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Un chez-soi parmi les autres

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Le Village de Sésame est l’une des premières structures spécifiquement dédiées à un public autiste adulte vieillissant. Situé dans la périphérie lyonnaise au cœur de la ville de Messimy, il accueille une quarantaine de résidents âgés de 47 à 70 ans.

Quatre petites maisons de plain-pied réparties autour d’une rue principale, un bâtiment administratif et un autre dédié aux services techniques, une petite placette sur laquelle se dresse un kiosque. Sous la neige de cette matinée d’hiver ensoleillée, le Village de Sésame (1) a vraiment l’allure d’une mini-bourgade au sein de la commune de Messimy, dans la banlieue lyonnaise. Dans la « grand-rue » déneigée déambulent quelques habitants de cette structure pour adultes autistes vieillissants, l’une des premières en France. Implantée sur une parcelle de quelque 8 000 m2 située au cœur de la commune, la structure se trouve à proximité des services et des commerces. Le Village de Sésame a ouvert en juillet 2010. Il accueille 32 résidents permanents et une dizaine d’autres temporaires, âgés de 47 à près de 70 ans. L’âge n’est cependant pas le seul critère déterminant pour y entrer. L’état physique de la personne, et notamment sa fatigabilité, est pris en compte : les neuroleptiques – souvent prescrits – accélèrent en effet le vieillissement des personnes autistes. Tous les résidents sont atteints de troubles envahissants du développement (TED) associés à une déficience intellectuelle.

UNE INITIATIVE PARENTALE

Le Village de Sésame, création de l’association Sésame Autisme Rhône-Alpes, est né à l’initiative de parents. « Le vieillissement de nos enfants nous causait beaucoup de soucis », se souvient Marisette Maillard, 76 ans, la mère de Xavier Maillard, un résident âgé de 47 ans. Très active dans l’association, elle poursuit : « Nous savions qu’ils n’allaient pas pouvoir aller dans une maison de retraite classique. Il était indispensable d’anticiper la suite, pour ne pas laisser cette lourde tâche qu’est leur prise en charge à nos autres enfants. » Xavier Maillard vivait depuis 1987 dans une autre structure de l’association Sésame, le foyer de Bellecombe. Les résidents de cet établissement participent chaque matin à des ateliers (cuisine, blanchisserie, jardinage, ferme) qui permettent une quasi-autosuffisance de la structure. Mais après une vingtaine d’années, ce travail d’atelier à Bellecombe a commencé à lui peser. « Le rythme de vie était devenu trop intensif pour lui. Résultat, ses troubles du compor tement augmentaient : il lacérait davantage sa peau et son linge. » Le temps était venu pour Xavier Maillard d’intégrer un autre lieu.

A partir de 2003, Sésame Autisme Rhône-Alpes a commencé à élaborer son nouveau projet, contactant différentes communes de la périphérie lyonnaise, dont Messimy, à la recherche d’un terrain abordable pour édifier une telle structure. Une fois celui-ci trouvé, il a fallu obtenir les financements et les autorisations nécessaires à l’ouverture de cet établissement pilote. En effet, il n’existait pas alors de lieu accueillant spécifiquement des adultes autistes âgés de plus de 60 ans. Ce n’est qu’au cours des dernières décennies que l’espérance de vie des personnes autistes, longtemps assez faible, a commencé à se rapprocher lentement de celle de la population générale. Par ailleurs, institutionnellement, les personnes handicapées ne relevaient plus à partir de 60 ans des dispositifs de prise en charge du handicap, mais de ceux qui sont liés à la vieillesse. Pour créer un espace parfaitement adapté à ce public spécifique, les familles membres de l’association ont travaillé étroitement avec un cabinet d’architectes. « Nous voulions que ces petites maisons aient un caractère le plus familial possible », souligne Marisette Maillard. Sans étage, elles conviennent très bien à un public dont le vieillissement risque au fil du temps d’altérer les capacités motrices. Elles sont, en outre, très rassurantes. « S’orienter dans le Village de Sésame est simple, il n’a pas le côté labyrinthique des différents étages du foyer de Bellecombe », précise Aurore Chauvin, la psychomotricienne.

Foyer d’accueil médicalisé, le Village est une structure mixte, l’assurance maladie finançant les dépenses liées aux soins et le conseil général celles qui sont relatives à l’hébergement et à l’animation. Tout a été pensé pour le bien-être des résidents. Quatre maisons accueillent chacune huit résidents permanents, deux d’entre elles recevant aussi deux pensionnaires temporaires. Une dame autiste de 70 ans est ainsi hébergée pour une durée de trois mois. Un laps de temps durant lequel devraient être établis un diagnostic précis de sa pathologie et un projet d’accompagnement adéquat. Deux autres résidents temporaires passent, eux, deux jours par semaine au Village et vivent le reste du temps en famille. Une cinquième maison est dédiée à l’accueil des familles, aux activités partagées et aux services administratifs. Une décoratrice a été chargée de l’aménagement des maisons de vie, chacune selon un thème (classique, contemporain…).

DES ESPACES PERSONNALISÉS

Au total, la structure emploie, répartis dans les quatre maisons, huit aides médico-psychologiques (AMP), huit aides-soignants (équivalents temps plein), quatre animatrices de journée (titulaires d’un brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport), quatre coordinatrices – dont trois conseillères en économie sociale et familiale (CESF) et une animatrice DEFA – et quatre maîtresses de maison. Le mot d’ordre est l’individualisation. Les résidents et leurs familles sont entre autres invités à personnaliser leurs espaces personnels avec des objets, voire des meubles. « Certains d’entre eux ont vécu toute leur vie dans des structures collectives. Il est important qu’ils puissent bénéficier d’un espace réellement à eux », insiste Alexandre Thon, le directeur. Il s’agit aussi de respecter le rythme de vie de chacun. Ainsi, aucune heure de lever n’est établie. « On module la prise en charge en fonction de la personne. » Le temps des repas a été particulièrement pensé. Certains résidents ont besoin d’être seuls pour manger, et prennent donc leurs repas dans leur chambre, accompagnés d’un aide-soignant ou d’un AMP. D’autres préfèrent être dans la grande salle mais sont perturbés par le voisinage de la tablée : ils sont installés sur des petites tables isolées entre deux paravents, souvent face au mur. « Cela permet d’être avec les autres mais d’éviter des stimuli visuels trop perturbateurs », précise Marlène Pavoux, CESF, coordinatrice de l’une des maisons. L’un des résidents se levait très souvent pendant les repas, car il avait besoin de voir tout ce qui se passait. « Sa place a été discutée en réunion clinique. Il est désormais à un endroit qui répond à son besoin de vérification, et n’a donc plus besoin de se lever », détaille Marlène Pavoux.

Même souci d’individualisation pour les loisirs, organisés en fonction des envies et des capacités des personnes. « Notre ergothérapeute réalise un bilan fonctionnel avec chaque résident à son arrivée », précise le directeur. Deux animatrices de journée proposent des activités pour l’ensemble de l’établissement : l’une, spécialisée en sport adapté, accompagne notamment des résidents au centre équestre ou à la piscine, et l’autre intervient dans le domaine du jardinage. De leur côté, les animatrices de maison organisent toutes sortes d’ateliers (cuisine, écriture, couture, peinture…), eux aussi individualisés. Marina Meynial, l’animatrice sportive, va en outre tester avec quelques résidents certains jeux à Handiludes, une ludothèque lyonnaise spécialement dédiée aux publics handicapés. L’objectif étant d’équiper le Village.

Si les familles peuvent pénétrer dans la chambre de leur proche, elles sont toutefois invitées à limiter leurs incursions dans les maisons pour ne pas déranger les autres résidents. « Nous n’allons dans la chambre de Xavier que rarement, pour y déposer des affaires », confirme Marisette Maillard. Un petit salon est à la disposition des résidents et de leurs familles au rez-de-chaussée. Il est vrai que, pour des parents vieillissants qui ont pu peiner pendant des années afin de trouver un lieu et un accompagnement adaptés à leurs enfants, il est parfois difficile de lâcher prise. « Il faut les accompagner au maximum et leur laisser une place tout en permettant à nos équipes de travailler sereinement », souligne Isabelle Makridès, chef de service. Et lorsque les demandes parentales deviennent trop complexes à gérer pour les équipes des maisons, la chef de service ou la psychologue institutionnelle peuvent prendre le relais de façon à réintroduire une certaine distance entre la famille et les professionnels.

Bien que le Village de Sésame ait des allures de petite bourgade ordinaire, ses habitants exigent une vigilance particulière de la part des professionnels. Ce jour-là, soudain, une résidente interrompt sa promenade et se couche par terre. Il faut l’intervention de l’aide-soignante qui l’accompagne et de plusieurs autres professionnels pour qu’elle se calme et se relève enfin. Une AMP invite un autre résident à enfiler un manteau et des chaussures adaptées : il est sorti en sandales et vêtu d’un sweat léger alors que la température ne dépasse pas 2 °C. Pour des personnes atteintes de TED, choisir une tenue adaptée au climat est souvent loin d’être évident : elles peuvent porter plusieurs pulls et un manteau en été ou ne pas se couvrir par un froid glacial, sans manifester la moindre gêne. « Comme les problèmes somatiques sont impossibles à verbaliser pour les autistes, les professionnels ont longtemps cru qu’ils ne ressentaient ni le froid ni la douleur. Ou encore les manifestations de mal-être étaient perçues comme des crises liées aux TED », raconte Alexandre Thon. Non diagnostiqués, les problèmes de santé étaient ainsi rarement traités. « Nombre de nos résidents n’ont, par exemple, presque plus de dents. »

LE SUIVI DES PATHOLOGIES ASSOCIÉES

Etant donné la spécificité du public accueilli au Village, la prise en charge des pathologies liées au vieillissement, et plus largement de toutes les douleurs somatiques, occupe une place importante. Les professionnels de santé sont nombreux : un médecin généraliste présent une demi-journée par semaine ou à la demande, deux infirmières à temps plein, ainsi qu’une cadre de santé et une psychomotricienne à mi-temps. Ce suivi médical important s’impose, car de nombreuses pathologies associées à l’autisme sont aggravées par le vieillissement. « Beaucoup de résidents souffrent de fortes douleurs rhumatismales, dues notamment à des postures inadaptées (bras tordus…) », note Delphine Cappaï, l’une des deux infirmières. Des grilles d’observation ont été élaborées par la cadre de santé et les infirmières à l’usage du personnel de chaque maison. Au plus près des résidents, tous ces professionnels sont invités à observer divers paramètres physiologiques et à noter tout comportement inhabituel : « Les traitements neuroleptiques perturbent le transit intestinal. Le fait de noter si les résidents vont ou non à la selle permet d’éviter des colopathies qui peuvent aller jusqu’à l’occlusion intestinale », illustre Véronique Norain, la cadre de santé.

En cas de crise ou de perturbations du comportement, des antalgiques sont systématiquement administrés. « Un autiste n’identifie pas forcément la partie du corps qui lui fait mal et il a l’impression que la douleur va durer toujours. Cela génère une angoisse très importante », explique Nelly Dumoulin, la psychologue de la structure. Une fois le symptôme soulagé, reste à trouver la cause du mal. De nombreuses investigations sont nécessaires car les résidents ne peuvent pas toujours nommer la partie du corps qui leur fait mal. « On se rend compte qu’on fait du systématique », reconnaît Delphine Cappaï. De fait, 371 consultations médicales ont eu lieu en 2011, chacune ayant requis un travail de préparation des résidents mais aussi des praticiens indispensable. Il faut informer les soignants extérieurs des particularités de ces patients pour qu’ils puissent agir en conséquence. « Nous travaillons avec un laboratoire situé dans une commune voisine. Comme ils nous connaissent désormais, nos résidents n’ont pas à attendre. Cela limite le stress qui pourrait entraîner une crise », poursuit l’infirmière. Une attention est aussi portée à la santé bucco-dentaire des résidents, longtemps négligée. Les personnels des maisons ont été formés pour mieux accompagner le brossage de dents des résidents, ce qui a induit une très nette baisse du nombre des caries. Le service spécialisé de l’hôpital psychiatrique Vinatier, réputé dans la prise en charge des patients autistes, intervient également au Village de Sésame.

NI ÉDUCATEURS SPÉCIALISÉS NI MONITEURS-ÉDUCATEURS

Chaque mois une réunion clinique permet de faire un point complet sur la prise en charge des résidents. Animée par la psychologue, elle rassemble les professionnels concernés. On y aborde, bien sûr, les questions de santé mais aussi les modalités d’accompagnement individuelles. Car, au Village de Sésame, on essaie avant tout de tenir compte des particularités de chacun tout en facilitant la vie en commun. « Il s’agit surtout de favoriser l’adaptation fonctionnelle, au sens de la loi de 2005 et des bonnes pratiques de l’ANESM [2], explique Alexandre Thon. C’est pour cette raison que nous avons fait le choix de n’employer ici ni éducateurs spécialisés ni moniteurs-éducateurs – davantage axés sur l’éducatif – contrairement, par exemple, au foyer de Bellecombe. » Deux ans et demi après leur arrivée, les résidents du Village de Sésame semblent avoir trouvé leur marque dans ce nouveau lieu de vie et, s’il continue parfois à déchirer son linge, Xavier Maillard est bien plus calme. Sa famille peut envisager l’avenir plus sereinement. « Quand il a eu de graves ennuis de santé il y a quelques mois, mon mari m’a répété fréquemment : “Heureu sement que maintenant Xavier est à Messimy !” »

CADRE Un Village dans le village

La commune de Messimy ne s’est pas contentée de proposer à Sésame Autisme un terrain à prix intéressant, elle a aussi fait le choix de pleinement intégrer la structure en son sein. Plusieurs réunions d’information ont permis de présenter le projet aux habitants. « Quand, en 2003, nous avons été contactés par Sésame Autisme, on parlait très peu de l’autisme. Il nous a donc paru important de sensibiliser les habitants à cette pathologie pour lever des inquiétudes éventuelles », raconte la maire, Catherine Di Folco. Le Village Sésame a aussi été inauguré en présence des habitants. Au quotidien, les résidents sont associés à de nombreuses activités locales. Les auditions de l’école de musique de la commune ont eu lieu sous son kiosque. « De nombreux résidents viennent écouter les enfants jouer, se félicite l’élue. Avec leurs particularités, ce sont des Messimois à part entière. » Le marché est un objectif fréquent de promenade. « Lors de la foire de la commune, un stand du Village était installé devant la clôture. Il proposait notamment des confitures réalisées par les résidents. » Des liens unissent aussi la structure au club local du troisième âge. Les aînés ont ainsi été invités à un goûter dans le « café » du Village, et des résidents participent parfois, individuellement ou par très petits groupes, à des activités de l’association telles que des randonnées.

Notes

(1) Village de Sésame : 11, chemin La Font – 69510 Messimy – Tél. 04 37 22 14 20 – villagedesesame@orange.fr.

(2) Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux.

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