L’un pratique la bande dessinée documentaire, dessine sur le vif, a surtout travaillé en noir et blanc. L’autre peint dans une démarche artistique mûrement réfléchie, et il faut s’attarder sur ses toiles éclatantes de couleurs pour en percevoir tous les niveaux de lecture. Hasard du calendrier, le mois de février a vu s’ouvrir à Paris deux expositions consacrées aux Tsiganes : « Dosta ! », du jeune reporter graphique Damien Roudeau, et « Mais où sont passés les Gitans ? », du peintre et plasticien Gabi Jimenez. Deux techniques artistiques, deux univers différents, mais une seule et même ambition : dénoncer les stéréotypes.
« Dosta ! (“assez !”), c’est le cri de dix familles, 36 Roms, exilées à Montreuil durant trois années », explique Damien Roudeau. Trois ans durant lesquels le jeune dessinateur a suivi ces familles dans leur parcours d’arrestations, d’expulsions, de réinstallations. Ce travail documentaire, journalistique, en profondeur, présenté par la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les gens du voyage (Fnasat), c’est le dessin qui l’a rendu possible : « subjectif et imparfait », moins intrusif que la photo, il apparaît surtout « susceptible de préserver une part du secret ». Au fil des planches se découvre par à-coups la vie de Bitsa, Rodica, Gabi, Pinica, Baba et leurs familles. Le linge qui sèche aux balcons des pavillons squattés ; les journées passées à attendre l’expulsion, le soutien d’une poignée de gadjé ; les journées de fête, aussi, quand Damien Roudeau accroche les planches dessinées les mois précédents, sous le regard amusé et excité des enfants. Ou encore cette scène croquée sur le vif : un foulard noué sur la tête, une femme balaie pour la énième fois le sol du gymnase dans lequel on a relégué sa famille. « Et les journalistes qui repassent tous les jours pour saloper ! fulmine-t-elle. Hé, les gadjé ! je vous propose un marché : une photo égale un coup de serpillière. »
L’actualité, les expulsions, Gabi Jimenez s’en inspire également. A la demande de la direction interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL), chargée d’anticiper et d’accompagner les évacuations de campements, ce peintre contemporain a opéré une sélection de toiles volontairement dérangeantes. Les tableaux, éclatants, rappellent Keith Haring ou Picasso, mais le propos est dur. Dans L’Apocalypse selon Berlusconi, un entrelacs de barbelés, visages sévères, regards accusateurs et ombres menaçantes enserre une minuscule caravane, colorée, inoffensive, semblable à un jouet d’enfant. Dans la série des Camps, l’entassement des corps, des visages aux yeux énormes mais dépourvus de bouches, empêche de distinguer les morts des vivants. De la destruction du campement de Bessancourt (Val-d’Oise) au génocide des Tsiganes pendant la Shoah, en passant par le carnet de circulation ou par les schémas départementaux d’accueil et d’habitat des gens du voyage, l’œuvre de Gabi Jimenez dresse des parallèles entre les internements passés et présents, administratifs, sociaux, législatifs. Ce qui ne l’empêche pas de reconnaître la singularité de la démarche de la DIHAL : « C’est la première fois que la production artistique issue de la minorité tsigane est exposée dans un ministère », souligne-t-il. L’Etat s’est même engagé à acquérir une toile pour la verser au patrimoine artistique national.
Dosta ! Rroms en errance à Montreuil
Damien Roudeau – Jusqu’au 29 mars à la médiathèque de la Fnasat – 59, rue de l’Ourcq, Paris XIXe – Tél. 01 40 35 12 17 – Pour accueillir l’exposition :
Mais où sont passés les Gitans ?
Gabi Jimenez – Jusqu’au 22 mars à la DIHAL – 20, avenue de Ségur, Paris VIIe – Pour visiter l’exposition : tél. 01 40 81 33 60