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Plateformes de répit : une dynamique de coopération au profit des aidants familiaux

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Lancées dans le cadre du plan Alzheimer 2008-2012, les « plateformes de répit et d’accompagnement » commencent à mailler l’Hexagone. Elles sont l’occasion pour les acteurs gérontologiques de mutualiser des services souvent développés en ordre dispersé afin de soulager les proches des malades.

La maladie d’Alzheimer, inscrite en tête des priorités de santé publique, a mis au jour certaines carences du secteur médico-social. Dans certaines agglomérations, 40 % des pa tients et de leurs proches ne disposent pas d’aide à domicile. La situation est encore plus grave dans les territoires ruraux où les distances à parcourir se rajoutent au manque de services disponibles. Pis, les tentatives pour soulager les aidants en développant des places d’accueil de jour et d’accueil temporaire se sont heurtées à l’inorganisation des acteurs. Malgré les moyens injectés par les plans Alzheimer 2001-2005, puis 2004-2007, la caisse nationale de soli darité pour l’autonomie (CNSA) soulignait en 2009 « l’incapacité des promoteurs à créer plus de 1 200 places par an », alors qu’on estime que de 100 000 à 120 000 couples aidant-aidé ne reçoivent aucun soutien.

Avec le plan Alzheimer 2008-2012, les pouvoirs publics ont donc changé leur fusil d’épaule. Plutôt que de soutenir une politique de répit fondée sur le seul accueil en institution, il est proposé d’organiser, sur un territoire donné, une « offre diversifiée et coordonnée de répit et d’accompagnement aux aidants familiaux ». Avec quatre priorités : leur « offrir du temps libre, les informer et les accompagner, favoriser le maintien de la vie sociale et relationnelle du couple aidant-aidé, améliorer les capacités fonctionnelles, cognitives et sensorielles des personnes malades ».

FÉDÉRER LES ÉNERGIES

Afin de permettre la structuration de cette offre, les opérateurs sont invités à s’engager dans la création de « plateformes de répit et d’accompagnement ». Ces nouveaux dispositifs devront s’appuyer sur un accueil de jour « réorienté sans équivoque vers un objectif de maintien à domicile » et fédérer un réseau d’intervenants susceptibles de mettre en place des actions complémentaires, selon l’appel à candidatures lancé en janvier 2009 par la CNSA.

Une voie dans laquelle s’est engagée la Fédération dijonnaise des œuvres de soutien à domicile (Fedossad) avec la Prapad (plateforme de répit Alzheimer pour les personnes de l’agglomération dijonnaise), l’une des 11 premières plate formes à avoir été expérimentées entre 2009 et 2010. « Le propre d’une plateforme, c’est d’identifier les partenaires sur un territoire et de lancer une dynamique en laissant cours à la créativité des uns et des autres », explique Pierre-Henri Daure, directeur de la Fedossad. Dotée à son démarrage de deux accueils de jour et des places d’accueil temporaire de la Fedossad, la Prapad est vite montée en puissance. « Nous avons débuté avec une file active de 85 personnes correspondant aux usagers des deux premiers accueils de jour. Puis, à mesure que les partenariats se nouaient, l’activité a augmenté. Aujourd’hui, nous recensons près de 700 personnes en file active, tous services confondus. » Trois ans après sa création, la Prapad apparaît sur les dépliants d’information diffusés auprès des municipalités et des professionnels de santé du grand Dijon comme un réseau comprenant sept accueils de jour, dix structures proposant de l’hébergement temporaire, plus une large palette de solutions intégrant soutien psychologique à domicile, groupes de parole, café « Alzheimer », séjours de vacances, accueil de nuit… Le tout accessible par un numéro d’appel fonctionnant 24 heures sur 24, 365 jours par an, grâce au partenariat avec un service d’écoute et d’orientation pour personnes âgées.

Une forme de success story médico-sociale qui ne doit rien au hasard. La plupart des plateformes ont en effet dépassé leur cahier des charges en se dotant d’un comité de pilotage regroupant les prin cipaux porteurs du projet. Elles ont aussi fédéré les différents gestionnaires d’actions de répit de leur territoire dans un comité technique, explique Pierre-Henri Daure. A cela, s’ajoute la perspective pour les opérateurs de donner enfin une visibilité à leurs prestations. A la Prapad, près de 40 % des premiers appels émanent encore d’aidants qui ignoraient jusqu’à l’existence de solutions de soutien. Une coordinatrice se rend alors au domicile de la personne, étudie les besoins du couple aidant-aidé, et l’oriente vers les différentes possibilités de répit.

L’autre objectif du plan Alzheimer de lever les freins psychologiques à l’accès au répit a conduit à une réflexion pour rendre l’entrée dans les dispositifs la moins stigmatisante possible. A Rennes, c’est autour d’un “bistrot mémoire” ouvert depuis 2004 (le premier en France) dans un café du centre-ville (1) que ses fondateurs, la maison de retraite Saint-Cyr et le service de soins à domicile Aspanord, ont expérimenté une plateforme de répit. Ouvert une fois par semaine, ce bistrot permet aux aidants et aux malades de se rencontrer hors de toute pression et d’exprimer leurs attentes en présence d’une psychologue. « La liberté d’aller et venir est un des éléments fondamentaux du lieu. Cela permet d’atteindre ceux qu’on ne voit jamais dans les services, car ils ont peur de se retrouver happés dans un système », explique Isabelle Donnio, psychologue et fondatrice du bistrot. De rencontre en rencontre, il devient alors possible d’étudier avec les aidants des solutions souples, respectueuses de leur temps de cheminement. « Notre stratégie a été de ne pas mettre en avant, dans un premier temps, les deux structures porteuses du projet, mais de privilégier le “bistrot mémoire” qui incarne la présence de la société civile, en même temps que l’expertise des usagers à côté de l’expertise professionnelle », précise Isabelle Donnio.

LAISSER LE TEMPS

La plateforme dispose néanmoins d’une autre porte d’entrée avec sa coordinatrice, joignable par les professionnels et les familles. La prise en compte du temps de maturation des personnes demeure centrale. « Le temps des professionnels n’est pas celui des aidants ou des malades. Après un premier rendez-vous au domicile, il peut être proposé à une personne des actions ciblées et ponctuelles, telles que des séjours de vacances, et c’est souvent après cette première accroche non médicalisée qu’un passage de relais pourra être envisagé vers les acteurs du domicile », insiste Marylène Mélou, coordinatrice de la plateforme de répit de Rennes et psychologue de l’EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) Saint-Cyr. Parmi les avancées, Isabelle Donnio retient d’abord le changement d’attitude des professionnels : « S’il reste toujours chez eux cette part qui les relie à leur institution, il y a une prise de conscience collective qu’il est possible de fonctionner autrement. »

En juillet 2011, les pouvoirs publics ont fixé à 150 le nombre de plateformes de répit et d’accompagnement devant mailler le territoire début 2013 (2). A cette fin, les 11 000 créations de places d’accueil de jour initialement prévues sur cinq ans par le plan Alzheimer 2008-2012, soit 2 200 places par an, ont été transformées en 1 200 places d’accueil de jour annuelles et 75 plateformes an nuelles dotées chacune d’une enveloppe de 100 000 €. La liste des formules de répit finançables par les pouvoirs publics, limitée jusqu’alors à l’accueil de jour et à l’hébergement temporaire, a été elle aussi ouverte aux prestations de soutien au couple aidant-aidé (garde itinérante de nuit, répit à domicile, séjours de vacances et autres activités sociales [voir page 33]).

NOUVEAUX ACTEURS

Cet élargissement a fait émergé une nouvelle génération d’acteurs. A l’image d’Accord’Ages, une plateforme montée en Anjou sous forme de groupement de coopération sociale et médico-sociale entre deux associations gestionnaires de services médico-sociaux, une maison de retraite et l’hôpital intercommunal de Baugé (Maine-et-Loire). Plusieurs de ces structures étaient autorisées à ouvrir des places d’accueil de jour (mais ne les avaient pas installées) et toutes avaient développé en ordre dispersé des services très spécialisés : équipe mobile Alzheimer, séances d’activités physiques adaptées, atelier « mémoire ». L’idée a donc été de mutualiser les ressources existantes, puis d’élargir le dispositif avec prudence. « Accord’Ages a été mis en place dans un esprit de bannière. Dès le démarrage du projet, nous avons rencontré les acteurs de la filière gériatrique pour leur expliquer qu’il s’agissait de travailler avec eux au repérage des besoins non couverts et d’étudier des ressources nouvelles », explique Magali Amar, chargée de développement à Accord’Ages. La dotation de 100 000 € par l’ARS (agence régionale de santé) fin 2011 a permis de mettre en place de nouvelles activités : ateliers de stimulation cognitive pour les patients, art-thérapie pour les couples aidants-aidés, temps d’écoute et de soutien à domicile à destination des aidants. « On rassemble des services déjà existants gérés par des partenaires, puis on déploie de nouvelles activités complémentaires », explique Magali Amar. Dans ce territoire rural très étendu, chacun s’y retrouve. Accord’Ages prend en charge les frais de transport pour faciliter l’accès aux places d’accueil de jour et expérimente avec le conseil général un système de navette (taxi, ambulancier) entre le domicile et l’établissement. Sa petite équipe de coordination (1,2 équivalent temps plein) travaille avec des prestataires extérieurs (animateur, psychologue, socio-esthéticienne, assistant de soins en gérontologie) pour assurer les interventions au domicile et oriente les familles vers l’offre de répit en fonction des situations.

COHÉRENCE DES PROFESSIONNELS

La plateforme serait-elle alors un outil idéal ? La chargée de développement tempère. « Les procédures d’“inclusion” des familles dans la plateforme sont encore en construction. La question est de savoir comment rester cohérent entre professionnels pour faire les relais au bon moment. » Pour l’heure, le prag matisme fonctionne. Lorsqu’une famille sollicite directement un opérateur local, l’échange qui se met en place avec l’équipe de coordination permet de recueillir le maximum d’informations administratives sur le demandeur. « Mais jusqu’où aller dans certaines situations critiques et comment assurer sur le long terme la coresponsabilisation entre professionnels de culture très différente ? », s’interroge Magali Amar.

De fait, l’évaluation des premières plateformes, réalisée fin 2010 par le cabinet de conseil Géronto-clef (voir encadré, page 31), montre que, quelle que soit la solution d’organisation retenue par les porteurs de projets, la coordination minimale qu’ils cherchent à mettre en place doit composer avec la complexité du champ médico-social. « Si, dans le projet des plateformes de répit, on met l’accent sur l’accueil, l’écoute, l’orientation et le suivi individuel des aidants ou des couples aidant aidé, il s’agit d’une fonction qui recoupe d’autres dispositifs existants ou en expérimentation, spécifiques ou non de la maladie d’Alzheimer, tels que les maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer [MAIA], les centres locaux d’information et de coordination [CLIC], les gestionnaires de cas ou autres intégrateurs de services de différents niveaux », soulignent les rapporteurs. Sachant qu’aucune articulation entre plateformes et MAIA, lancées pourtant simultanément, n’a été exigée des pouvoirs publics. Résultat : les professionnels ont dû assurer tant bien que mal une cohérence sur le terrain, au point de devoir limiter le contact personnalisé avec les couples aidant-aidé afin de ne pas concurrencer l’action des gestionnaires de cas portés par les MAIA.

Quant aux CLIC, acteurs historiques de la coordination et de l’orientation, oubliés par un cahier des charges qui impose aux plateformes d’être portées par un accueil de jour, donc par un établissement, beaucoup ont joué de leur implantation pour rassembler les acteurs du territoire et créer une plateforme. « Pour une raison évidente, ce n’est pas l’établissement support de l’accueil de jour qui peut sillonner le territoire pour structurer une offre de répit. En revanche, cela correspond parfaitement au rôle d’un CLIC de venir en appui aux porteurs de projet locaux afin de compléter l’offre de services aux usagers », explique Pascal Pousse, directeur de l’association gérontologique de Gâtine, dans les Deux-Sèvres. Déjà gestionnaire d’un CLIC et d’un réseau de santé, cette association s’est engagée fin 2009 dans le développement d’une plateforme et d’une MAIA. « Nous sommes sur un territoire très rural où les insti tutions avaient déjà l’habitude de travailler ensemble, précise-t-il. La plateforme est apparue comme un moyen de structurer l’offre de répit. Puis la MAIA, avec sa logique de guichet intégré, est venue couronner la dynamique de partenariat engagée depuis des années. »

Les trois CLIC du territoire en constituent les portes d’entrée physiques et chaque institution associée relaie le même discours sur l’enjeu pour les aidants de prendre soin d’eux, sur la présentation des services développés à leur intention et sur la nécessité de les utiliser. Un portail extranet recense les places disponibles en accueil de jour, hébergement temporaire, ou dans les haltes répit de deux heures organisées dans les EHPAD. C’est sur le fond que le vrai changement a eu lieu, explique Pascal Pousse. « Les dynamiques respectives de la plateforme et de la MAIA [3] se recoupent automatiquement. La plateforme est un outil de développement de l’offre de la MAIA à destination des familles, tout comme la MAIA, avec sa coordinatrice et ses gestionnaires de cas, favorise l’intégration des acteurs dans un système global. » Et de citer l’exemple de cinq EHPAD des Deux-Sèvres qui, autorisés à ouvrir des places d’accueil de jour, se sont regroupés pour démarrer un accueil itinérant plus ambitieux, ouvert chaque jour de la semaine dans un lieu différent. Au bout de un an, au vu du succès très relatif du service, les cinq établissements décident de passer à une autre étape en envisageant un accord avec l’hôpital local. Celui-ci récupère leurs places autorisées pour consolider un accueil de jour et en créer un second en milieu urbain, là où il n’en existait pas jusqu’à présent. Reste qu’il serait illusoire de penser que le seul effet « plateforme » pourrait expliquer cette coopération, tempère le directeur de l’association gérontologique de Gâtine : « Dans le millefeuille institutionnel du secteur, chacun a compris que ce ne sont plus les dispositifs qui guident l’action, mais l’objectif d’accompagnement. »

Le lien, première demande des aidants

Que recherchent vraiment les aidants de malades souffrant d’Alzheimer ? C’est la question que s’est posée le cabinet d’expertise Géronto-clef, lors de l’évaluation des premières plateformes de répit et d’accompagnement, réalisée en 2010 (4). Les constats basés sur les services sollicités par plus de 400 couples aidant-aidé prennent à contre-pied bien des certitudes. Parmi tous les services à leur disposition, ceux que les aidants mettent en avant relèvent moins de l’offre de répit ou du maintien de la vie relationnelle, que de « la possibilité de bénéficier de l’écoute d’un professionnel et de rencontrer des personnes dans la même situation », observent les rapporteurs. De la même façon, s’ils déclarent apprécier l’assistance dans leurs responsabilités familiales ou professionnelles, ils restent assez peu demandeurs de temps libre. Quant au projet d’améliorer les capacités cognitives ou sensorielles du malade, il est jugé par la majorité des aidants comme « peu pertinent ». Selon cette étude, la première attente des aidants est « l’installation d’un lien suivi avec un professionnel averti des difficultés rencontrées dans l’accompagnement des malades ». L’importance de cette fonction d’accueil et de lien avec un professionnel est d’ailleurs soulignée par les porteurs des plateformes. Ce qui montre que « les dispositifs d’accueil, d’écoute et d’orientation individuelle des aidants dépassent la simple fonction de coordination entre services offrant des prestations de répit », analyse Géronto-Clef. Pour autant, le regroupement et le développement de ces derniers restent pertinents. « Dans un contexte où les personnes se sentent très isolées, sans interlocuteur, la fonction “accueil et écoute” est sans doute survalorisée par les aidants, et il est possible que, dans un second temps, les attentes et la demande se tournent plus vers des prestations », avancent les rapporteurs.

Notes

(1) Voir notre reportage sur ce « bistrot mémoire » dans les ASH n° 2691-2692 du 14-01-11, p. 38.

(2) Selon la circulaire de la DGCS du 30 juin 2011 – Voir ASH n° 2721 du 26-08-11, p. 6.

(3) Voir ASH n° 2629 du 23-10-09, p. 34.

(4) « Rapport d’évaluation du dispositif de plateformes de répit et d’accompagnement pour les aidants familiaux de personnes atteintes de maladies Alzheimer et apparentées » – Géronto-Clef – Novembre 2010.

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