce temps est trop court pour permettre un travail d’insertion et une préparation correcte de la sortie ». « Mieux vaut, selon la magistrate, dans la mesure du possible, des peines alternatives, d’autres types de sanction. » Mais la peine de probation ne sera efficace qu’« à condition qu’elle soit mise en place dans les conditions et avec les moyens propres à lui assurer la crédibilité nécessaire », prévient le jury. Il suggère pour cela de réfléchir à une direction autonome de la probation (7).
Selon lui, il appartiendrait à la juridiction de jugement de décider de prononcer cette peine, d’en déterminer la durée et le contenu. Le cas échéant, le juge de l’application des peines (JAP) pourrait être chargé de cette dernière tâche. Cette nouvelle peine impliquerait la définition d’objectifs et d’un plan d’exécution à suivre par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), le plan pouvant être modifié en cours de route. Au final, indique le jury, la peine de probation implique différents modes de réparation (médiation, travail d’intérêt général, rencontre auteur-victime), des mesures permettant de modifier le comportement à l’origine du délit (injonction thérapeutique, stage de citoyenneté…) et de travailler sur les facteurs de la réinsertion (accès au logement, recherche d’emploi…), ces différentes mesures pouvant être combinées. Quant au non-respect des règles prescrites dans le plan d’exécution, il n’entraînerait « pas automatiquement une “sanction-couperet” mais pourra[it] appeler un effort pour mieux accompagner le condamné », indiquent les membres du jury. L’inobservation « persistante » des règles de la probation constatée par le JAP pourrait en revanche constituer un délit susceptible d’être déféré au tribunal.
Parce que la compréhension et l’acceptation de cette nouvelle peine de probation ne seront « sans doute pas acquises d’emblée », le jury recommande d’organiser des échanges à tous les niveaux (administration centrale, conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, représentants des collectivités locales, victimes…).
Pour le jury, « la préparation à la sortie de prison doit commencer dès l’entrée dans le processus carcéral » et, dans ce cadre, il existe un « large consensus sur l’efficacité de la libération conditionnelle » : le risque de récidive est, dans ce cas, 1,6 fois moindre qu’en cas de sortie sèche. Pourtant, relève-t-il, seuls 9,2 % des sortants de prison ont bénéficié de cette mesure en 2011 (8). Les autres aménagements de peine (semi-liberté, placement à l’extérieur…) sont aussi « sous-exploités », note le rapport du jury (9) : en 2011, seuls 17,6 % des condamnés en ont profité. Il y a donc « urgence à repenser les modalités d’exécution de la peine pour éviter le plus possible les sorties sèches et remettre la libération conditionnelle au cœur des aménagements de peine ». Une direction que Christiane Taubira a d’ores et déjà prise (10).
S’agissant de la libération conditionnelle, elle doit « devenir le mode normal de libération des détenus pour assurer leur réinsertion », estime le jury, qui préconise donc d’« adopter un modèle de libération conditionnelle d’office ». Le JAP resterait ici libre d’accorder la mesure avant le seuil d’octroi, d’en déterminer les modalités d’application et de la refuser dans certains cas précis. Dans la mesure où ce dispositif peut susciter débat pour les longues peines, le jury recommande plutôt, pour celles-ci, d’abroger les mesures contraires au principe d’individualisation de la peine, telles que celles qui permettent le prononcé automatique de périodes de sûreté.
Afin de garantir l’effectivité et l’efficacité de la politique de prévention de la récidive, le jury estime nécessaire de clarifier les relations entre le JAP et le SPIP, et entre ce dernier et les associations actives dans le domaine sociojudiciaire. Pour lui, le SPIP doit être « chargé du suivi des justiciables du début – évaluation présentencielle – à la fin, et de la coordination de la prise en charge après la condamnation », en milieu ouvert ou fermé, avec l’ensemble des acteurs.
Les méthodes d’évaluation des mis en cause doivent aussi être révisées. En pratique, une enquête sociale rapide doit être requise pour chaque personne présentée devant le tribunal correctionnel et pour laquelle la détention est envisagée. Si, en principe, ces enquêtes visent à réduire le nombre et la durée des placements en détention, « sur le terrain, ces objectifs sont loin d’être atteints », note le rapport. En cause, leurs conditions de réalisation (moyens d’investigation précaires et délais très courts), ce qui les rend « peu crédibles et efficaces ». Il faut donc améliorer les enquêtes sociales avant la comparution – jusqu’à présent effectuées sur un mode déclaratif –, en renforçant et en professionnalisant les services chargés d’évaluer les facultés de réinsertion. Quant aux enquêtes médico-psychologiques et psychiatriques présentencielles, elles doivent « rester centrées sur la responsabilité pénale du condamné et sur l’évaluation des processus psychopathologiques en jeu dans le fonctionnement et l’accessibilité aux soins », souligne le jury. Celui-ci recommande par ailleurs, après le prononcé de la peine, le recours systématique à un rapport d’évaluation lors de l’audience des condamnés devant le JAP, une évaluation qui pourrait être confiée au SPIP. Selon lui, cette mesure permettrait de « réduire le plus possible le recours à l’incarcération et [de] favoriser le prononcé d’un aménagement de peine ».
Pour les membres du jury, une « problématique urgente émerge » : trouver une solution pour la prise en charge des jeunes majeurs, qui, jusqu’en 2011, étaient suivis par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) (11). En effet, conformément à son projet stratégique national 2008-2011 (12), cette dernière s’est recentrée sur son activité au pénal, transférant ainsi la charge de ces jeunes majeurs sur les collectivités territoriales. Mais, en pratique, certaines d’entre elles refusent d’assumer cette responsabilité en l’absence de compensation financière de l’Etat, ce qui entraîne des ruptures de prise en charge, explique le jury. Aussi celui-ci demande-t-il que le principe du suivi des jeunes majeurs par la PJJ soit désormais inscrit dans la loi. En outre, il préconise notamment d’appliquer aux jeunes majeurs des mesures éducatives, telles que le placement ou l’activité de jour, actuellement réservées aux mineurs pris en charge au pénal, afin d’éviter les ruptures de suivi.
Les personnes détenues sont « fréquemment exclues de droit ou de fait » des dispositifs sociaux de droit commun alors qu’aucune insertion durable n’est possible sans le soutien de ces dispositifs pour une population fragile, indique le jury. Il considère notamment qu’il est nécessaire d’affirmer le rôle d’« acteur central » des collectivités territoriales dans la prévention de la récidive. A ce titre, les personnes détenues devraient, selon lui, être prises en compte par le conseil départemental de l’accès aux droits ou encore par le conseil départemental pour le logement des plus favorisés. Afin de garantir l’effectivité de l’accès et de l’exercice des droits sociaux dès la sortie de prison, le jury insiste sur la présence des assistants de service social en détention et la tenue de permanences régulières des services publics.
Il estime en outre que le dispositif des correspondants ville-prison doit être développé. Chargés de faire l’interface entre les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et les collectivités territoriales, ces correspondants pourraient offrir un accompagnement social, éducatif, professionnel et sanitaire aux sortants de prison et aux personnes bénéficiant d’un aménagement de peine. Afin d’instaurer des relations régulières entre SPIP et collectivités, ces correspondants pourraient aussi siéger dans les conseils départementaux de prévention de la délinquance.
(1) Sur l’installation et l’organisation de la conférence de consensus, voir ASH n° 2775 du 21-09-12, p. 13 et n° 2788 du 21-12-12, p. 10.
(2) Selon une étude de 2011, rapporte le comité, après un an de liberté, le taux de recondamnation était de 32 % et, après cinq ans, de 58,6 %.
(4) Les peines plancher ont été instaurées par la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs – Voir notamment ASH n° 2512 du 15-06-07, p. 5 et n° 2522 du 14-09-07, p. 11.
(5) Cette peine existe actuellement dans plusieurs pays, comme le Canada, et est prônée par le Conseil de l’Europe.
(6) En 2011, 60 % des personnes avaient été écrouées pour une durée de moins de six mois et 80 % pour une durée de moins de un an.
(7) Plus précisément, il s’agirait de sortir la question de la probation de la direction de l’administration pénitentiaire qui ne peut assurer efficacement à la fois ses missions de réinsertion et de garde, a souligné Ludovic Fossey, magistrat et vice-président chargé de l’application des peines près le tribunal de grande instance de Créteil. Ce qui explique la concentration de ses moyens sur le milieu fermé. En créant une direction spécialisé, cela permettrait de consacrer des « moyens adéquats » à la probation et de « créer des partenariats appropriés ».
(8) D’après le rapport du jury, cette situation s’explique par le fait qu’elle demeure « considérée comme une faveur octroyée aux détenus les plus “méritants”, tant par le comportement adopté en détention que par la solidité du projet présenté au JAP ».
(9) Ce constat a également été établi par le contrôleur général des lieux de privation de liberté au sujet de la semi-liberté – Voir ASH n° 2780 du 26-10-12, p. 13.
(10) Afin de lutter contre la surpopulation carcérale et la récidive, la ministre de la Justice a en effet donné pour instruction aux parquets de développer les aménagements de peine – Voir ASH n° 2776 du 28-09-12, p. 46.