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La politique d’intégration a « quasiment disparu », selon un rapport commandé par Matignon

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Dans un document au vitriol, Thierry Tuot accable la politique d’intégration menée depuis 30 ans en France… et avance des propositions comme la création d’un « titre de tolérance » pour régulariser par étapes les sans-papiers inexpulsables.

Matignon lui avait demandé d’analyser l’état de la politique d’intégration, son organisation, ses moyens, ses acteurs. Mais aussi de proposer de nouveaux concepts et axes d’action « pour en assurer un nouveau départ ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que, dans le rapport qu’il a remis le 11 février à Jean-Marc Ayrault (1), le conseiller d’Etat Thierry Tuot ne mâche pas ses mots. Il affirme que les crédits dédiés à l’intégration se sont « effondrés » au fil du temps. Qu’en la matière, l’observation, l’analyse, l’évaluation et la comparaison se sont « arrêtées ». Il évoque également des acteurs « maltraités ». « La mortalité associative a été grande » et « on a découragé […] les meilleurs de s’investir », assure-t-il. L’ancien directeur général du Fonds d’action sociale pour les travailleurs immigrés et leur famille parle encore de structures institutionnelles « restées en jachère ». « La politique d’intégration est celle des défauts, résume-t-il : défaut de doctrine ; défaut d’instruments ; défaut de crédit ; défaut d’acteurs ; défaut d’institutions. » Pour lui, « si l’intégration n’a, heureusement, pas cessé, la politique qui la favorise a, elle, quasiment disparu ». Face à ce sombre tableau, Thierry Tuot avance plusieurs propositions à court et moyen termes pour refonder la politique d’intégration.

Le Premier ministre a indiqué le jour même, dans un communiqué, que les préconisations du rapport seront « mises à l’étude dans le cadre de la réflexion interministérielle visant à proposer une profonde refondation de notre politique d’intégration ». Cette réflexion, a-t-il ajouté, « associera l’ensemble des ministères concernés » – au premier rang desquels ceux de l’Intérieur et de la Ville – et « s’appuiera sur une concertation avec les collectivités locales, associations et acteurs économiques ».

Huit mesures symboliques et peu coûteuses

Thierry Tuot propose huit mesures symboliques, pouvant selon lui être rapidement mises en œuvre à moindre coût et qui témoigneraient d’un « changement radical de climat ». Celle qui a d’ores et déjà fait couler le plus d’encre consisterait à « substituer aux campagnes périodiques de régularisations » l’attribution, à ceux des immigrés en situation irrégulière qu’il est impossible de reconduire à la frontière, d’un « titre de tolérance » leur permettant l’acquisition progressive de droits au séjour en échange de démarches positives d’intégration. Ce titre ne donnerait que des droits extrêmement réduits au moment de sa délivrance : « droit d’échapper au contrôle par sa présentation, droit d’accéder à la couverture maladie universelle, droit d’accéder pour une durée maximale à fixer à un logement d’urgence ». L’intéressé disposerait de trois mois pour trouver une autre adresse que dans l’hébergement d’urgence et de cinq ans pour montrer que sa présence, bien qu’initialement irrégulière, peut lui donner un droit au séjour. Son chemin vers la régularisation serait jalonné de bornes à franchir. Tout manquement à l’une d’entre elles « qui ne pourrait être justifié au moins par la démonstration des efforts faits » entraînerait immédiatement un retrait du titre de tolérance et le placement en rétention, « qui pourrait alors par la loi être porté à une durée plus importante ».

Mais il ne faut pas réduire le rapport « Tuot » à cette seule proposition. Ainsi, le conseiller d’Etat suggère également de donner la nationalité sur simple déclaration aux étrangers ayant suivi une scolarité complète en France ainsi qu’aux ascendants de Français séjournant dans l’Hexagone depuis longtemps – « 25 ans par exemple » – « puisque la nationalité est présentée et ressentie comme le signe d’une parfaite intégration ».

Il s’intéresse par ailleurs au sort des vieux travailleurs migrants. « Laissons les immigrés vieillir en paix ! », clame-t-il, déplorant qu’en 25 ans, aucun gouvernement ne soit parvenu à achever un plan de rénovation des foyers de travailleurs migrants. Pour Thierry Tuot, les pouvoirs publics devraient ainsi « s’engager sur l’achèvement du plan dans un délai de 18 mois ». Un volontarisme souhaité par le conseiller d’Etat également sur la question de l’accès aux prestations sociales de cette population. Le législateur a en effet voté la possibilité d’adapter la durée de séjour en France requise pour bénéficier d’une pension (de retraite ou militaire), de façon à ce que les immigrés les plus âgés puissent séjourner dans leur pays d’origine sans perdre tout droit à pension (lequel ne peut être maintenu aujourd’hui qu’avec au moins six mois de résidence par an sur le territoire). Or les textes d’application n’ont jamais été pris. Pour Thierry Tuot, il suffirait d’un décret « indiquant que la durée de séjour est réduite selon un barème, réduisant celle-ci d’autant plus que l’âge est avancé ». « Aux jeunes titulaires, on pourra demander onze mois de séjour, aux très vieux deux mois pourront suffire. »

Parmi ses autres propositions, on retiendra encore celle d’associer localement les occupants et futurs occupants (issus ou non de l’immigration) du parc de logement social à la définition des critères de leur attribution, et de soumettre cette attribution à des formalités accrues de publicité et de transparence. Ou bien encore, dans un tout autre domaine, celle de confier au Haut Conseil à l’intégration (HCI) le soin d’établir, selon une périodicité au moins annuelle, les chiffres des flux migratoires. L’idée étant de pouvoir, sur la base de données claires et précises, « estimer les efforts qui sont nécessaires » pour assurer l’intégration des personnes venues s’installer en toute légalité en France.

Deux séries de propositions « de long terme »

Au-delà de ces gestes symboliques, Thierry Tuot émet deux séries de propositions à plus long terme dont l’ambition est de dessiner les axes d’une politique d’intégration renouvelée. La première série concerne les structures. Et notamment les associations, qu’on a, selon lui, détruites « à force de procédures, de réductions de crédits, de changements de cap », et qu’il faut aujourd’hui « sauver ». Le conseiller d’Etat en est convaincu : « même à crédits constants, plusieurs améliorations sont possibles ». Il propose notamment d’inventer de nouveaux modes de financement plus simples et plus adaptés à leurs missions. Suggérant par exemple la création de sociétés d’économie mixte sociales permettant d’inclure des acteurs associatifs dans des structures publiques ou bien encore de lever l’interdiction de financer directement des structures. « Par un étrange impératif, explique-t-il, on ne subventionne pas des structures mais des projets. » « Acceptons de financer non des prestations identifiées […] mais des lieux aux fonctionnalités sociales établies, dont l’existence seule mérite un soutien public par nature. »

La seconde série de propositions concerne le fond des politiques publiques. Thierry Tuot estime par exemple que les projets de rénovation urbaine devraient être définis d’abord en fonction de visées sociales, en concertation avec les habitants. Ou bien encore que l’accès aux droits des immigrés âgés devrait être renforcé et leur maintien dans les quartiers de la politique de la ville encouragé par la construction de logements sociaux médicalisés.

Notes

(1) La grande Nation, pour une société inclusive, rapport au Premier ministre sur la refondation des politiques d’intégration, Thierry Tuot, février 2013, disp. sur www.gouvernement.fr.

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