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La protection judiciaire de la jeunesse victime de la logique comptable

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La PJJ, mise à l’épreuve par plusieurs réformes, a dans le même temps payé un lourd tribut aux objectifs de réduction des dépenses publiques. En témoigne une note alarmante d’un médecin de prévention sur la direction interrégionale Ile-de-France.

Au moment où il promet un projet de loi qui défendra les principes de l’ordonnance du 2 février 1945 et où il se penche sur la prévention de la récidive, le ministère de la Justice ne pourra pas faire l’économie d’une introspection sur le fonctionnement de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Le compte rendu de l’intervention d’un médecin de prévention à la direction interrégionale de la PJJ Ile-de-France et Outre-mer, en octobre dernier, révélé par Le Monde le 11 février, a mis sous les projecteurs une situation dénoncée par les syndicats depuis plusieurs années. Cette direction, qui rassemble près d’un quart des quelque 8 500 agents de la PJJ, semble en effet condenser tous les ingrédients d’un malaise plus diffus.

Selon la note du médecin, 80 % des personnes reçues en consultation ont signalé une situation de mal-être au travail et la moitié ont été placées « sous surveillance rapprochée par le médecin de prévention ». Le stress lié à la charge de travail, notamment pour le service de la paie, aux agressions physiques et verbales pour les éducateurs, les difficultés liées à la « dévalorisation », à l’« absence de soutien hiérarchique », à la « perte des valeurs et du sens du travail », au « manque de visibilité des orientations de l’institution », au turnover, ou encore aux « formations insuffisantes » sont autant de motifs de plaintes. Le médecin a préconisé le recours à un organisme extérieur spécialisé dans le diagnostic et la prévention des risques psychosociaux.

« Maltraitance institutionnelle »

Déjà, en septembre 2009, la tentative de suicide de la directrice départementale de Paris (1), Catherine Kokoszka-Garbar, qui expliquait un mois plus tard les raisons de son geste désespéré dans un témoignage de 11 pages, avait mis au grand jour la « maltraitance institutionnelle » entraînée par les réformes – recentrage au pénal et réduction des dépenses – conduites à marche forcée au sein de l’administration. Le SPJJ (Syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse)-UNSA avait collecté à l’époque plus de 100 témoignages de cadres disant leurs inquiétudes face aux restructurations, aux mutations et aux suppressions de postes. La révision générale des politiques publiques (RGPP) a entraîné une réorganisation territoriale (neuf directions interrégionales ont été créées à la place des 15 directions régionales) et la rationalisation des moyens. Environ 600 emplois ont disparu, principalement sur des fonctions support et d’encadrement, tandis que la loi de finances pour 2013 permettra, malgré un budget en hausse, de gagner seulement 75 équivalents temps plein supplémentaires. « On a chargé les directions interrégionales de nouvelles missions sans moyens nouveaux et sans anticiper les surcharges de travail, les glissements de tâches, les pertes de compétences et les besoins de formation », explique Laurent Hervé, secrétaire général du SPJJ-UNSA. D’où des problèmes dans la gestion des établissements et des personnels, des retards de salaires… La mise en place des plateformes ministérielles de gestion (communes à l’administration pénitentiaire et à la PJJ) a, de surcroît, « éloigné les services d’une gestion concrète et courante », ajoute-t-il. Les arriérés de paiement de l’administration fragilisent par ailleurs le secteur associatif habilité (qui bénéficiera à ce titre d’une enveloppe supplémentaire de 10 millions d’euros cette année), chroniquement sous-doté. Comment, dans ces conditions, assurer une justice pénale des mineurs de qualité ?

Le milieu ouvert, qui prend en charge plus de 90 % des jeunes délinquants, n’a pas été épargné par la réduction des moyens. Mais dans les foyers, notamment les établissements de placement éducatif (EPE) dont le nombre a diminué par la fusion de structures du secteur public ou leur transformation en centres éducatifs fermés, « les personnels expriment un immense ras-le-bol », témoigne Alain Dru, secrétaire général de la CGT-PJJ. En cause : « des placements au fil de l’eau » non préparés et des « ambiances explosives » résultant à la fois du durcissement de la justice pénale des mineurs et de la disparition de réponses diversifiées. « La RGPP s’est conjuguée à une avalanche de réformes sécuritaires qui ont gravement perturbé les conditions d’exercice des professionnels, abonde Maria Inès, secrétaire nationale du Syndicat national des personnels de l’éducatif et du social (SNPES)-PJJ-FSU. On assiste à un développement exponentiel de “placements sanction” dans l’immédiateté dans une logique dévoyée de l’alternative à l’incarcération, avec une volonté de mise à l’écart. Les équipes n’ont plus grand-chose à dire sur les conditions d’admission, et le placement a perdu sa dimension de protection. » Le travail avec les mineurs, qui comporte déjà une part importante de risque, en est d’autant plus compliqué, alors qu’il faudrait, rappelle Alain Dru, « interrompre la logique comptable et disposer d’un panel de réponses en hébergement diversifié, de vraies conventions de travail avec les services de psychiatrie pour de nouvelles formes de prise en charge… ». Un groupe de travail sur l’hébergement a bien été mis en place au sein de l’administration, « mais nous n’avons pas été étroitement associés », ajoute Maria Inès. Et de pointer « un dialogue social toujours défaillant » à la PJJ.

A l’instar des centres éducatifs fermés (voir encadré), nombre d’EPE tendraient à devenir des « Cocottes-minute » à l’intérieur desquelles la gestion de la sécurité grignote l’action éducative. Au point, dans certains cas, de favoriser les incidents, les explosions d’arrêts maladie et les dysfonctionnements. « Dans un foyer de la région parisienne qui fonctionnait bien jusqu’ici, l’arrivée d’un gamin au comportement particulièrement violent qui relevait plutôt de structures de soins a créé une ambiance telle que la moitié des jeunes ont fugué et que les personnels sont complètement déstabilisés », illustre Alain Dru. Le centre éducatif renforcé d’Eup (Haute-Garonne), géré par une association, vient de fermer ses portes sur ordre du préfet du département, après une série d’agressions survenues sur fond de tensions au sein de l’équipe. Le 10 février, un incendie provoqué par plusieurs pensionnaires a mis temporairement le CEF public de Mont-de-Marsan « hors service ».

Dans ce contexte, le doublement annoncé de la capacité des CEF (42 structures aujourd’hui) avant qu’aient été rendues les conclusions de la mission des inspections générales des affaires sociales et des services judiciaires sur leur fonctionnement inquiète les professionnels. « Nous craignons, par ailleurs, que la modernisation de l’action publique prévue par le gouvernement soit une nouvelle version de la RGPP », souligne Maria Inès.

Audit général ?

Sollicité par les ASH, le cabinet de la ministre n’a pas répondu. Il n’a pas non plus autorisé la direction de la protection judiciaire de la jeunesse à s’exprimer. Lors des assises nationales de la protection de l’enfance, le 12 février au Mans, Christiane Taubira a néanmoins réagi à l’article du Monde, dont elle a visiblement peu goûté la teneur. « La PJJ est une grande et belle administration et je veux redire que ses personnels sont particulièrement engagés au service de l’enfance et qu’ils ont toute ma confiance », a-t-elle assuré dans un discours lu par le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse, Jean-Louis Daumas. Un soutien apporté aux professionnels appréciable, estime le SPJJ-UNSA, mais qui ne suffira pas. Il réclame en effet, depuis plusieurs mois, un audit général de l’institution sous l’égide de la représentation nationale.

Devant les professionnels de l’enfance, la garde des Sceaux, qui a rappelé que la PJJ et la jeunesse étaient une « priorité » pour 2013, a surtout confirmé sa volonté de « dépasser le clivage entre action pénale et action civile » et d’« évaluer l’intérêt d’une prise en charge directe par la PJJ de mesures en assistance éducative » dans certaines situations particulièrement difficiles. Elle a annoncé sa décision de confier au sénateur Jean-Pierre Michel (PS, Haute-Saône) une mission pour explorer « comment avancer » sur ces questions. Une mission que le SPJJ espère plus large, afin d’évaluer au plus vite les capacités de l’institution à faire face à ses missions.

CEF : « UN GÂCHIS », POUR LE SNPES-PJJ

Opposé à leur création depuis 2002, le SNPES-PJJ-FSU livre un état des lieux très critique des centres éducatifs fermés (CEF), dans l’attente des résultats de l’évaluation demandée par la garde des Sceaux. Il revient sur la « banalisation de l’enfermement » favorisée par les dernières réformes de la justice des mineurs et sur les constats déjà dressés, dans plusieurs rapports, sur les atteintes aux droits des mineurs.

Il souligne que, selon les données de 2008 du ministère de la Justice, un tiers des jeunes restent dans ces structures moins de trois mois, un tiers entre trois et six mois et un tiers plus de six mois – ceux qui restent plus de cinq mois étant ceux qui récidivent le moins. Selon les études du chercheur Marwan Mohamed, cite le syndicat, « les séjours sont écourtés pour des incidents liés au fonctionnement du CEF, une condamnation à une peine d’incarcération ferme dans le cadre d’une autre affaire ou encore au passage à la majorité ». Il y voit la confirmation que « le fonctionnement des CEF ne permet pas la stabilisation du jeune dans l’établissement » alors que la durée de la prise en charge « est une donnée incontournable » dans l’évolution des mineurs.

Selon lui, la surveillance constante des jeunes en CEF empêche de mener un travail éducatif individualisé et favorise des méthodes plus comportementalistes et autoritaires. La menace permanente de l’incarcération en cas de faux pas limite la prise de risque, notamment la participation à des activités extérieures, tandis que l’enfermement conduit « à une marginalisation du travail avec les familles, mais aussi avec les autres professionnels ».

Pour le SNPES-PJJ-FSU , l’uniformisation des modalités de prise en charge « et l’appauvrissement parallèle d’un dispositif de réponses diversifiées ont fini par produire des parcours stéréotypés », de l’EPE (établissements de placement éducatif) à l’établissement pénitentiaire pour mineurs en passant par le CEF. « Nombreux sont les adolescents qui reviennent dans les services du milieu ouvert ou d’insertion de la PJJ après avoir effectué ce type de parcours et il n’est pas rare de constater qu’il n’a pas permis une évolution durable et significative. » Du « temps perdu », même « un gâchis », qui renforce la marginalisation et ne favorise pas l’insertion.

Notes

(1) Voir ASH n° 2632 du 13-11-09, p. 19.

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