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Mieux visibles en pleine lumière

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A Nantes, les correspondants de nuit sont devenus, en 2008, des médiateurs de quartier. Ils interviennent plus tôt pour être en contact avec davantage d’habitants, faire de la prévention en direction des jeunes et mieux se coordonner avec leurs partenaires.

Il fait froid à Nantes, en cet après-midi de janvier. Michel Allusson et Patricia Bouju enfilent un pull supplémentaire sous leur veste grise. Il est 15 heures, et le binôme de médiateurs de quartier s’apprête à déambuler jusqu’à 22 heures dans le secteur des Dervallières. Tous deux sont employés depuis plus de dix ans par Optima, une entreprise missionnée par la ville de Nantes pour gérer son service de médiation (1). Jusqu’en 2008, leur veste était jaune, ils travaillaient de 19 heures à 2 heures du matin et se nommaient « correspondants de nuit » (2). Leur présence avait pour but de limiter les conflits entre voisins ainsi que les nuisances et les dégradations, d’assurer une veille technique des immeubles pour le compte des bailleurs et de visiter les habitants isolés.

Mais au début de son nouveau mandat, il y a quatre ans, l’équipe municipale de Nantes a décidé de modifier ce disposit if. « Les horaires d’intervention des correspondants étaient trop tardifs pour qu’ils puissent assurer une mission de médiation efficace, explique Gilles Nicolas, adjoint à la sécurité et à la tranquillité publique. La médiation, ce sont deux parties qui ont besoin de dialoguer avec l’aide d’un tiers. Sauf qu’à une heure du matin, rares sont ceux qui ont envie de se lancer dans une discussion. » En faisant intervenir les médiateurs plus tôt, la municipalité indique avoir voulu rétablir un contexte plus propice à la médiation. « Après 23 heures, on croisait beaucoup de gens alcoolisés, confirme Stéphane Masson, ancien chef d’équipe de correspondants devenu responsable d’un secteur de médiateurs. On était souvent face à des situations compliquées, à la limite de la dangerosité pour nos agents. »

CHANGEMENT D’HORAIRES ET DE MISSIONS

Les situations difficiles n’ont cependant pas totalement disparu. Huit jours plus tôt, Michel Allusson et Patricia Bouju ont été agressés. Un locataire qu’ils tentaient de calmer les a insultés et frappés. Ils se sont rapidement retirés et ont prévenu leur responsable. « Les agressions sont beaucoup plus rares que du temps du travail de nuit, constate tout de même le binôme. Avant, la plupart de nos médiations devaient se faire à chaud. »

La modification des horaires de travail des 20 médiateurs de la ville correspond à un changement de leurs missions. « Les financeurs souhaitaient que l’on soit davantage présents sur les espaces publics, que notre action ait plus d’impact sur la tranquillité publique », souligne Stéphane Masson. En plus de la médiation des problèmes de voisinage, ils sécurisent désormais les sorties d’école, insistent sur la prévention et orientent les habitants vers les bons interlocuteurs. Ils ont abandonné la veille technique des bâtiments et le suivi personnalisé de certains locataires.

Ainsi, cet après-midi, dans un quartier que l’on dit difficile, Michel Allusson et Patricia Bouju serrent des mains, distribuent généreusement bonjours et sourires. Patricia rappelle à l’ordre une grappe de garçons occupés à faire le cochon pendu du haut d’un escalier. Les deux médiateurs doivent résoudre, à froid, une affaire de tapage nocturne. Ils vont retourner voir le plaignant et la personne mise en cause. Entre-temps, le téléphone sonne. La conseillère d’éducation du collège du quartier leur parle d’un élève qui, une fois de plus, fait l’école buissonnière. Elle souhaite que les médiateurs aillent voir ses parents.

Dans leurs nouvelles missions, les médiateurs entrent en contact avec davantage d’habitants. La ville souhaitait que le dispositif soit plus efficace, notamment en touchant plus de monde. « Cette nouvelle organisation permet, à budget constant, de déployer des médiateurs dans cinq quartiers au lieu de trois, avance Gilles Nicolas. Les professionnels interviennent à des heures où ils sont en mesure de résoudre les problèmes des gens qu’ils croisent. » Pour la ville, il était aussi important que l’action soit diurne, pour être plus visible et accroître le sentiment de sécurité de la population.

UN RECENTRAGE SUR L’ESPACE PUBLIC

Les médiateurs font ainsi davantage de veille de l’espace public et passent moins de temps à résoudre les problématiques personnelles et privées. La moitié d’entre eux ont été auparavant correspondants de nuit, avec des profils très variés. Patricia Bouju avait ainsi été agent d’accueil et d’entretien dans des structures sociales. Quant à Michel Allusson, agent de sécurité de formation, il avait travaillé dans le bâtiment et la vente. « Travailler la nuit, c’était différent, se souvient-il. On voyait la misère, les bagarres, les gens en détresse. Mais j’aimais pouvoir apporter un soutien moral aux personnes isolées ou aux personnes âgées. » A l’époque, il pouvait passer une heure à écouter un locataire déprimé. Aujourd’hui, la consigne est de l’orienter, après dix minutes de discussion, vers une association d’aide aux personnes isolées ou une structure adaptée à ses besoins. « Nous avions nos habitués, poursuit le médiateur. C’était pratique pour eux d’avoir un écoutant à domicile. Mais il fallait que cela cesse : des spécialistes nous ont expliqué que, pour certaines pathologies, nous faisions peut-être plus de mal que de bien. »

Certains habitants du quartier ont cependant mal digéré ce changement, « choqués que le lien soit coupé subitement », regrette l’un d’eux. D’autres déplorent la perte du service « médicaments » : après le passage d’un médecin en urgence, les correspondants de nuit pouvaient en effet aller chercher des médicaments pour les habitants non motorisés. « Mais certains en profitaient, soupire Patricia Bouju. Nous allions à la pharmacie de garde, à l’autre bout de la ville, parfois pour chercher un tube d’aspirine ou une pommade dont l’ordonnance datait du matin. » Dès la création du métier de correspondant, les professionnels avaient pourtant souligné leur refus de devenir des « concierges de la nuit ».

L’intérêt du nouveau dispositif est de favoriser le développement d’autres types d’interventions. Avant d’occuper ses nouvelles fonctions, chaque agent a reçu une formation de 10 à 20 jours, dispensée par un organisme extérieur à Optima. « Ils ont été initiés à différentes formes de médiation, détaille Nathalie Nivault, responsable de l’antenne 44 d’Optima. La médiation à chaud, mais aussi la technique des navettes, quand les parties en conflit ne veulent pas se parler. Ou encore la médiation à froid : les parties se retrouvent autour d’une table quelques jours après un conflit. La médiation avec un public jeune, aussi. La modification de nos missions nous a permis de nous recentrer sur notre cœur de métier. »

L’ORIENTATION SPÉCIFIQUE VERS LES JEUNES

La formation a par ailleurs porté sur la connaissance des jeunes publics, des addictions, sur la façon de se positionner avec des groupes ou de réagir face à une bagarre d’écoliers. Ce contact avec les jeunes et les actions de prévention à leur égard constitue l’une des grandes nouveautés de la mission des médiateurs. Ceux-ci sont notamment chargés de sécuriser les sorties d’écoles et d’intervenir au sein des établissements. « Optima a créé des modules de deux heures à destination des collégiens, poursuit la responsable. Les médiateurs lancent un débat sur un thème de société choisi par l’établissement : l’utilisation de Facebook, le harcèlement, les jeux dangereux, les relations entre garçons et filles. Ils organisent des jeux de rôles avec les jeunes et travaillent parfois en partenariat avec des professeurs, pour des approfondissements. » Puis ils présentent les principes de la médiation et tentent de faire comprendre aux collégiens la logique de la chaîne éducative. Leur message : professeurs, éducateurs, animateurs, médiateurs et parents sont liés. Ce qu’un collégien fait en présence de l’un, toute la chaîne le sait. « Ces séances sont riches pour nous, témoigne Nathalie Nivault. On peut faire passer des messages à un public nombreux et captif, et vérifier qu’ils ont bien été compris. » Dans le même esprit, Optima a créé des jeux pédagogiques autour de la notion de citoyenneté, que les médiateurs apportent dans les fêtes de quartier, les forums ou les portes ouvertes des structures locales.

Au fil de leur ronde, Patricia Bouju et Michel Allusson passent saluer les jeunes de la maison de quartier qui jouent au ping-pong. Ils échangent quelques mots avec ceux qui participent à l’atelier « vélos » et lancent : « Vos casques, les jeunes !? » à deux garçons frimant, têtes nues, sur un scooter pétaradant. « On travaille beaucoup plus la prévention, remarque la médiatrice. La nuit, c’était difficile de passer des messages. En agissant auprès des préadolescents et des enfants, notre action est sûrement plus efficace. Dans quelques années, quand ces petits seront des ados difficiles, ils se rappelleront de nos mises en garde et du lien qu’on a créé. » Un lien qu’ils passent davantage de temps à construire. « Comme on est présents de jour, on participe à la vie du quartier en venant aux fêtes, aux animations organisées par les associations, décrit Michel Allusson. On participe davantage à la dynamique locale. La nuit, c’était impossible. » Sur certains quartiers, les médiateurs organisent également des « pauses palier » ou des « rencontres pied d’immeuble ». Toujours dans l’idée qu’il vaut mieux prévenir que guérir, ils n’attendent pas les difficultés pour informer les locataires sur ce qui se passe sur leur territoire et pour les interroger sur leur quotidien.

Auparavant, la nuit, les correspondants étaient quasiment les seuls acteurs présents sur le terrain. Des généralistes chargés d’orienter les habitants vers les bons spécialistes, mais cette orientation se faisait le lendemain, de jour, par les chefs d’équipe. Très frustrés de ne pas rencontrer ces partenaires, ils avaient la désagréable impression de ne jamais aller jusqu’au bout d’un dossier ni de savoir quelle réponse avait finalement été apportée. « Ils avaient le sentiment de marcher seuls », résume Stéphane Masson. De ce point de vue, les choses ont bien changé. Les médiateurs rencontrent désormais régulièrement les bailleurs, les services de tranquillité publique de la ville et les directions de quartiers. Le responsable de secteur y voit plusieurs avantages : « D’abord, on devient plus réactifs sur les situations dont nous sommes chargés. Avant, tout passait par le filtre du chef, au siège. Maintenant, le suivi se fait sur le terrain au quotidien. Ensuite, les médiateurs ont gagné en reconnaissance et en légitimité parce qu’ils partagent davantage leurs informations avec ces partenaires. »

Pour autant, ces liens n’ont pas toujours été faciles à nouer, surtout avec les travailleurs sociaux, se souviennent les professionnels d’Optima. Les correspondants de nuit n’étaient pas vraiment habitués à échanger sur des situations, tandis que les professionnels du social craignaient que des acteurs n’ayant pas leur formation interfèrent dans leur action. « Au départ, les éducateurs de rue étaient méfiants, sourit Michel Allusson, mais nous avons réussi à créer un bon contact. Nous échangeons sur des cas de jeunes déscolarisés que l’on voit déambuler sur l’espace public. Quand ils lancent une activité, nous relayons l’information auprès de tous les jeunes que l’on croise. » Les médiateurs se positionnent ainsi comme des relais. Il peut leur arriver d’aller déposer à la mission locale le curriculum vitæ d’un jeune trop impressionné à l’idée de franchir les portes de cette structure. Ou d’aider un locataire à formuler sa demande auprès du service social de proximité. Ils bénéficient du fait d’être devenus familiers pour orienter des gens du quartier vers des travailleurs sociaux perçus parfois comme hors d’atteinte.

NE PLUS FAIRE À LA PLACE DES ACTEURS EXISTANTS

« Nous avons professionnalisé notre logique de positionnement sur l’échiquier du territoire, analyse Nathalie Nivault. Avec l’idée d’être le plus utiles possible aux acteurs existants, sans jamais prétendre faire à leur place. » C’est d’ailleurs l’une des idées fortes qui a guidé le passage des correspondants vers les médiateurs. « La nuit, souvent seuls sur le terrain, les correspondants agissaient à la place des travailleurs sociaux et de la police de proximité, se rappelle Gilles Nicolas, l’adjoint à la sécurité et à la tranquillité publique. Face aux dealers et autres trafiquants, ils étaient témoins sans pouvoir agir. Les habitants se rendaient compte qu’ils étaient démunis. » Pour Gilles Nicolas, il ne s’agissait ni de leurrer les habitants ni de faire des correspondants de nuit un palliatif à l’insuffisance de la police de proximité. Depuis la suppression des correspondants de nuit et la création du dispositif des médiateurs, celle-ci réinvestit-elle les quartiers ? « Cela commence, affirme l’élu. Mais je ne suis pas maître des effectifs de l’Etat. » Pour lui, l’objectif est surtout d’instaurer une approche « chaînée » des dossiers. « Par exemple, le problème des rodéos urbains n’était pas reconnu par la police, parce qu’il lui semblait statistiquement marginal, explique-t-il. Mais il y en avait tous les jours ! Nous avons travaillé avec les médiateurs pour identifier et analyser le problème. La ville a procédé à des aménagements publics pour empêcher les rodéos et, finalement, la police a saisi des quads. Chacun est resté à sa place et a rempli son rôle. Mais c’est en se coordonnant que le problème a été résolu. »

En étant repositionnés sur l’espace public, plus visibles et mieux en lien avec les partenaires, les médiateurs disent aujourd’hui se sentir plus légitimes. Ils affirment faire un vrai métier, et non un simple « job ». En 2008, les correspondants de nuit rennais avaient fait grève. Outre des revendications salariales, ils disaient ne plus vouloir être des « hommes à tout faire nocturnes », mais vouloir devenir de véritables travailleurs sociaux de la nuit. A Nantes, les idées émises par les médiateurs pour faire évoluer leurs missions, lors de brainstormings informels, rejoignent cette approche : « tenir une permanence dans un local du quartier pour prendre le relais de certaines institutions sur place » ; « aider les personnes âgées dans leurs démarches administratives » ; « faire de la médiation à l’intérieur des familles et des lycées ».

Cette ambition est-elle partagée par la municipalité ? Beaucoup de missions actuelles des médiateurs – gérer les conflits de voisinage, la violence domestique, assurer la sortie des écoles, résoudre les problèmes de rassemblement de jeunes, faire des patrouilles pédestres – restent proches de celles des polices municipales. Elles relèvent davantage de la pacification de l’espace public que du travail social. Bien que clarifiée, la spécificité des médiateurs devra sûrement encore être affinée.

RENNES Les correspondants de nuit maintenus

La municipalité rennaise fait également appel à Optima pour des missions de médiation. Mis en place depuis 1994, le dispositif des correspondants de nuit existe toujours. Leur présence nocturne a volontairement été maintenue, mais ils finissent plus tôt qu’auparavant (0 h 45). « Il n’y a plus de travailleurs sociaux sur place à cette heure-là et les correspondants traitent de questions sur lesquelles la police nationale n’intervient plus, indique Catherine Debroise, adjointe au maire chargée, notamment, de la médiation sociale. Ils sont donc le tiers qui fait baisser les tensions et désamorce les conflits. De plus, c’est en situation de crise que les problèmes se manifestent. Les correspondants, qui en sont témoins, peuvent transmettre des dossiers aux médiateurs des bailleurs sociaux, qui, autrement, n’auraient pas été saisis. »

Notes

(1) Optima 44 : 24, rue Olympe-de-Gouges – 44800 Saint-Herblain – Tél. 02 51 72 79 09 – optimamediations44@optima.tm.fr.

(2) Voir ASH Magazine n° 18 du 8-12-06, p. 28.

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