Pas moins de 14 000 établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux à but non lucratif pas sés au crible, un millier de responsables associatifs interrogés sur leurs projets d’avenir : l’enquête « Emploi 2012 », réalisée par Unifaf (1), l’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) de la bran che sanitaire, sociale et médico-sociale privée à but non lucratif (BASS), donne une nouvelle radiographie de ce secteur. Infirmant mais aussi prolongeant certaines tendances révélées en 2007 (2), elle met en évidence quatre traits majeurs.
Premier constat, l’apparent renfor cement de la branche. Fin 2012, 20 000 établissements employaient plus de 700 000 salariés (3), des chiffres en hausse de 30 % depuis 2007. La branche représente désormais 30 % des salariés de l’économie sociale et solidaire et plus de 3 % de l’ensemble des salariés au plan national. Son périmètre recouvre l’accueil des personnes handicapées, bastion historique où elle assure 90 % de l’activité, la protection de l’enfance et l’assistance aux adultes en difficulté (70 % des capacités d’accueil), les maisons de retraite (28 % des places) et le secteur hospitalier (11 % des lits). Pour autant, le long cycle de croissance qui a conduit au quasi doublement du secteur associatif en une décennie semble désormais achevé. En 2010, les premiers signes d’un ralentissement étaient pointés par plusieurs études. Fin 2012, si la BASS conservait toujours un solde de l’emploi positif, celui-ci n’était plus que de 0,6 %, loin des taux de 3 % par an auxquels elle était habituée.
De toutes les structures associatives, celles qui interviennent auprès des personnes âgées tirent le mieux leur épingle du jeu, avec un taux de croissance honorable de 1,7 %, suivies par les établissements et services pour personnes han dicapées (+ 1 %). Selon Unifaf, la perte d’autonomie et le développement de pathologies comme la maladie d’Alzheimer, mais également l’allongement de l’espérance de vie des personnes han dicapées, sont devenus les principaux moteurs de l’emploi en conduisant les établissements à développer leur offre et à étoffer leurs équipes. A l’opposé, les secteurs traditionnels – la protection de l’enfance et les établissements et services pour adultes en difficulté – ont enregistré en 2012, pour la première fois de leur histoire, une contraction de leurs effectifs (respectivement de 0,7 et 0,3 %).
Cet essoufflement a plusieurs origines, analyse l’OPCA. Dans les structures sanitaires, les injonctions à l’efficacité, reprises de réforme en réforme depuis des années, « concourent à une rationalisation continue de l’offre de soins et à la maîtrise des coûts », avec pour conséquence de geler la création d’emplois. Dans le champ social, cette évolution, bien que plus récente, commence à produire les mêmes effets. Les établissements pour adultes en difficulté (insertion, réadaptation sociale, hébergement d’urgence, accueil des demandeurs d’asile) sont plus que jamais confrontés à l’instabilité de leurs financements. Dans le champ de l’enfance protégée, « les restrictions budgétaires se doublent d’orientations visant à limiter l’accompagnement institutionnel des enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance ». La contraction de l’emploi, très perceptible au sein des structures, pourrait alors s’expliquer en partie par un fonctionnement de plus en plus tourné vers le milieu ordinaire.
Mais le moteur même de la croissance semble toujours intact. Interrogés sur leurs ambitions, les associations, toutes tailles et tous secteurs confondus, disent avoir un projet de création d’activité (27 %) ou d’établissement (11 %) dans les années à venir.
Avec la fin de sa période d’expansion tous azimuts, le secteur associatif est entré dans un cycle de transformation de ses organisations. Démarche « qualité », programmation des équipements conduite par appels à projets, inscription des établissements dans des stratégies territoriales globales ont rendu la gestion des petites organisations de plus en plus difficile. « Depuis cinq ans, on assiste à un mouvement de concentration inédit dans la branche », observe Unifaf. Entre 2007 et 2012, 17 % des associations de 250 salariés et plus déclarent avoir absorbé un ou plusieurs établissements gérés auparavant par une autre organisation. « Et ce mouvement s’accélère », ajoute l’OPCA. De fait, un tiers des associations estiment aujourd’hui ne pas avoir la taille suffisante pour assurer la pérennité de leur activité, 21 % déclarent avoir des projets de regroupement et un dirigeant associatif sur six se dit engagé dans un processus de coopération interétablissements ou interassociations (4).
L’arrêt sur image des grands équilibres à l’intérieur de la BASS est éloquent : sur les 8 000 employeurs adhérents, les trois quarts ne gèrent toujours qu’un seul établissement avec le plus souvent des petites équipes salariées, tandis que 500 grosses associations multi-établissements concentrent 60 % des salariés de la branche !
Avec cette tendance à la concentration, la dirigeance associative s’est affirmée. La plupart des associations multi-établissements se sont dotées d’un siège qui centralise les fonctions d’expertise et de gestion. « Ces directions centrales se sont généralement constituées autour d’un noyau dur regroupant direction générale, gestion administrative et financière, gestion des ressources humaines, auquel se greffent de nouvelles fonctions – achats, gestion du risque et qualité, informatique, communication –, à mesure que l’association renforce ses effectifs. » Plus les associations ont un nombre élevé de salariés, plus les sièges sont structurés. Le développement de ces directions centrales semble par ailleurs s’opérer au détriment des directions d’établissements et des cadres intermédiaires. Alors qu’on compte 30 % d’établissements en plus, le nombre de directeurs n’a augmenté que de 10 % depuis 2007. En revanche, celui des directeurs généraux a bondi de 75 % et celui des cadres fonctionnels (chargés de mission, chargés de communication, etc.) de près de 150 % !
Dans l’enquête « Emploi 2007 », près de 40 % des établissements associatifs disaient rencontrer des difficultés de recrutement graves susceptibles d’avoir des conséquences sur l’organisation. La préoccupation était d’autant plus vive que se profilait une vague d’importants départs à la retraite. En 2012, les établissements ne sont plus que 30 % à rencontrer encore des difficultés. C’est aujourd’hui sur les métiers du soin que se concentrent toutes les inquiétudes. Le manque d’attractivité des structures médico-sociales pour des professionnels à forte culture sanitaire continue de se payer au prix fort. Un établissement pour personnes âgées sur deux connaît de graves problèmes de recrutement d’aides-soignants, d’infirmiers et de personnels paramédicaux. La situation est même jugée « critique » dans l’ouest ou le sud-est où deux établissements sur trois font face à une pénurie de soignants.
En revanche, tous les indicateurs repassent au vert sur les métiers de l’éducatif. En 2007, 12 % des établissements peinaient à recruter des éducateurs spécialisés. Ils ne sont plus que 5 %. La part des éducateurs, des moniteurs-éducateurs et des aides médico-psychologiques à occuper leur fonction sans en avoir la qualification a elle aussi été réduite de moitié sous l’influence des programmes de formations développés par l’OPCA et les conseils régionaux.
Tous métiers confondus, l’objectif de former les personnels qu’avait mis en évidence l’enquête en 2007 a été en grande partie atteint. Tout au plus 11 000 salariés auraient besoin aujourd’hui d’acquérir une qualification pour l’emploi qu’ils occupent. La baisse des personnels dans cette situation est souvent spectaculaire dans des métiers traditionnellement peu qualifiés, tels que les maîtresses de maison, les surveillants de nuit, les agents de service hôtelier, « ce qui reflète bien les efforts de formation de la branche sur ces salariés depuis cinq ans ».
Autre évolution : la croissance modérée de l’activité s’est accompagnée d’une consolidation des emplois. Outre une forte proportion de contrats à durée indéterminée (87 % des contrats), « la qualité de l’emploi dans la branche se mesure à la diminution des contrats à temps partiel », note Unifaf. Continue depuis 2000, cette baisse se confirme sur la dernière période, avec un taux de temps partiel qui passe de 26 à 23 %, contre 34 % en 2000. Dans un milieu professionnel déjà fortement féminisé (75 % des salariés sont des femmes), cette évolution semble rejaillir sur les postes d’enca drement. En 2012, 38 % des directeurs généraux et 46 % des directeurs d’établissement sont des femmes, contre respectivement 28 % et 38 % en 2007.
Enfin, si les grands équilibres entre les trois filières professionnelles sont restés quasi identiques – 35 % dans l’éducatif et l’insertion, 33 % dans le soin et 32 % dans les fonctions support –, cette répartition commence à être ébranlée sous l’effet du vieillissement de la population. Les aides-soignants ont vu leurs effectifs progresser de 50 % entre 2007 et 2012. Avec près de 70 000 salariés, ils repré sentent le premier métier de la branche et devraient voir leur poids progresser dans les prochaines années, en même temps que les métiers de la rééducation et ceux qui sont liés à l’accompagnement du grand âge.
En 2007, la question du remplacement des premiers départs à la retraite de la génération du baby boom – et avec elle du vieillissement massif des professionnels – apparaissait dans toutes les observations. Cinq ans après, la tension s’est là encore relâchée. Si le taux de 55 ans et plus a augmenté de 4 points, pour atteindre 18 % des salariés, la pyramide des âges pour chaque profession laisse penser que le renouvellement générationnel est assuré. Non seulement les 30-44 ans représentent la classe la plus nombreuse, mais les moins de 30 ans semblent en mesure de prendre la relève des anciens. Ainsi, 14 % des éducateurs spécialisés, profession qu’on estimait très vieillissante, ont plus de 55 ans, mais 15 % ont moins de 30 ans.
En revanche, avec un âge médian de 45 ans, la perception des besoins liés au vieillissement des professionnels a changé. « Là où on s’inquiétait de ne pouvoir remplacer, on s’interroge aujourd’hui sur les dernières années de carrière des personnels en fonction », observe Unifaf. En effet, dans des métiers à fort investissement physique et psychique, l’avancée en âge repose la question de l’usure professionnelle. Déjà, « certains indicateurs conduisent à redoubler la vigilance dans l’accompagnement des salariés seniors », prévient l’OPCA. Alors que le taux d’accidents du travail tend à diminuer dans l’ensemble de l’économie française, il a augmenté sensiblement ces dernières années dans la santé et l’action sociale, jusqu’à culminer dans les établissements pour personnes âgées à des taux historiques de 11,5 % (contre 3,6 % pour la moyenne nationale). Autre signe : en cinq ans, le taux de licenciements pour inaptitude dans la fonction est passé de 4 à 6 pour 1 000 emplois en CDI, avec, là encore, un pic dans le secteur des personnes âgées (+ 60 %).
Et Unifaf de s’interroger : « Entre évolutions de carrière et développement de la fonction tutorale auprès de jeunes professionnels, quels parcours construire pour préserver les seniors dans les établissements de la branche ? » A l’heure où la fonction « ressources humaines » est en plein essor dans les associations, l’OPCA invite les employeurs à « s’emparer de cette thématique centrale pour le devenir du secteur ». Un sujet qui risque de devenir brûlant. Si la plupart des gros opérateurs disent avoir engagé une réflexion sur l’emploi des seniors, celle-ci n’est à l’ordre du jour que de 11 % des nombreuses petites associations de moins de 50 salariés, là où justement se concentrent les problèmes…
Première famille des métiers de la branche (plus de 207 000 professionnels), la filière éducative est un baromètre de l’évolution du secteur. En 2007, la part des éducateurs spécialisés, bien que majoritaire, tendait à diminuer au profit des moniteurs-éducateurs et des aides médico-psychologiques (AMP). La croissance des moniteurs-éducateurs depuis 2000 (+ 80 %) laissait penser que certains employeurs pouvaient les utiliser pour remplacer les éducateurs spécialisés. Quant aux AMP, ils apparaissaient en situation de concurrencer les moniteurs-éducateurs, voire les éducateurs spécialisés, dans certaines régions.
En 2012, aucun de ces scénarios ne se confirme, avec au contraire une relative stabilisation de l’emploi au sein des services. Certes, le nombre d’AMP a augmenté de près de 40 %, pour atteindre 44 200 salariés, « mais cette croissance tient surtout au développement de l’emploi dans le champ des adultes handicapés et de la personne âgée. Dans les équipes où l’AMP côtoie le moniteur-éducateur et l’éducateur spécialisé, sa place est stable », note Unifaf.
L’équilibre entre les moniteurs-éducateurs et les éducateurs spécialisés n’a pas non plus été rompu. Tout au plus, Unifaf remarque un poids supérieur des éducateurs spécialisés dans les instituts médico-éducatifs (+ 4 points en cinq ans) compensé par leur présence moindre dans les foyers de vie pour adultes handicapés au profit des moniteurs-éducateurs.
A l’inverse, les chefs de service éducatif semblent avoir le vent en poupe, avec des effectifs en hausse (+ 30 % en cinq ans), correspondant à la structuration plus grande des établissements et services. Enfin, Unifaf note « la percée » des conseillers en économie sociale et familiale – avec des effectifs encore assez modestes – « qui peut s’interpréter comme un signe supplémentaire du déplacement du champ d’intervention de la branche, de l’institution vers le milieu ordinaire ».
(1) En partenariat avec l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la branche. Disponible sur les sites internet
(2) Dans la précédente enquête « Emploi 2007 » – Voir ASH n° 2538 du 4-01-08, p. 27.
(3) L’enquête recense les emplois, et non le nombre d’ETP (équivalents temps plein), si bien qu’une même personne travaillant dans plusieurs établissements peut être comptée plusieurs fois.
(4) En particulier à travers un groupement de coopération sociale ou médico-sociale, un groupement de coopération sanitaire, un groupement d’intérêt économique.