Recevoir la newsletter

Disparition de la mission d’appui en santé mentale : un « gâchis » ?

Article réservé aux abonnés

La mission nationale d’appui en santé mentale va prochainement cesser d’exister, et l’ANAP prendre le relais. La pilule, annoncée sans explication, passe mal pour ses agents.

La mission nationale d’appui en santé mentale « doit être prochainement arrêtée », c’est ce qu’a indiqué Christian Anastasy, directeur général de l’ANAP (Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux) à plusieurs journalistes, selon deux dépêches du 31 janvier des agences de presse spécialisées APM et Hospimedia. Faisant état du programme de travail de l’ANAP, défini lors de son conseil d’administration du 17 décembre dernier, il précisait que celle-ci allait se pencher sur plusieurs thèmes liés à la psychiatrie et à la santé mentale. Une information qu’a confirmée le 13 février aux ASH le ministère des Affaires sociales et de la Santé. Il indique en effet que « la mission nationale d’appui en santé mentale (MNASM) n’ayant plus vocation à poursuivre son activité, il a été proposé à ses membres de rejoindre l’ANAP afin de la faire bénéficier des compétences acquises par cet organisme ».

« Processus sournois »

Voilà donc, de façon expéditive, réglé le sort de cette petite structure. Et évincée, par là même, toute réflexion sur son évolution, à laquelle avait pourtant invité la Cour des comptes. Dans son rapport sur l’organisation des soins psychiatriques de décembre 2011, cette dernière avait, en effet, pointé le manque d’assise stable de la mission – relevé déjà par l’inspection générale des affaires sociales en 1999 : son absence de statut avec des personnels non pas détachés mais mis à disposition et un circuit d’attribution de financement particulier (elle reçoit deux dotations de 200 000 € par an [1] via l’Association pour la santé mentale du XIIIe arrondissement à Paris). Toutefois la juridiction administrative avait reconnu l’utilité du dispositif et son pragmatisme et invité à « consolider son financement et sa gestion dans des conditions conformes à la réglementation en vigueur ». « Il avait été alors évoqué, lors d’une réunion avec l’administration centrale, une intégration de la MNASM au sein de l’ANAP, mais nullement sa disparition », souligne Catherine Isserlis, médecin et coordinatrice de la mission. « C’est un processus sournois qui est à l’œuvre, estime Martine Barrès, médecin de santé publique et chargée de mission à la MNASM. Alors que la Cour des comptes préconisait la consolidation de la structure dans ses missions et son fonctionnement, nous sommes passés à sa liquidation, sans considération ni de ce à quoi elle servait, ni de ce à quoi elle aurait pu servir davantage, et sans que les choses soient dites clairement. » Catherine Isserlis précise d’ailleurs avoir demandé une évaluation de l’action de la MNASM, « qui a été refusée ».

Au sein de la mission, le sentiment est celui d’un immense « gâchis »: 20 années d’expertise dans le champ de la santé mentale rayées de la carte sans explication, de façon technocratique ! La MNASM avait été créée en 1993 et confiée au médecin Gérard Massé à la suite de son rapport « La psychiatrie ouverte, une dynamique nouvelle en santé mentale ». Il s’agissait, pour ce qui était alors un « ovni administratif », d’accompagner les établissements et les administrations dans l’évolution de la psychiatrie vers l’hôpital général, mais aussi vers les structures médico-sociales et sociales. Dotée d’une équipe légère (4,6 équivalents temps plein [ETP] actuellement) et appuyée sur une trentaine de « correspondants » (issus du secteur sanitaire, social et médico-social), elle se déplace sur les différents sites à la demande des agences régionales de santé (ARS) pour rencontrer l’ensemble des acteurs et apporter son analyse des situations et son appui au changement. C’est également un lieu ressources pour le conseil et l’aide, de diffusion des bonnes pratiques (à travers sa revue Pluriels) et d’expériences nouvelles (2). Son expertise est d’ailleurs reconnue puisqu’elle est sollicitée dans de nombreux comités de pilotage (DREES, CNSA, DIHAL…). Elle a également développé des liens étroits avec les fédérations de professionnels de la psychiatrie et du secteur médico-social et les associations de représentants d’usagers.

Une approche de santé publique

Comment donc expliquer qu’après 20 ans d’activité, l’administration décide de supprimer cet outil d’aide aux établissements et aux ARS ? Ferait-elle doublon avec l’ANAP ? « Ce n’est pas du tout la même approche, rétorque Martine Barrès. L’ANAP produit des outils pour les établissements et services, alors que la MNASM a une approche globale de santé publique mettant en regard l’offre et les besoins de la population. Ce qui lui permet d’avoir une fonction de veille et de faire remonter à l’administration des problématiques non encore repérées ou mal connues. » C’est ainsi que la chargée de mission a commencé à animer un travail sur « l’appui que peuvent apporter les équipes de psychiatrie au maintien des personnes dans le logement ». Souci de rationalisation budgétaire ? « Les structures visitées ne paient que les frais de déplacement. Toutes les interventions sont gratuites dans la mesure où les correspondants sont mis à disposition par leurs employeurs », relève Catherine Isserlis. Le coût d’une intervention pour une mission de huit à dix mois varie de 6 000 à 12 000 € à la charge des ARS. Rien à voir avec les budgets de l’ANAP, qui a l’habitude de faire appel à des prestataires extérieurs.

Acteur gênant ?

La MNASM serait-elle alors gênante ? C’est le sentiment de Gérard Massé, aujourd’hui chef de service à l’hôpital Sainte-Anne et resté correspondant de la mission. « Nous avons été des défricheurs sur l’urgence psychiatrique et sur la complémentarité avec le secteur médico-social. Il est clair que la mission gêne certaines administrations et les tenants d’une psychiatrie plus traditionnelle. » Un avis partagé par Marcel Jaeger, titulaire de la chaire de travail social et d’intervention sociale du Conservatoire national des arts et métiers, également correspondant : « Elle appuie les acteurs les plus innovants de la psychiatrie, favorables à une approche en termes de santé mentale et au développement des alternatives à l’hospitalisation. Ses préconisations, lors de ses missions sur sites, peuvent d’ailleurs susciter des débats et des controverses. » Pour Serge Kannas, qui fut coordinateur de la mission entre 2007 et 2010, « depuis plusieurs années, la DGOS voulait “se déconnecter” de la mission. Elle s’était orientée vers une approche gestionnaire de l’hôpital, et cet organisme pluridirectionnel, moins “hospitalocentriste”, ne rentrait plus dans ses préoccupations. » Il souligne d’ailleurs que, jusqu’en 2005, les administrations centrales étaient très impliquées dans le travail de la mission, mais qu’après 2008, sauf la CNSA qui s’était très investie, elles s’en sont détachées. Reste que, quelles que soient les raisons, « l’administration vient de priver la santé mentale et de se priver elle-même d’un organisme important qu’il faudra probablement recréer un jour, tant les multiples acteurs de ce champ se trouvent en difficulté face aux besoins et attentes de la population », déplore Martine Barrès.

Jean-François Bauduret, vice-président du conseil d’orientation scientifique de l’ANAP, n’est, quant à lui, « pas complètement pessimiste ». « La ministre de la Santé n’a pas souhaité maintenir en l’état la mission et a demandé à l’ANAP, qui n’était pas spécialement candidate, de prendre le relais. Maintenant le dossier n’est pas complètement bouclé, et une réflexion est engagée entre l’ANAP et la mission sur le programme de travail. » Il déplore toutefois que « les administrations centrales et la DGOS se soient débarrassées du sujet, qui n’a pas été réfléchi comme il aurait dû l’être ». Que va-t-il à présent advenir du travail en cours de la mission ? De ses permanents, même si le ministère indique leur proposer de rejoindre l’ANAP ? De son réseau de correspondants ? De sa revue ? Catherine Isserlis a écrit au directeur général de l’offre de soins pour lui demander qu’un comité de pilotage statue sur toutes ces questions « laissées en suspens ». « Notre souci, désormais, c’est que notre expérience, notre connaissance du territoire et des pratiques ne se perdent pas, insiste, pour sa part, Martine Barrès. Nous allons réfléchir entre nous à la façon de continuer à faire vivre le réseau de correspondants et à maintenir la dynamique. »

Notes

(1) Versées par la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

(2) Elle a aussi produit un guide à l’intention de l’ensemble des acteurs pour « mobiliser le projet de vie et de soins des personnes longuement hospitalisées en psychiatrie ».

Côté terrain

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur