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Allocations familiales : cibler ou taxer ? »

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Julien Damon. Professeur associé à Sciences-Po. Ancien chef du service Questions sociales au Centre d’analyse stratégique.

Le serpent de mer de la révision, pour cause d’économies, des allocations familiales refait surface. Mais, à ce jour, rien n’est encore décidé. Expertises, tribunes (dont celle-ci) et controverses s’accumulent. Tentons un peu de clarté, pour un sujet qui représente environ 13 milliards d’euros.

Les allocations familiales – cette prestation servie à toutes les familles à partir de deux enfants – sont universelles (pas de conditions de revenu), forfaitaires (un même montant pour tous) et progressives en fonction du nombre d’enfants (rien pour un enfant, 130 € pour deux, 290 € pour trois). Déjà, en 1998, elles avaient été placées dix mois sous conditions de ressources. La mesure avait alors suscité de nombreuses controverses avant que le gouvernement ne revienne sur sa décision, tout en réduisant les avantages du mécanisme fiscal de quotient familial.

Ce recentrage sur les familles les plus modestes pose le problème de la définition des seuils à partir desquels les ménages peuvent être dits « dans la modestie ». Les plafonds des conditions de ressources pour d’autres prestations que les allocations familiales sont aujourd’hui variés. La très grande majorité des familles peuvent bénéficier de la prime de naissance contenue dans la prestation d’accueil du jeune enfant. En revanche, les plafonds de ressources de minima sociaux comme le RSA « socle » en limitent l’attribution à une partie restreinte, mais très défavorisée, de la population. D’un côté, le ciblage peut concerner 90 % de la population ; de l’autre, 10 %. Dit de manière inversée : d’un côté, 10 % des personnes sont exclues du dispositif ; de l’autre, plus de 90 %…

L’option du ciblage présente trois effets pervers possibles. Effet de seuil : des personnes en situation similaire ne peuvent bénéficier de la même pres tation car les ressources dont elles disposent sont, pour certaines, juste au-? dessus du seuil et, pour les autres, juste en dessous. Le ciblage est ici couperet. Effet de marquage : en désignant des cibles, la mise sous conditions de ressources produit une caractérisation négative de celles-ci. Ainsi marquées, des populations sont renvoyées à leurs particularités. Effet de délitement : en limitant l’accès de certaines prestations à des catégories particulières, le ciblage peut produire une fracture entre les bénéficiaires des prestations et ceux qui les financent. La systématisation du ciblage pourrait ainsi aboutir à l’effondrement d’une protection sociale qui serait seulement restreinte à une population marginale.

A défaut, ou en complément, de leur plafonnement, on peut rendre les allocations familiales imposables. C’est l’option que le premier président de la Cour des comptes a évoquée très récemment. Une telle proposition aurait l’avantage de ne pas remettre en question l’universalité de la prestation, tout en rapportant 800 millions d’euros à l’Etat. Mais politiquement, elle est dérangeante car elle peut affecter une part très importante de la population.

On peut aussi, plutôt qu’une mise sous conditions de ressources ou une taxation, établir une modulation des allocations familiales. Toutes les familles toucheraient alors quelque chose, les plus défavorisées un peu plus. Les Anglais – qui viennent, eux, de mettre leurs allocations familiales sous un sévère plafond de ressources – baptisaient cette orientation « l’universalisme ciblé ». Mais deux problèmes surviennent. Celui, classique, des seuils de modulation. Et celui, plus embarrassant, de la prise en compte des ressources dans les cas de résidence alternée des enfants. En effet, depuis quelques années, il est possible de partager les allocations familiales entre les deux foyers d’alternance. En cas de modulation, quelles ressources prendre en compte ? Rien n’est simple…

Pour finir, toujours dans la complexité typique de la politique familiale, il faut souligner que bien d’autres économies sont possibles. Sur un plan financièrement anecdotique, on pourrait supprimer des dispositifs comme les points informations familles, qui ne servent pas à grand-chose. Sur un plan financièrement astronomique, on pourrait drastiquement réviser les avantages familiaux liés à la retraite (bonification et majoration), qui représentent autour de 10 milliards d’euros et qui ne concernent pas les enfants. En un mot, plutôt que de se faire peur avec la taxation et le plafonnement, on pourrait espérer une véritable mise à plat de cette horlogerie sophistiquée que représentent les dépenses familiales. Et même envisager, par redéploiements, une réforme plus substantielle : forfaitiser le montant des allocations pour tous les enfants. Ce qui permettrait, entre autres, de créer une allocation familiale au premier enfant.

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