En 2012, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a reçu 4072 lettres de saisine (+ 7,5 %), dont la plupart émanaient des personnes concernées (77,6 %), 93 % d’entre elles étant dans un établissement pénitentiaire. C’est ce qui ressort de son rapport d’activité rendu public le 25 février (1). Les motifs de saisine restent inchangés : accès aux soins, activités (enseignement, formation, travail…), conditions matérielles (cantines, hébergement, hygiène…), etc. Entre janvier et novembre 2012, Jean-Marie Delarue a ouvert 674 dossiers d’enquête (contre 402 sur la même période en 2011), soit une estimation de 735 dossiers sur l’ensemble de l’année. Mais, au-delà, le contrôleur général s’est penché notamment sur les conditions de la rétention administrative et de la prise en charge des mineurs en centres éducatifs fermés (CEF) ainsi que sur la place des personnes âgées et des personnes handicapées en détention (sur son souhait d’intervenir dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, voir ce numéro, page 8).
La loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité a porté de 32 à 45 jours le délai maximum de rétention dans les centres de rétention administrative (2). « Au-delà du fait que l’internement administratif doit demeurer, par principe, aussi limité que possible, très concrètement, un délai d’environ 30 jours peut passer pour un congé et permet de maintenir un emploi ou un logement, ce qui n’est pas du tout le cas pour une durée supérieure qui aggrave les risques de rupture avec la vie sociale, sachant que plus de la moitié des étrangers placés en rétention ne sont pas éloignés mais libérés sur intervention du juge ou décision de l’administration et ont donc vocation à “reprendre” leur vie », relève le contrôleur général. Aussi préconise-t-il de ramener à 32 jours le délai maximal de rétention.
Dans l’attente des conclusions de la mission chargée d’évaluer les CEF (3), Jean-Marie Delarue s’est interrogé sur l’enfermement des mineurs. S’il ne remet en cause ni l’existence de ces structures ni leurs personnels, il critique néanmoins leur organisation institutionnelle. Des dysfonctionnements qu’il a déjà dénoncés en 2010 (4). En effet, explique-t-il, un enfant qui passe par le foyer éducatif, un juge des enfants, en centre éducatif renforcé puis en CEF est « confronté à des personnes différentes, à des pédagogies distinctes, éventuellement à des appréciations changeantes sur sa personnalité et son comportement ». Un parcours qui ne reflète « pas nécessairement de cohérence, ni de bilans durables de son évolution ». En outre, note le rapport, « d’une structure à l’autre, on ne sait rien de ce qui s’est passé avant, pendant et après, ce qui accroît d’autant le décalage qui peut exister entre les différents moments de la prise en charge ». Ces différentes prises en charge sont d’autant plus « découpées et séparées qu’en matière d’enfermement des enfants, les durées sont courtes ». Dans ce contexte, s’inquiète Jean-Marie Delarue, « comment remédier à l’instabilité par l’instabilité ? » Pour lui, il n’est « évidemment » pas question de rallonger les temps de détention. Par contre, « ces brèves durées doivent être impérativement très coordonnées entre elles ». Au final, admet-il, le développement des CEF n’est « pas un mauvais choix même si, en amont, d’autres formules doivent exister ». Par exemple, le contrôleur général estime que « l’étroite association des parents au devenir de leur enfant en CEF est une clé de la réussite du séjour ». Par ailleurs, il suggère de « restaurer les liens, [de] développer les réseaux – notamment avec les professionnels de santé –, [d’]assurer la continuité d’une formule à l’autre et, au sein d’une même formule, [d’]encourager l’esprit collectif entre professionnels dont beaucoup trop se sentent esseulés et ne devraient pas l’être ».
Plus généralement, le contrôleur général estime que « les degrés de réponse à la délinquance doivent être multipliés sous des formes variables avant l’enfermement ». Et « c’est dans cette direction que nous devons innover plutôt que dans l’abaissement de la majorité pénale déjà suffisamment basse ou dans l’accroissement des places d’enfermement ».
Les détenus âgés (5) ou atteints de pathologies invalidantes sont des populations exclues « du fait même de l’architecture des prisons et de l’organisation de la vie quotidienne en détention », relève le contrôleur général. Faut-il alors créer des établissements spécifiques regroupant ces personnes ? Si l’idée peut paraître intéressante du strict point de vue de la prise en charge sanitaire, elle aurait de lourdes conséquences, admet-il (nombre de structures limité, affectation des liens familiaux…). Aussi Jean-Marie Delarue estime-t-il nécessaire de repenser l’architecture des lieux et l’organisation de la vie en détention pour mieux intégrer les personnes âgées et les personnes handicapées. Il préconise aussi que, à court terme, tous les établissements pénitentiaires puissent offrir une capacité d’accueil des personnes à mobilité réduite dans des cellules adaptées de l’ordre de 1 à 1,5 % des places disponibles. L’accès aux activités doit aussi être facilité et d’autres, propres à ces populations, mises en place.
Par ailleurs, le rapport suggère de généraliser la signature de conventions entre les établissements pénitentiaires, les conseils généraux, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et les organismes intervenant au titre de l’aide domicile afin de faciliter leur intervention, notamment pour évaluer le degré de dépendance de ces personnes et ainsi faciliter l’octroi de l’allocation personnalisée d’autonomie. Pour favoriser les démarches de reconnaissance du handicap et d’attribution de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), le contrôleur général propose qu’une convention tripartite soit conclue entre les caisses des allocations familiales, les maisons départementales des personnes handicapées et les SPIP. En outre, à l’heure actuelle et sauf exceptions, à partir du premier jour du mois suivant une période de 60 jours révolus passés dans un établissement pénitentiaire, les détenus handicapés ne perçoivent que 30 % du montant de l’AAH (6). Jean-Marie Delarue demande que l’allocation soit accordée au taux plein pendant un an, après une étude des frais fixes des intéressés (loyers, impôts…) effectuée selon des modalités particulières.
(1) Le dossier de presse est disponible sur
(3) En septembre dernier, la garde des Sceaux a en effet lancé une mission d’évaluation des CEF avant d’envisager la création de structures supplémentaires – Voir ASH n° 2776 du 28-09-12, p. 11.
(5) Au 1er janvier 2012, 2565 personnes âgées de plus de 60 ans étaient écrouées, ce qui représente 3,9 % de la population pénale.